Christine Ockrent : "Quel que soit le vainqueur de la présidentielle, la tendance protectionniste et isolationniste des États-Unis ne s’inversera pas du jour au lendemain"
Quels sont les enjeux économiques des élections aux États-Unis ? Pour quel candidat vote Wall Street ? Quelles seront les conséquences pour les pays européens ? Christine Ockrent est l’invitée de Jean-Paul Chapel dans ":l’éco".
Christine Ockrent, journaliste et présentatrice renommée, auteure de nombreux ouvrages sur la politique américaine, était l’invitée de Jean-Paul Chapel. Elle sort son ouvrage « La guerre des récits » aux Éditions de l’Observatoire. Dans ce livre, qui traite notamment du « choc des empires » entre la Chine, les États-Unis, la Russie et l’Europe, elle relate également le bilan économique du président sortant, percuté de plein fouet par la crise du COVID : "Les chiffres sont impressionnants, même si l’on peut considérer qu’ils sont un peu en trompe l’œil : le taux de chômage a notamment atteint un niveau historiquement bas (3,5 %). Mais en termes de création d’emplois, les États-Unis ont bénéficié depuis une dizaine d’année d’une très longue période de croissance. Barack Obama avait fait aussi bien, sinon mieux, de 2014 à 2016… Il n’empêche que Donald Trump pouvait se vanter d’un bilan exceptionnel, qui certes avait surtout profité aux plus riches"
Mais cette situation a pris fin avec l’émergence de la crise de 2020 : "L’économie américaine a été fracassée par la crise. Cela a été accentué par un système dépourvu de sécurité sociale et d’assurance maladie, sauf dans le cas d’une prise en charge par l’entreprise. De plus, au niveau fédéral, chaque état fait à peu près ce qu’il veut au niveau de la politique sanitaire, ce qui ajoute encore au désastre. Dans un de ses derniers meeting, en Pennsylvanie -un des états clés qu’il va falloir surveiller la nuit prochaine- Donald Trump, au lieu de vanter son bilan économique, a dit qu’il allait virer le docteur Fauci (coordinateur de la lutte contre les maladies infectieuses aux États-Unis). Imaginez qu’en France à la veille de l’élection présidentielle, le président sortant annonce qu’il va virer le conseil scientifique… Donald Trump a mené une campagne étrange. Son bilan économique aurait pu être son meilleur argument de campagne, mais il n’a pas été mis en avant, tant il est persuadé que cette pandémie est un outil des démocrates pour le faire perdre."
Concernant les réformes fiscales de Trump, en particulier la diminution de l’impôt sur les sociétés (passé de 35 à 21 %), Christine Ockrent souligne que ces mesures, qui ont "enthousiasmé les bourses et les plus riches" ont exacerbé les inégalités : "1 % des américains les plus fortunés détiennent plus de la moitié des actifs financiers. Tout comme la Chine, l’écart entre les très riches et la classe moyenne est devenu immense." Et vers quel candidat vont les préférences de Wall Street ? "Cela a longtemps été indécis, en particulier pendant la pandémie. Mais Wall Street a tourné casaque, en espérant une victoire démocrate. Il semble que l’évolution des indices boursiers indique traditionnellement la défaite du président sortant s’ils baissent… Ce qu’on constate aujourd’hui. Mais tout reste possible la nuit prochaine." Favori de Wall Street, Joe Biden l’est-il aussi à la vue des sondages, qui le placent en tête ? "On ne peut pas se fier aux sondages nationaux, car ce n’est pas une élection au suffrage universel direct" rappelle Christine Ockrent. "En revanche, il est intéressant de les suivre dans la dizaine des états clés : la Pennsylvanie, la Floride, et les traditionnels bastions républicains dont le Texas et l’Arizona, où il pourrait y avoir une surprise favorisant le camp démocrate."
Et quel serait le meilleur candidat pour l’Europe ? "Joe Biden serait sûrement un meilleur candidat. Il a déjà des manières plus « civilisées », et un entourage de professionnels -notamment de diplomates- qui savent où se situent nos pays sur la carte ! Ce serait déjà une immense différence. Il y aura peut-être moins de sanctions, notamment celle qui frappe cruellement les vins français ces temps-ci. Une administration Biden serait plus favorable aux intérêts européens ainsi qu’à l’alliance atlantique, dont Trump menace régulièrement de se retirer. Néanmoins, il ne faut pas se tromper : la tendance protectionniste et isolationniste des États-Unis ne va pas s’inverser du jour au lendemain."
« La guerre des récits », Christine Ockrent, Éditions de l'Observatoire.
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