L'article à lire pour comprendre le big bang territorial de Manuel Valls
Le Premier ministre veut diviser par deux le nombre de régions, supprimer les départements... Avec quelles conséquences ? A quoi ressemblera la nouvelle carte de France ? Voici les réponses de francetv info.
Réduction de moitié des régions en 2017, suppression des conseils départementaux à l'horizon 2021... Manuel Valls a proposé, mardi 8 avril, lors de son discours de politique générale, un véritable big bang territorial.
Pourquoi cette réforme peut-elle bouleverser la carte de France ? A quoi le Premier ministre veut-il s'attaquer ? Et en quoi sommes-nous concernés ? Francetv info répond aux questions que vous n'osez peut-être pas poser.
Le "millefeuille territorial", c'est quoi ?
"La France est prête à ces réformes et notamment celle du 'millefeuille territorial'", a déclaré Manuel Valls face aux députés. De quoi parle-t-il ? Notre pays compte 22 régions (plus 5 en outre-mer), 101 départements, 2 456 établissements publics de coopération intercommunale (communautés de communes, d'agglomération, métropoles, etc.) et plus de 36 000 communes...
Au total, nous avons quatre échelons administratifs locaux : ville, intercommunalité, département et région. Chacune de ces couches du "millefeuille" dispose d'élus, d'un budget, de personnel... Comme le note Le Monde, au fil des années, on constate la multiplication des échelons, l'augmentation des effectifs, la progression "lente" de la dette des collectivités locales, l'explosion du nombre d'élus... Pour beaucoup, le "millefeuille territorial" est devenu indigeste.
Mais ce n'est pas la première fois qu'on s'attaque au "millefeuille territorial" ?
En effet, le "millefeuille territorial" est un serpent de mer du débat politique. Dès 2008, le rapport Attali préconise la "suppression progressive" des départements. En 2009, le comité Balladur propose de réduire de 22 à 15 le nombre de régions en métropole. Mais ce projet se heurte à la résistance des élus.
Par prudence, Nicolas Sarkozy opte finalement pour une réforme a minima en 2010 avec la création d'un conseiller territorial, un élu qui siégerait à la fois au conseil régional et au conseil général pour réduire le nombre total d'élus. Mais le conseiller territorial est enterré peu de temps après l'élection de François Hollande en 2012. Finalement, le 14 janvier 2014, le président de la République relance l'idée de réduire le nombre de régions en leur donnant davantage de pouvoir.
Alors, que veut faire Manuel Valls ?
• Réduire de moitié le nombre de régions en France d'ici au 1er janvier 2017, soit un passage de 22 à 11 régions en métropole. D'ici à 2015, les régions sont incitées à fusionner en se mettant d'accord. Le cas échéant, le gouvernement tranchera et la nouvelle carte entrera en vigueur au 1er janvier 2017.
• Supprimer les conseils départementaux (plus connus sous le nom de conseils généraux) à l'horizon 2021. Mais le nouveau Premier ministre se montre prudent sur ce point, potentiellement explosif. Il s'agit de "lancer un débat" face à "l'ampleur de ce changement".
• Redessiner "une nouvelle carte intercommunale, fondée sur les bassins de vie" qui entrera en vigueur au 1er janvier 2018.
• Supprimer la clause dite de compétence générale. Cette clause permet aux collectivités locales d'intervenir dans tous les domaines de compétences à partir du moment où elles l'estiment nécessaire.
Diviser par deux les régions, oui, mais comment ?
A l'époque du comité Balladur, plusieurs pistes ont été évoquées. Elles ont été exhumées après les déclarations de François Hollande, début 2014. Parmi elles : la fusion de la Haute et de la Basse-Normandie, le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne, la création d'une grande région Val de Loire (avec la région Centre et une partie des départements des Pays de la Loire), une fusion de la Vendée, du Poitou-Charentes et de l'Aquitaine ou encore un éclatement de la Picardie entre l'Ile-de-France et le Nord-Pas-de-Calais. Voici un aperçu publié par Les Echos.
Passer à 15 régions? Voici à quoi pourrait (peut-être) ressembler la nouvelle carte de France http://t.co/jpctzz7XJa pic.twitter.com/AZaIwgeTYD
— Yani Khezzar (@YaniKhezzar) January 15, 2014
D'autres scénarios à 12, 10 ou même 5 régions existent, comme le montrent Ouest-France et Sud Ouest. Le but est de créer des "super régions" pour concurrencer les régions européennes, comme les Länder allemands. Elles auront une "taille suffisante pour mener des politiques cohérentes, notamment en termes d’aménagement du territoire et d’attractivité économique", explique La Croix. Mais le président de l'Association des régions de France, Alain Rousset, pose ses conditions : "Allons jusqu'au bout du raisonnement en nous inspirant des modèles d'autres grandes démocraties européennes qui réussissent en s'appuyant sur des régions fortes." Sous-entendu, en donnant plus de moyens et de compétences aux régions.
La Franche-Comté et la Bourgogne ont déjà annoncé un rapprochement, lundi 14 avril.
Pour les départements, c'est vraiment la fin ?
Non. Le Premier ministre s'est d'ailleurs bien gardé de s'attaquer aux départements. Il s'agit de supprimer les conseils départementaux (ex-conseils généraux, des assemblées élues tous les six ans). Mais les départements, leurs préfectures et leurs sous-préfectures perdureraient.
Le hic : les conseils départementaux sont en charge de nombreuses activités sociales (aides à l'enfance, aux personnes handicapées, aux personnes âgées, versement du RSA...), mais aussi de l'entretien des collèges, des transports scolaires, de la voirie dans les zones rurales. Qui va reprendre ces compétences du département ? Pour Marie-Christine Steckel-Assouère, maître de conférences et membre du Groupement de recherche sur l'administration locale en Europe (Grale) de l'université de la Sorbonne, "c'est une usine à gaz". Interrogée par francetv info, elle explique que "ces compétences seront à répartir ailleurs, il faudra qu'une autre collectivité, région, intercommunalité, assume à la place du département". "Mais dans tous les cas, cela leur sera difficile d'accepter", prévient cette experte des réformes territoriales.
Autre bémol de taille : la suppression des départements nécessite une révision de la Constitution, soit par référendum, soit en obtenant les suffrages de 3 parlementaires sur 5.
Et les communautés de communes dans tout ça ?
Communautés de communes, urbaines, d'agglomérations ou métropoles... Depuis le 1er janvier 2014, toutes les communes sont regroupées en intercommunalités. Au total, on compte 2 456 structures de l'intercommunalité qui ont leur fiscalité et des compétences propres (économie, transports, urbanisme, gestion des déchets, distribution de l'eau...).
Manuel Valls souhaite une nouvelle carte des intercommunalités "fondée sur les bassins de vie". Cela donnera "des regroupements plus cohérents", juge Marie-Christine Steckel-Assouère. Les communes se sont parfois regroupées sans grande logique, souvent pour éviter de devoir payer pour la commune limitrophe plus pauvre, plus grande... Une situation qui aboutit à des regroupements géographiquement incohérents et parfois à une multiplication de structures pas forcément pertinente. La Tribune donne l'exemple de communes limitrophes qui possèdent chacune leur office du tourisme.
"A moyen et long terme, les intercommunalités pourraient remplacer un échelon supprimé des collectivités locales", estime la chercheuse du Grale.
Est-ce que l'on va vraiment faire des économies ? Va-t-on supprimer des postes de fonctionnaires ?
Le principal objectif de la simplification du "millefeuille territorial" est de faire des économies. Logiquement, avec moitié moins de régions et avec la suppression des conseils départementaux, les économies réalisées pourraient être "énormes", comme l'écrit Capital.fr (article payant).
Selon René Dosière, député apparenté socialiste, spécialiste de la gestion des dépenses publiques, la fusion de régions et la disparition des départements pourrait permettre "entre 15 et 20 milliards d’euros d’économies", indique Europe 1. En 2013, l'Etat a donné 61,4 milliards d’euros aux collectivités locales. Un montant à relativiser : en 2012, le budget total des collectivités locales a représenté 195,5 milliards d'euros, selon l'Insee.
"Si on réduit de moitié le nombre de régions, cela peut provoquer des économies. Mais à condition qu'on divise les dépenses de fonctionnement, ce qui signifie moins d'élus, moins de personnel", estime notre experte des réformes territoriales. Les questions épineuses ne manquent pas : quid des 290 591 fonctionnaires territoriaux employés par les conseils départementaux ? Qui financera le RSA ? Quelle entité pour assurer tous les services actuellement pris en charge par les départements ? "Est-ce que les services de l'Etat en région absorberont tout ou bien seront-ils répartis dans les collectivités locales ? Il n'y a aucune réponse car ces questions sont éminemment politiques", constate Marie-Christine Steckel-Assouère.
Au quotidien, aurai-je moins de services ?
Cette rationalisation de la carte de France entraîne des peurs : des services éloignés des citoyens, une diminution des prestations sociales, des inégalités entre territoires "riches" et "pauvres"... Exemple : si les deux Normandie fusionnent, le choix de la capitale régionale (Rouen ou Caen) éloignera de fait une partie de la population du siège des administrations locales. Comme pour les économies attendues, il reste difficile de prévoir les effets concrets de cette réforme, car tout dépendra des choix politiques qui seront faits.
Toutefois, Marie-Christine Steckel-Assouère rappelle que depuis quelques années, "plusieurs réformes vont dans le même sens : les politiques publiques doivent être économes, efficientes et efficaces". "On a pu observer une logique de rationalisation des coûts dans les hôpitaux, les tribunaux, les universités qui sont des opérateurs de l'Etat...", dit-elle. "De la même façon qu'on s'est demandé ce que doit prendre en charge l'Etat, on doit se demander 'qu'est-ce que les collectivités locales doivent assumer ?' et 'quel pacte social voulons-nous ?'"
Et mon identité régionale, elle va mourir ?
Si certaines régions administratives disparaissent ou fusionnent, les identités régionales restent difficiles à effacer. Restera-t-on picard au sein d'une Picardie explosée ? Ce big bang pourrait être mal vécu. "Quand on a fait disparaître les numéros des départements sur les plaques d'immatriculation, il y a eu des déchirements", rappelle Marie-Christine Steckel-Assouère. Pour elle, la France est "éclatée vers le haut et vers le bas : on a délégué des compétences à l'Union européenne et en même temps nos collectivités locales ont plus de pouvoir. Donc on a besoin de se sentir reliés les uns aux autres et ce besoin d'identité se traduit par un attachement à son département, sa région."
Pour d'autres, le concept d'identité régionale est à relativiser. "Les identités régionales sont globalement faibles en France, sauf peut-être en Corse, en Bretagne et en Alsace. L'attachement au sein de la population n'est généralement pas si important", analyse Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de la décentralisation, interrogé par francetv info. Luc Rouban, sociologue spécialiste des administrations territoriales, souligne auprès du Figaro que s'il existe des identités régionales culturelles et historiques, "l'identité régionale n'existe pas au sens politique et social".
J'ai eu la flemme de tout lire et j'ai scrollé vers le bas. ;) Vous pouvez me faire un petit résumé ?
Manuel Valls souhaite que la moitié des régions fusionnent d'ici à 2017 et que les départements disparaissent à l'horizon 2021. L'idée est d'enlever une "couche" au fameux "millefeuille territorial". Le Premier ministre veut aussi renforcer l'intercommunalité (communautés d'agglomérations, communautés de communes, communautés urbaines, métropoles).
L'objectif est de simplifier le paysage administratif français dans le but de faire des économies. Mais la mise en œuvre concrète de ces réformes pose des questions éminemment politiques qui n'ont pas encore été tranchées.
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