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Lavande, gaullisme et provocations : Julien Aubert, le troll de l'Assemblée

L'élu UMP du Vaucluse s'est fait remarquer pour avoir refusé de féminiser le titre de président de l'Assemblée nationale. Un coup d'éclat qui n'est que le dernier d'une (déjà) longue série.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le député UMP du Vaucluse Julien Aubert prend la parole, le 7 octobre 2014 à l'Assemblée nationale, à Paris. (MAXPPP)

"Madame le président", "Madame le ministre". Julien Aubert se veut le champion de la bataille contre la féminisation des titres de fonctions politiques. Lundi 7 octobre à l'Assemblée, le député UMP du Vaucluse s'est obstiné à donner du masculin à sa collègue socialiste Sandrine Mazetier, présidente de séance, refusant le féminin prévu dans le règlement de la chambre basse. En janvier déjà, il avait joué la même scène dans l'hémicycle, rappelle Le Lab.

Ce comportement vaut au jeune élu une sanction : un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal, ce qui entraîne la privation, pendant un mois, du quart de son indemnité parlementaire, soit plus de 1 300 euros. Mais il lui assure aussi une très large couverture médiatique. Un joli coup pour ce nouveau venu en politique qui, à 36 ans, n'a pas l'intention de rester dans l'ombre des ténors.

Fils spirituel de Mariani et Guaino

Julien Aubert n'a que 20 ans quand il prend sa carte au RPR, l'ancêtre de l'UMP. La date est symbolique : 13 mai 1998, le jour du 40e anniversaire de l'accession au pouvoir du général de Gaulle. Ses mentors se nomment Thierry Mariani et Henri Guaino. Il a été l'assistant parlementaire du premier en 1998, lorsque celui-ci était député RPR du Vaucluse. Et il a été l'élève du second à Sciences Po, dont il fut diplômé avant de rejoindre l'ENA. Il l'a même retrouvé quelques années plus tard à l'Elysée, où Guaino était le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, pour travailler sur l’Union pour la Méditerranée. 

Le jeune loup emprunte les idées musclées du premier, fondateur de la Droite populaire, et le gaullisme social et souverainiste du second, séguiniste comme lui. "Je ne rentre pas dans le moule", pérore-t-il dans Libération.

Un député néophyte, "lavande au poing"

C'est en 2012 que ce conseiller référendaire à la Cour des comptes arrive sur le devant de la scène politique. L'UMP le propulse candidat aux législatives dans la toute nouvelle 5e circonscription du Vaucluse. Il a le profil idéal - natif de Marseille avec des attaches familiales dans la région - et une tête bien faite.

Ses premiers pas sont un succès. Il échappe à une triangulaire au second tour, grâce à la candidate frontiste qui enfreint la consigne du FN et décide de se retirer pour "faire barrage à la gauche". Seul face au candidat socialiste, il est élu avec 50,33% des voix.

Sa campagne victorieuse, Julien Aubert la mène "lavande au poing", comme le clame son blog tapissé de champs de cette plante symbole de la Provence. Et il la décrit comme une épopée, la croix de Lorraine épinglée au col de sa veste. Il était "seul avec [sa] valise", "usant trois paires de chaussures", dans une "circonscription dont tout le monde [lui] disait qu’elle était de gauche".

Il est surtout déjà très doué pour la cuisine électorale. La candidate FN, "[il l'a] appelée le soir du premier tour". "Je devais écrire ma profession de foi, [et] je ne disais pas la même chose si elle se désistait", reconnaît-il dans Libération, avant d'ajouter pour se dédouaner : "Ce sont les autres camps qui ont tripatouillé, je suis le gentil de l’affaire."

"Je me place à trois centimètres du FN" 

Deux ans plus tard, il tente de doubler la mise aux municipales. L'UMP le charge d'empêcher le Front national de prendre Carpentras. La commune de près de 30 000 âmes, voisine d'Orange, dirigée par l'ex-frontiste Jacques Bompard, est l'une des dix cibles prioritaires du FN. Cette fois, la triangulaire est défavorable à Julien Aubert. Il termine avec 13,39% des voix, loin derrière le maire socialiste sortant et le candidat frontiste, tous deux à plus de 40%.

L'UMP Julien Aubert soutenu par Bruno Le Maire (à gauche) et Henri Guaino (à droite), lors d'un meeting pour les municipales, le 13 février 2014 à Carpentras (Vaucluse). (MAXPPP)

La campagne lui permet cependant de roder sa ligne politique. Avant l'été 2012, il crée le Rassemblement Bleu Lavande, pied de nez provençal au Rassemblement Bleu Marine lancé par Marine Le Pen. Il entend "promouvoir les valeurs et idéaux du gaullisme".

"Je me place à trois centimètres du FN pour montrer à ses représentants que je n'ai pas peur d'eux. Ce n'est pas par proximité idéologique. C'est simplement pour leur signaler que je ne les laisserai pas passer", assène-t-il dans Le Monde (article abonnés). "Mon idée, c'est de récupérer ce que l'extrême droite a volé à la droite. Au moment où elle essaie de capter l'héritage du général, il faut se le réapproprier. Les gens doivent savoir que le vrai rassemblement gaulliste, c'est moi qui l'incarne", clame-t-il, sûr de lui. Les critiques fusent.

"Aubert siphonne mon programme ! Son Rassemblement Bleu Lavande, c'est de la contrefaçon !" s'emporte le candidat FN, Hervé de Lépinau. "C'est un opportuniste qui joue un jeu dangereux avec le FN. Entre lui et l'extrême droite, il n'y a qu'une maigre feuille de papier à cigarette", renchérit Francis Adolphe, le maire PS sortant de Carpentras. "Moi, je suis la zone libre, et elle, c'est la zone occupée", rétorque l'intéressé à propos de Marion Maréchal-Le Pen, députée FN de la circonscription voisine. Sans craindre le point Godwin.

Il rejoue la Révolution française à l'Assemblée

Comment exister quand on est un député néophyte ? Avec six autres trentenaires UMP, élus pour la première fois au palais Bourbon en juin 2012, Julien Aubert fonde les "Cadets-Bourbon", rapporte Le Nouvel Observateur. Il se trouve un cheval de bataille : la transition énergétique. Le jeune élu devient membre de plusieurs commissions parlementaires sur le sujet. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi se faire remarquer.

Cela tombe bien, il n'est pas impressionné à l'idée de prendre la parole dans l'hémicycle. A 6 ans, il récitait "la pastorale de Noël, déguisé en berger devant cent spectateurs : une bonne école contre le trac !" assure-t-il à Libération. Et tant pis s'il n'aime pas "la politique spectacle" et s'il se dit "gêné" par le côté "cirque" de cette Assemblée "gérontocratique".

Le député UMP du Vaucluse Julien Aubert prend la parole, le 1er octobre 2013 à l'Assemblée nationale, lors de la séance de questions d'actualité au gouvernement. (MAXPPP)

Pendant le débat sur le mariage pour tous, en février 2013, il est de ceux qui donnent de la voix. Sa tirade, relevée par Le Monde, sur "les vierges effarouchées" de la gauche crée des remous. Grandiloquent, il rejoue la Révolution française sous les applaudissements de ses collègues UMP, rapporte Rue89 : "Nous sommes ici par la volonté du peuple ! Et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes !" ou encore "Je sais que vous voulez des états généraux, mais ne nous traitez pas comme le tiers état !"

Ses piques visent aussi l'une des cibles favorites de la droite : la ministre de la Justice, Christiane Taubira. "Madame Taubira n'est pas à l'AME", lâche-t-il en novembre 2013, en plein débat sur l'aide médicale d'Etat (AME) qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins, sous certaines conditions. A la clé, une suspension de séance à la demande des socialistes, indignés par ce qu'ils estiment être un dérapage raciste.

Julien Aubert est victime de son succès. Dans l'hémicycle, il se plaint des députés qui relatent les séances en direct sur Twitter. "Ce soir j’écoute des nains réacs @JulienAubert84", écrit le socialiste Alexis Bachelay"Vous n’avez pas précisé si j’étais Grincheux ou Simplet", réplique-t-il. "Les deux !" tranchent des voix à gauche. Un compte parodique le pousse finalement à suspendre le sien en février 2013, rapporte Le Point.

A l'UMP, il a d'abord soutenu Jean-François Copé face à François Fillon, en 2012, dans la bataille pour la présidence de l'UMP. Une question de loyauté : "Il m’a donné ma chance en m’accordant l’investiture aux législatives", explique-t-il. Désormais, il roule pour Bruno Le Maire, un autre jeune ambitieux. Il en a fait l'annonce dans une tribune cosignée avec trois autres "Cadets-Bourbon" et parue dans Le Figaro, la veille de la déclaration de candidature de Nicolas Sarkozy.

Onze ans plus tôt, Julien Aubert s'était imaginé une tout autre vie. A 25 ans, il avait songé à s'inscrire au cours Florent, en cas d'échec au concours d'entrée de l'ENA. Il en plaisante aujourd'hui : "On a peut-être gagné un mauvais politicien et perdu un acteur sympathique !"

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