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Petite enfance, condition pénitentiaire, prisonniers du FLN… Trois combats méconnus de Simone Veil

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
La ministre de la Santé Simone Veil, dans les années 70. (- / AFP)

Emmanuel Macron préside, dimanche 1er juillet, la cérémonie de panthéonisation de l'ancienne ministre de la Santé, morte le 30 juin 2017.

De Simone Veil (1927-2017), on connaît le destin exceptionnel qui l'a conduite à entrer au Panthéon dimanche 1er juillet. Rescapée du camp de la mort d'Auschwitz, où elle a été déportée à 16 ans, au printemps 1944, elle devient après-guerre haut fonctionnaire, ministre envoyée en première ligne dans la bataille pour la légalisation de l'avortement, puis présidente du Parlement européen. 

À retracer cette trajectoire hors du commun, on oublie souvent les autres combats qu'elle a menés pour rendre la santé et la justice plus humaines. En voici trois exemples.  

Elle a pris en compte les besoins affectifs des tout-petits

Considérer qu'un bébé a besoin d'affection et de stimulation pour se développer relève aujourd'hui de l'évidence. Mais pas de la réalité dans les structures d'aide à l'enfance des années 60 et 70. Il a fallu l'intervention de Simone Veil, en 1978, pour qu'une "bientraitance" active soit mise en œuvre dans les "dépôts" d'enfants de l'Assistance publique.

 A 81 ans, Danielle Rapoport s'enflamme encore au souvenir de cette ministre "tout à fait exceptionnelle". En 1978, cette psychologue clinicienne de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est parvenue à montrer à la ministre de la Santé le film "Enfants en pouponnières demandent assistance", qu'elle a réalisé avec la kinésithérapeute Janine Lévy "dans une pouponnière particulièrement carentielle de l'Aide sociale à l'enfance de Paris". Les deux professionnelles de la petite enfance y montrent comment sont traités des bébés retirés à des parents défaillants. Placés dans d'immenses lits-cages, les nourrissons sont changés et lavés par des auxiliaires puéricultrices à la "technicité parfaite", mais sans l'ombre d'un échange affectif. Aucune n'a le temps de bercer les nourrissons, ni les embrasser ou de leur parler. Pour gagner en "rentabilité", les biberons sont calés pour que les enfants puissent boire seuls. Leurs lits ne comportent qu'un numéro, pas de prénom. "Ils en avaient un, mais on ne les appelait pas comme ça pour ne pas leur donner l'habitude d'un prénom s'ils étaient ensuite adoptés", relate Danielle Rapoport. 

Elle se remémore la suite : "Quand Simone Veil a vu ces enfants réduits à un numéro, elle, qui portait son numéro du camp de concentration d'Auschwitz sur son bras, a dit aussitôt : 'Je ferme ces pouponnières'." La psychologue se souvient avoir répondu : "Si vous faites ça, on va retrouver les enfants sur les parvis des églises. Il ne faut pas fermer ces 'dépôts', il faut les transformer."

Aussi sec, la ministre de la Santé lance l'"opération pouponnières", avec un comité de pilotage d'où émergera la nécessité de prendre en compte toutes les dimensions de développement de l'enfant (langage, psychomotricité, chaleur humaine...). "C'est énorme, ce qu'elle a changé, poursuit la psychologue. Elle était d'une ténacité, cette femme, quand elle poursuivait un objectif ! Il ne s'agissait pas d'une opération de com'. C'est elle qui a imposé dans les crèches et les pouponnières qu'il y ait au moins une personne pour s'occuper de sept enfants, et une pour cinq enfants qui ne marchent pas. C'est elle encore qui a décidé de moyens dédiés à la formation du personnel". Et d'ajouter :

Simone Veil a interdit le chronométrage de la toilette des bébés pour les auxiliaires puéricultrices, qui étaient notées sur ce critère. Le combat est toujours d'actualité : aujourd'hui, c'est le temps de toilette des personnes âgées qu'on chronomètre dans les Ehpad.

La psychologue Danielle Rapoport

à franceinfo

Plus généralement, note encore la clinicienne, Simone Veil a œuvré à l'humanisation de la pédiatrie : "Vous ne le savez peut-être pas, mais si les mères peuvent dormir à l'hôpital avec leurs enfants malades, c'est à elle qu'on le doit ! Elle a soutenu l'accueil des parents à l'hôpital, la cassure des horaires des visites ou encore l'association Sparadrap, qui luttait pour la prise en compte de la douleur des bébés".

Elle s'est battue pour des prisons plus humaines

Vingt ans plus tôt, alors jeune magistrate à la direction de l'Administration pénitentiaire, Simone Veil avait tenté d'humaniser les prisons françaises. Dans Une vie (éd. Stock, 2007), elle raconte l'horreur qui la saisit lors de ses premières visites de maisons d'arrêt en 1957, et son sentiment, parfois, "de plonger dans le Moyen Age" tant les "conditions" sont "scandaleuses".

Sans doute à cause de ce que j'avais subi en déportation, (...) je ne pouvais que me considérer comme une militante des prisons.

Simone Veil

dans son autobiographie, "Une vie"

A la maison de correction de Versailles, une seule salle est "chauffée", décrit-elle. Le milieu de la pièce sert de toilettes et les excréments sont évacués par "une voiturette tirée par un cheval". Outre les insuffisances matérielles, la magistrate dénonce "tout ce qui génère humiliation et abaissement de l'autre", s'indignant ainsi des "pratiques particulièrement perverses" de la directrice de la prison pour femmes de Rennes. "Obsédée par l'homosexualité", celle-ci punissait, raconte Simone Veil dans ses Mémoires, jusqu'au moindre geste de générosité qu'elle interprète comme une preuve d'amitié, comme le don par une détenue d'un morceau de sucre à une autre prisonnière.

Concrètement, malgré le manque de crédits, mais avec le soutien du ministre de la Justice Edmond Michelet, elle crée les centres médico-psychologiques dans les maisons d'arrêt et impose le passage d'un camion radiologique dans les prisons. Elle s'attache à améliorer le quotidien des femmes. Elle fait enfin ouvrir des bibliothèques et et des structures scolaires pour les mineurs, "au grand dam", souligne-t-elle, "des esprits les plus étriqués, sans doute les pères de ceux qui devaient ensuite s'élever contre les prisons trois étoiles".

Elle oblige même sa famille, en route vers l'Espagne pour les vacances, à faire étape à la prison de Nîmes (Gard) ou de Mauzac (Dordogne), pour pouvoir y contrôler d'éventuels dysfonctionnements. Au point que son mari Antoine, lassé de la voir "courir la France pour améliorer le sort des détenus", finit par lui lâcher, exaspéré : "Ecoute, tes prisons, ça commence à bien faire ! (...) Je ne veux plus en entendre parler" (dans Une vie).

Elle a sauvé la vie de militants du FLN

Simone Veil restera néanmoins sept ans en poste à l'administration pénitentiaire (de 1957 à 1964). En pleine guerre d'Algérie, c'est elle qu'Edmond Michelet, nommé garde des Sceaux par le général De Gaulle en 1959, envoie en mission à Alger, alors que des voix s'élèvent pour dénoncer la torture. Chargée de visiter les prisons où sont enfermés les détenus algériens du FLN, elle est fraîchement accueillie dans la colonie française : "Partout, j'ai été si mal reçue par les responsables que j'ai préféré rédiger moi-même mes rapports plutôt que de les faire dactylographier par un agent local de la pénitentiaire", relate-t-elle dans son livre.

Très vite, explique-t-elle dans ses Mémoires, elle décide de ramener en métropole les "cinq ou six cents personnes condamnées à mort, mais dont le général avait suspendu l'exécution en 1958". Ce transfert a un double objectif : empêcher d'éventuelles exécutions sommaires par des "militaires extrémistes" et soustraire les prisonniers en général, et les femmes en particulier, des sévices pratiqués. Grâce à elle, une jeune militante du FLN de 22 ans, Djamila Boupacha, torturée et violée pendant plus d'un mois, échappera à ses bourreaux. "Au ministère de la Justice, Simone Veil, une petite magistrate déléguée à l'époque, nous a aidés à faire transférer Djamila Boupacha car on voulait l'abattre, là-bas dans sa cellule, pour qu'elle ne parle pas. On l'a arrachée aux griffes de ses assassins", déclarera plus tard l'avocate de la jeune indépendantiste, Gisèle Halimi, citée par le journal El Watan. A la mort de Simone Veil, de nombreux journaux algériens, rapporte Geopolis, ont rappelé son action en faveur des prisonniers du FLN.

Selon l'un d'entre eux, Mohand Zeggagh, Simone Veil a "sauvé de nombreuses vies humaines en toute discrétion".  "Plus de 1 600 condamnés à la peine capitale attendaient dans les couloirs de la mort, écrit-il dans Le Monde. Elle participa activement à différer au maximum les exécutions. (...) En accord avec le ministre Edmond Michelet, madame Veil allongeait le temps de transmission des dossiers les plus exposés ou décidait de les différer dans l'attente d'autres éléments introduits par les avocats, afin de surseoir à l'exécution de leurs clients".

Dans de telles circonstances tragiques, pour nous et nos avocats, je peux le dire aujourd'hui, "le temps, c'était la vie".

Mohand Zeggagh

dans "Le Monde"

En 1962, dans le cadre des accords d'Evian, les prisonniers du FLN ont été amnistiés.

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