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Pourquoi la France à 15 régions n'est pas pour tout de suite

François Hollande a évoqué la possibilité de diminuer le nombre de régions en France métropolitaine, afin de faire des économies. La proposition n'est pas nouvelle mais elle se heurte, localement, à de fortes réticences.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'entrée du conseil régional d'Ile-de-France, à Paris. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Donner davantage de pouvoirs aux régions, mais réduire leur nombre. L'idée n'est pas nouvelle, mais François Hollande l'a reprise à son compte, mardi 14 janvier 2014, lors de la troisième conférence de presse de son quinquennat.

Pour le président de la République, "il n'y a pas de raison que [le nombre de régions, 22 en métropole] soit le même dans quelques années". En contrepartie, les collectivités pourront se voir "confier un pouvoir réglementaire local d'adaptation".

Francetv info vous explique pourquoi l'idée aura du mal à passer.

Parce que l'idée a déjà été proposée... et contestée

A quoi pourrait ressembler la France métropolitaine des régions version François Hollande ? "Dans l'idée, c'est une quizaine de régions, soit sept de moins [qu'actuellement]", a confié Thierry Mandon au micro de RMC. Le patron des députés PS confirme le chiffre à francetv info, mais explique qu'il s'agit d'un seuil minimum et que tout se fera "sur la base du volontariat".

Le comité Balladur, chargé de réfléchir à la réforme des collectivités locales, était parvenu au même nombre de régions en 2009. Dans son rapport, aucune recommandation précise, mais à l'époque des pistes circulaient : démantèlement partiel de la Picardie, fusion de la Haute et de la Basse-Normandie, rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne, création d'une grande région Val de Loire (qui regrouperait la région Centre et une partie des départements des Pays de la Loire) ou encore fusion de la Vendée, du Poitou-Charentes et de l'Aquitaine, comme le montre cette carte publiée par Les Echos

 

Sauf que cette proposition a suscité, en 2009, l'ire d'élus locaux de tous bords. Des collectifs se sont créés. L'association des régions de France, qui regroupe les présidents de conseils régionaux, a même lancé un site Sauvons les régions pour mobiliser les citoyens. L'idée "est l'illustration même des faux débats qui nuisent à la résolution des vrais problèmes", écrivait alors l'association.

Résultat : presque cinq ans après le rapport Balladur, rien n'a bougé. La possibilité pour les régions de se regrouper existe pourtant bien dans la loi, mais elle n'est pas utilisée. Le Code général des collectivités territoriales précise que, pour que la fusion ait lieu, elle doit recueillir l'aval des conseils régionaux et de la majorité absolue des suffrages exprimés dans chacune des régions concernées, avec un minimum du quart des électeurs inscrits.

Parce que les "identités" régionales sont difficiles à effacer

Sur le papier, certaines fusions peuvent paraître logiques. "La question de la réunification des deux Normandies, on en parle depuis cinquante ans", assure Laurent Beauvais, président PS de la région Basse-Normandie. Favorable à une union avec son voisin haut-normand, il pointe "l'identité commune" des deux régions. D'ailleurs, les coopérations existent déjà, argue-t-il, dans les domaines ferroviaire, portuaire et universitaire.

A contrario, la Picardie, petite région de 2 millions d'habitants, aurait tout à perdre : elle pourrait être démantelée. "Ce n'est pas la taille qui compte, argumente Claude Gewerc, président PS de la région, farouchement opposé à une telle issue. En Allemagne, certains Länder sont plus petits que la plus petite des régions françaises." Pour lui, la Picardie est "une vraie région". Et l'élu de vanter la "terre des cathédrales", qui a vu "la naissance de la langue française".

Pas de quoi convaincre Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de la décentralisation. "Les identités régionales sont globalement faibles en France, sauf peut-être en Corse, en Bretagne et en Alsace, analyse-t-il. L'attachement au sein de la population n'est généralement pas si important." L'argument est, selon lui, exagéré par les présidents de régions.

Parce que la fusion est l'occasion de batailles de pouvoir

Fusionner les régions suppose surtout de choisir une nouvelle capitale régionale. C'est là tout l'enjeu, estime Patrick Le Lidec. "En Normandie par exemple, en cas de fusion, la question est de savoir qui de Caen ou Rouen sera choisie, décrypte-t-il. Si une ville perd son statut de chef-lieu, les commerçants vont protester parce qu'ils vont perdre des clients, le territoire devient moins attractif."

Et puis, qui dit région unique dit président unique. "La volonté politique est généralement faible de la part des présidents de région, remarque le spécialiste. Est-ce que vous avez envie de voir votre poste disparaître ? En cas de fusion, vous avez une chance sur deux de ne plus être le boss."

Parce que l'argument économique reste à démontrer

A quoi pense François Hollande avec sa proposition ? "Elle permettra des économies d'échelles, de services, une rationalisation de l'action", assure Thierry Mandon. Pour le député PS, la question se pose d'autant plus que "l'intolérance à l'impôt local se développe" et "les difficultés financières des collectivités perdurent".

Sauf qu'il le confesse, "il n'y a nulle part un objectif chiffré et précis". Aucun des rapports qui ont prôné la réduction ne s'avance sur ce sujet épineux. Les économies réalisées seraient relativement minimes, selon Claude Gewerc. "Les régions ne pèsent que 2% de la dépense publique, affirme l'élu. Où sont les marges de manœuvre économique ? Si c'est là que François Hollande veut faire des économies, il s'est trompé." 

L'argument économique est pourtant repris par les partisans des fusions. Laurent Beauvais, président de la Basse-Normandie, imagine "une plus grande visibilité", "une plus grande attractivité" pour la Normandie "réunifiée". Il n'y a "pas de tabou", répond dans un communiqué son homologue de Haute-Normandie, le PS Nicolas Mayer-Rossignol. Mais l'élu pose plusieurs conditions avant tout rapprochement, parmi lesquelles l'absence de hausse d'impôt ou encore la désignation de Rouen comme capitale.

"Il n'y a pas le même regard des deux côtés, reconnaît Laurent Beauvais. Je ne sais pas si cela joue, mais la Haute-Normandie est plus riche, plus peuplée que la Basse-Normandie." Au jeu de la fusion, certains auraient donc plus à perdre qu'à gagner. Bernard Cazeneuve, ministre du Budget, promet un "bonus" aux régions volontaires et envisage une moindre dotation pour les réfractaires. La carotte et le bâton pour convaincre.

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