C'est dans ma tête. Infantilisés, les Français?
Infantilisation, c'est un mot que l'on entend beaucoup depuis le début de la crise sanitaire et toutes les contraintes qui vont avec. Le gouvernement, avec autant de consignes et de restrictions, nous réduirait au rang d'enfants devant bien suivre des ordres. La psychanalyste Claude Halmos nous explique pourquoi la dimension du collectif est essentielle.
Depuis un an, la vie des Français est scandée par des obligations, et des interdictions : porter le masque, utiliser du gel, ne pas aller au restaurant, au cinéma, ne pas se rassembler, ne sortir qu’à certaines heures. Tout cela leur est imposé, et de nombreuses voix s’élèvent pour critiquer cette situation. Les Français entend-on, sont infantilisés.
franceinfo : Claude Halmos, pensez-vous que les Français soient infantilisés ?
Claude Halmos : Parler d’infantilisation, c’est poser que le pouvoir imposerait des limites aux Français, parce qu’il ne les jugerait pas assez matures pour être capables de se les imposer eux-mêmes.
Cette critique vous semble justifiée ?
Non, parce qu’elle oublie une dimension essentielle, qui est celle du collectif.
L’enfance est effectivement le moment où les enfants doivent apprendre les limites nécessaires à la vie en société. Et où, comme ils n’ont aucune envie de les respecter, parce qu’elles s’opposent à leur bon plaisir, et à leur toute-puissance, leurs parents doivent en général les leur imposer. Jusqu’à ce que, en ayant compris la nécessité, ils parviennent à se les mettre seuls ; ce que font - heureusement - la majorité des adultes.
Mais il y a cependant des situations (comme les guerres, les épidémies, ou les catastrophes naturelles) qui, parce que leur dangerosité exige que des mesures particulières soient prises rapidement, et surtout collectivement, peuvent nécessiter qu’une autorité impose des règles aux adultes.
Mais pourquoi ne pas penser que les gens pourraient se mettre ces limites, eux-mêmes ?
Parce que c’est contraire à l’expérience. Déjà en temps normal (si les feux rouges n’existaient pas, les citoyens, même les plus conscients, commettraient parfois des imprudences). Mais plus encore lors d’une pandémie, parce que, même si nous n’avons consciemment aucun doute sur sa dangerosité, nos envies (bien moins conscientes) de l’oublier peuvent nous faire déraper.
Le fait que les règles soient collectives sert à nous rappeler leur nécessité ; et nous permet de prendre appui sur le collectif pour résister à nos envies de passer outre.
Pourquoi alors parle-t-on tant d’infantilisation ?
Je crois qu’il faut être clair : tout le monde en a "ras le bol", et c’est normal. Donc se servir du mécontentement pour en accuser le pouvoir, et en tirer des bénéfices est une démarche tentante ; et d’autant plus facile que dans notre société, les limites sont mal vues (on voudrait même aujourd’hui faire croire aux parents qu’elles détruiraient leurs enfants).
Mais c’est une démarche dangereuse parce que, en affirmant que les mesures imposées ne seraient pas dues à la nécessité, mais à l’autoritarisme des dirigeants, on encourage les dénis de réalité, et donc les imprudences. Et qui plus est, en reprenant un raisonnement qui est celui des adolescents quand ils accusent leurs parents, qui leur mettent des limites, d’avoir pour seul but de les maintenir indéfiniment en enfance. Je crois que cela mérite d’être souligné…
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