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Référendum en Nouvelle-Calédonie : entre bataille de symboles et défiance mutuelle, une campagne bien plus tendue qu'en 2018

Par rapport au scrutin de 2018, la nouvelle campagne référendaire sur l'archipel est beaucoup plus agitée. Franceinfo a tenté de comprendre les crispations actuelles à l'approche du scrutin.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Les affiches de campagne pour le référendum sur l'indépendance, le 28 septembre 2020, à Kone, en Nouvelle-Calédonie. (THEO ROUBY / AFP)

La question reste la même, mais l'ambiance se révèle bien différente. La campagne pour le deuxième référendum sur l'indépendance en Nouvelle-Calédonie apparaît beaucoup plus tendue cette année que lors du premier exercice en 2018. "Au moment du premier référendum, c'était plutôt calme et bon enfant. Là, le climat s'est cristallisé en très peu de temps", constate le politologue Pierre-Christophe Pantz, spécialiste de la géographie électorale. "On entend des déclarations de plus en plus radicales, de plus en plus fermées", confirme avec amertume le député Philippe Dunoyer, qui milite avec son parti Calédonie ensemble pour un "non respectueux", conscient du nécessaire dialogue à mener avec les indépendantistes.

On régresse à la vitesse de la lumière, on a beaucoup perdu en deux ans.

Philippe Dunoyer, député de Nouvelle-Calédonie

à franceinfo

"De chaque côté, on se menace mutuellement, par communiqués interposés, de descendre dans la rue si l'autre organise des manifestations. Ce n'est pas très bon signe pour nos futures discussions", poursuit le député, qui siège à l'Assemblée dans le groupe UDI. Dans ce contexte pesant, les habitants de l'archipel, colonisé en 1853, vont devoir décider dans les urnes, dimanche 4 octobre, s'ils souhaitent rester dans le giron de la République française ou s'ils désirent accéder à la pleine souveraineté et à l'indépendance.

Sur le "Caillou", la question divise et déchaîne les passions. Les indépendantistes multiplient les meetings et les réunions en brousse dans les tribus pour convaincre de la solidité de leur projet. De leur côté, les anti-indépendantistes organisent du porte-à-porte, du tractage et des "pique-niques républicains" pour alerter sur les risques qu'ils redoutent et motiver leurs troupes. Autant d'occasions pour chaque camp d'accuser celui d'en face d'être responsable des tensions. 

Des militants pour le "non" à l'indépendance lors d'un pique-nique de lancement de la campagne des loyalistes, le 19 juillet 2020, à Nouméa. (THEO ROUBY / HANS LUCAS / AFP)

"Quand certains indépendantistes disent qu'ils veulent revenir à des discussions de peuple colonisé à Etat colonisateur, ce sont des déclarations radicales qui nous ramènent quarante ans en arrière", note ainsi Philippe Dunoyer. "Les anti-indépendantistes se livrent à une campagne démagogique avec des arguments mensongers, et on entend des propos de plus en plus racistes qui nous font revenir trente ans en arrière", accuse pour sa part Magalie Tingal, élue de l'UC-FLNKS dans la province Nord, en campagne pour le "oui".

L'étincelle du 14 juillet

Pour certains observateurs, la campagne a changé de dimension peu de temps avant le 14 juillet. A l'approche de la fête nationale, une gigantesque bâche aux couleurs de la France disposée sur l’hôtel de la province Sud est incendiée. Rapidement, les réactions se multiplient sur les réseaux sociaux pour condamner cet acte considéré comme un geste politique. "Ce nouvel épisode montre que nous n'avons qu'une chose à attendre du vote 'oui' à l'indépendance : la haine de la France, la violence, le chaos", réagit par exemple sur Facebook Philippe Blaise (Les Républicains calédoniens), vice-président de la province Sud.

"C'est une bêtise, mais il ne faut pas la surinterpréter politiquement", estime aujourd'hui Mathias Chauchat, professeur de droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie et partisan du "oui". "Il s'agit d'un Kanak qui a mal compris l'affaire, il a cru que la province Sud faisait de la provocation. C'est le réflexe d'un mec qui explose, en se disant : 'ce grand drapeau, ce n'est pas possible'."

Il a complètement improvisé. Il est allé acheter un bidon d'essence à la station-service en face, les gendarmes n'ont pas mis longtemps à le retrouver.

Mathias Chauchat, professeur de droit public

à franceinfo

La question du drapeau bleu-blanc-rouge est devenue très sensible sur l'archipel océanien depuis la publication d'un décret du gouvernement français, le 24 juin, permettant aux partis politiques de faire exception au Code électoral et d'utiliser le drapeau tricolore dans la propagande électorale. "Cet élément a fait monter la pression du côté des indépendantistes, car leurs adversaires vont brandir le drapeau national, comme si l'indépendance était voulue contre la France, explique l’anthropologue Alban Bensa. Or les indépendantistes pensent leur projet en partenariat, en associant la France."

"La course à l'échalote"

Le manque d'implication de l'Etat, qui revendique une position de neutralité, est aussi pointé du doigt. "L'utilisation des symboles a été rendue possible par un projet de décret qui est arrivé sans être l'objet de la moindre discussion entre les partenaires calédoniens, sans la moindre explication ni recherche d'un consensus. C'est un élément qui peut, on le constate, créer des crispations", regrette le député Philippe Dunoyer. "Il y a des polémiques dans une campagne, c'est naturel, mais on ne veut pas rentrer dans tout cela, esquive-t-on au ministère des Outre-mer. De toute façon, le moindre geste est interprété comme un coup de pouce aux loyalistes."

Les loyalistes, cette coalition de six partis de droite et d'extrême droite (dont Les Républicains calédoniens, Tous calédoniens et le Rassemblement national) ont ainsi massivement déployé le drapeau français au cours de la campagne. Ils rappellent que les indépendantistes brandissent de leur côté le drapeau kanak. Résultat, les rues de Nouméa sont régulièrement le théâtre de défilés de voitures qui jouent du klaxon en secouant des drapeaux par les fenêtres. "On a l'impression que c'est la course à l'échalote, observe le chercheur Pierre-Christophe Pantz. C'est à celui qui va être le plus vu et qui va occuper l'espace public avec son drapeau."

"En 2018, les partisans du 'non' avaient été encouragés à ne pas trop se montrer, à ne pas trop pavoiser, mais cette fois la bataille se joue aussi sur les symboles", se justifie Sonia Backès, chef de file des loyalistes. Effectivement, les résultats de 2018, plus serrés que prévu (43,33% pour le "oui"), ont amené les non-indépendantistes à s'engager un peu plus dans la campagne. "Le score a créé une inquiétude chez les loyalistes. Ils craignent une nouvelle poussée indépendantiste, donc ils sont beaucoup plus agressifs dans leurs propos", analyse Alban Bensa.

"Le système actuel est à bout de souffle"

Au-delà des symboles, la campagne s'est crispée autour de fantasmes sur les projets de chaque camp. Un document de travail des indépendantistes a ravivé les inquiétudes d'une partie des Calédoniens. Bien loin du "destin commun" pour les diverses communautés voulu par l'accord de Nouméa signé en 1998, le document évoque notamment le règlement des dettes "coloniale", "écologique" et "nickel" par la France. "Ce sont des propos assez agressifs pour une partie de la population calédonienne. Le document dit en substance : 'même si on perd au deuxième ou au troisième référendum, on ira négocier directement avec l'Etat colonisateur', ce qui remet clairement en question la légitimité des urnes, et ce avant même d'avoir voté", décrypte Pierre-Christophe Pantz.

"Il s'agit d'un document de travail interne qui n'a été jamais délibéré", souffle Mathias Chauchat. Ce partisan du "oui" renvoie plutôt au projet officiel de l'UC-FLNKS, qui cherche à rassurer sur l'indépendance avec une période de transition de trois ans, le temps d'élaborer une Constitution et de négocier un partenariat avec la France. Les indépendantistes accusent par ailleurs leurs adversaires de jouer sur les peurs dans cette campagne. "On nous a sorti des photos de gens qui étaient expulsés et qu'on voyait prendre l'avion avec leurs valises lors d'autres processus d'indépendance, raconte l'indépendantiste Magalie Tingal. Cela devient presque insultant, cette idée reçue qu'on mettrait en danger l'avenir de nos enfants."

L'indépendance a toujours été brandie comme un spectre de peur, de haine et de violences à chaque décision stratégique de ce pays.

Magalie Tingal, élue indépendantiste

à franceinfo

Par ailleurs, les indépendantistes n'oublient pas que même si les inégalités entre communautés se sont réduites ces dernières décennies, elles restent très importantes sur le "Caillou". "J'ai fait une étude en 2015, où l'on constatait que si la Nouvelle-Calédonie avait été un pays indépendant [et était dans le club des pays riches de l'OCDE], il s'agirait de la deuxième nation la plus inégalitaire, derrière Singapour", rappelle l'économiste Olivier Sudrie, spécialiste de l'outre-mer. Dans ce contexte, les intentions des loyalistes inquiètent également une partie de la population. "Ils font des propositions pour mettre fin en quelque sorte au processus de rééquilibrage économique et social, qui est pourtant une des raisons de la réussite de notre développement", déplore le modéré Philippe Dunoyer, partisan de la recherche d'un consensus entre communautés.

"A droite, ils ont beaucoup trop tiré le drapeau à l'extrême droite et se définissent désormais comme des Français de Nouvelle-Calédonie (comme il y avait des Français d'Algérie)", s'inquiète Mathias Chauchat. "Ils ont aussi un projet d'hyper-provincialisation, qui est une forme de partition du territoire", poursuit Philippe Dunoyer. La loyaliste Sonia Backès se défend de vouloir organiser une partition des trois provinces, mais plaide pour un renforcement de l'autonomie de chacune. "Je pense que le système actuel est à bout de souffle. On ne peut pas gérer les îles Loyauté et Nouméa de la même manière."

Le spectre des violences

Pour l'instant, cette campagne référendaire en reste aux mots et il n'y a pas de violences physiques à déplorer. "Je ne me sens pas en insécurité, c'est sûr que tout le monde parle de la campagne, mais ça reste assez calme", témoigne Anaïs, 27 ans, installée depuis plus de deux ans à Nouméa. Mais de nombreux observateurs redoutent les mois et les années à venir. "Plus on se rapproche de la fin du processus [défini par l'accord de Nouméa], plus les enjeux sont importants et plus c'est tendu", explique Pierre-Christophe Pantz. 

Les Calédoniens s'interrogent sur le dénouement de ce processus. "Tout le monde a compris que trois 'non' signifiaient la fin de l'accord de Nouméa. Et c'est une impasse", estime Mathias Chauchat. Dans un tel scénario, l'accord prévoit que "les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée". Mais les revendications indépendantistes du peuple kanak ne vont pas s'estomper, estime Pierre-Christophe Pantz : "Il est assez peu probable de voir les indépendantistes se dire 'bon, finalement on a perdu, on se laisse faire'." Mais pour la loyaliste Sonia Backès, "ils ont accepté le processus démocratique, donc la solution devra se trouver dans l'expression de la majorité."

Les campagnes référendaires ont tendance à créer des oppositions binaires, plutôt que du consensus. Et pour Philippe Dunoyer, les partenaires politiques doivent rapidement retrouver le chemin du dialogue, sinon la Nouvelle-Calédonie prend le risque de voir la situation se dégrader. "Si les marmites continuent de se secouer, si la pression monte, on crée les conditions susceptibles de nous amener à revivre des violences, alerte le député. Le retour des événements [de 1988] est un cauchemar qui ne me quitte pas. Je suis suffisamment vieux pour les avoir vécus et je ne veux pas que mes enfants ni personne revivent ça."

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