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Vidéo 1975 : l’Année de la femme se clôt sur une émission sexiste à la télé, les féministes ripostent par un film qui deviendra culte, "Maso et Miso vont en bateau"

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"Maso et Miso vont en bateau", la riposte féministe à l'émission de télé sexiste qui clôt l'Année de la femme
"Maso et Miso vont en bateau", la riposte féministe à l'émission de télé sexiste qui clôt l'Année de la femme "Maso et Miso vont en bateau", la riposte féministe à l'émission de télé sexiste qui clôt l'Année de la femme (AFFAIRES SENSIBLES / FRANCE 2)
"Encore un jour et ouf ! l'Année de la femme, c'est fini". Le titre de l'émission de Bernard Pivot diffusée le 30 décembre 1975 sur Antenne 2 donne le ton. La suite, un festival télévisuel de misogynie, fait bondir les féministes. Quatre réalisatrices en colère vont lui concocter une réponse cinglante. "Affaires sensibles" a rencontré deux de ces "Insoumuses".

Pour conclure l'Année de la femme, Antenne 2 diffuse un programme spécial le 30 décembre 1975, en première partie de soirée. Son titre annonce la couleur : "Encore un jour, et l'Année de la femme, ouf ! c'est fini". L'émission est présentée par Bernard Pivot, la nouvelle star de la chaîne, qui a lancé "Apostrophes" avec succès quelques mois plus tôt. Son invitée principale : la secrétaire d'Etat chargée de la condition féminine Françoise Giroud. La ministre se trouve en terrain miné, et elle ne l'ignore pas, selon sa proche collaboratrice Sylvie Pierre-Brossolette : elle "a accepté de relever le défi, sachant très bien que c'était une sorte de piège".

Bernard Pivot a réuni autour de Françoise Giroud une brochette de "fieffés misos", ainsi qu'il les présente lui-même. "Quand on observe les femmes, on a tendance à devenir un peu misogyne" ; " Les femmes se masculinisent de plus en plus"... Les invités défilent, et c'est un festival de propos phallocrates parfaitement décomplexés. La palme revient sans doute au critique gastronomique Christian Guy. Quand Bernard Pivot lui demande si les femmes ont du talent en cuisine, il se récrie : "Certainement pas, voyons, enfin ! Ça se saurait !" Car "les femmes font 'de la cuisine', elles ne font pas 'la cuisine'." 

Devant leur poste de télévision, les féministes s'étranglent. Mais ce qui passe le plus mal, c'est l'attitude de Françoise Giroud, jugée beaucoup trop complaisante avec ses contradicteurs. "Comment est-ce qu'elle ne se lève pas pour s'en aller ?" s'insurge Martine Storti, figure du MLF qui évoque cet épisode dans "Affaires sensibles" : "J'avais honte pour elle ! Lève-toi, et casse-toi ! Et dis-leur 'Tchao les mecs !'"

Un détournement de l'émission, arrangée à la sauce féministe

La riposte viendra, cinglante, trois petits mois plus tard, sous forme de film. "Maso et Miso vont en bateau" est un détournement de l'émission de Pivot, arrangée à la sauce féministe. "Maso", c'est Françoise Giroud, requalifiée de "secrétaire d'Etat à la condition érotique", et "Miso", Bernard Pivot et ses invités.

Ce piratage est l'œuvre du collectif Les Insoumuses, quatre féministes qui dénoncent avec humour le sexisme de l'émission : autour de Delphine Seyrig, actrice engagée, les réalisatrices Carole Roussopoulos et Ioana Wieder, et la sociologue Nadja Ringart. Les deux dernières témoignent dans cet extrait : " On a énormément ri ensemble, mais on savait qu'on s'attaquait à des sujets sérieux. Graves, même."

Les quatre révoltées ont bricolé leur droit de réponse avec les moyens du bord : cartons affichant des commentaires ironiques en forme de slogans de manifestation ("Les hommes font : la cuisine RENTABLE. Les femmes font de la cuisine GRATUITE", "L'Année de la femme n'est même pas bissextile") ; arrêts sur image, propos repris en boucle... Un procédé "cruel, convient Nadja Ringart, mais très efficace". "Si vous vous mettez dans la peau d'une téléspectatrice, qui est chez elle, que ça horrifie mais qui ne peut pas répondre, elle va écouter, et elle va mal entendre. Et nous, on répète. On rembobine. Vous avez vraiment entendu ce qu'elle a osé dire, ou ce qu'il a osé dire ?"

"Maso et Miso vont en bateau" connaît rapidement un petit succès public, jusqu'à devenir au fil du temps un film culte de la mouvance féministe. Malgré les tentatives de Françoise Giroud et d'Antenne 2 pour interdire sa diffusion, il a été programmé et vu dans de nombreuses institutions culturelles en France. "Il y avait un mouvement vers ce film, témoigne Ioana Wieder, et il n'a pas cessé." 

Extrait de " 1975, l'année de la femme", un document à voir le 22 octobre 2023 dans "Affaires sensibles", une coproduction France Télévisions, France TV presse, France Inter et l’INA, adaptée d’une émission de France Inter.

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