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RECIT. "Ça tirait dans tous les sens" : il y a 30 ans, l'armée donnait l'assaut pour libérer les otages de la grotte d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie

Anne Brigaudeau le vendredi 4 mai 2018

Un militaire dans la grotte d'Ouvéa (Nouvelle-Calédonie), en mai 1988. (HALEY / SIPA)

C'était il y a trente ans. Le 26 juin 1988, au terme d'un long et violent conflit qui fracture la Nouvelle-Calédonie, Jacques Lafleur (figure du camp anti-indépendantiste) et Jean-Marie Tjibaou (chef de file des indépendantistes) se retrouvent à Matignon, à Paris, pour signer un accord de paix historique. 

Un accord qui survient près de deux mois après la sanglante prise d'otages de la grotte d'Ouvéa. Le 5 mai 1988, l'armée française lance en effet l'assaut pour libérer 23 gendarmes otages des indépendantistes. Si tous les otages sont ramenés sains et saufs, l'opération fait 21 morts : deux parmi les forces de l'ordre, 19 chez les Kanaks (les Mélanésiens autochtones).

Ce soir de mai 1988, à Nouméa, le ministre des Dom-Tom d'alors, Bernard Pons, expliquait qu'"il y allait de l'honneur de la France et de la vie des otages", déplorant "une minorité de terroristes qui ne croient qu'en l'assassinat et la violence". "Ce jour est un jour de honte pour le peuple français, qui est comptable, devant les nations civilisées, de cette barbarie coloniale", répliquait le président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) Jean-Marie Tjibaou. A 17 000 km de là, l'épisode fait culminer la tension entre les deux candidats à l'Elysée, le président de la République sortant François Mitterrand et son Premier ministre Jacques Chirac. Retour sur une journée sanglante qui a marqué les mémoires.

"Une combinaison qui pue le rat crevé"

Photographiée en 2008, la grotte de Gossanah, où 23 gendarmes ont été retenus en otages en 1988. (MARC LE CHELARD / AFP)

Ce 5 mai 1988 à l'aube, Alain Guilloteau vient de passer sa neuvième nuit dans la grotte d'Ouvéa. La tête sur une rangée de cailloux, le corps endolori sur le sol, il a mal dormi, dans sa combinaison d'intervention qui "pue le rat crevé". Avec cinq autres gendarmes du GIGN, il s'est rendu aux indépendantistes kanaks lors d'une négociation qui a tourné court, quelques jours plus tôt. Leurs interlocuteurs menaçaient de tuer un de leurs prisonniers, "un adjudant-chef de Villeneuve-d'Ascq", se souvient, trois décennies plus tard, celui qui est aujourd'hui directeur du patrimoine de la mairie de Compiègne (Oise).

A la tête des ravisseurs, l'ancien séminariste Alphonse Dianou détient désormais 23 captifs. Il a capturé 16 d'entre eux, des gendarmes mobiles, lors de l'occupation de la gendarmerie de Fayaoué, plus au sud, le vendredi 22 avril. L'action avait été organisée pour protester contre la tenue, le dimanche suivant, d'élections régionales gravant dans le marbre un nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie désapprouvé par les indépendantistes, explique La 1ere

L'opération tourne mal : quatre militaires – Georges Moulié, Edmond Dujardin, Daniel Leroy et Jean Zawadzki – sont tués. Les indépendantistes s'emparent des armes présentes dans l'armurerie de la gendarmerie : "Une dizaine de fusils semi-automatiques, une vingtaine de fusils d'assaut Famas, une mitrailleuse AA 52", énumère Philippe Legorjus, ancien commandant du GIGN, dans son livre Ouvéa, la République et la morale (Ed. Plon, 2011).

Puis le commando kanak se scinde. Un premier groupe part vers le sud et libère au bout de trois jours ses 11 prisonniers, à l'issue d'une négociation avec les chefs coutumiers. Le second, celui de Dianou, rejoint le nord et se dirige vers le territoire de la tribu de Gossanah, dans une grotte difficile d'accès "où sont enterrés les guerriers les plus valeureux", note encore Legorjus.

Dans le cratère corallien, enserré dans une brousse dense, la tension est maximale. Les six gendarmes du GIGN sont cantonnés à l'intérieur d'une des cavités, menottés deux par deux. Le menu est spartiate, raconte Alain Guilloteau.

On se partageait une assiette de riz le midi, avec parfois une queue de poisson. Le soir, les Kanaks nous amenaient les rations de guerre fournies par l'armée et des berlingots de confiture, qu'on suçait le matin avec le thé.

 Alain Guilloteau, ancien gendarme du GIGN

"Je n'ai jamais reçu de coups, ajoute-t-il. En revanche, ils voulaient savoir s'il y avait parmi nous le tireur du GIGN qui avait abattu l'indépendantiste Eloi Machoro lors d'un assaut en 1985, pour 'lui couper la tête'". Les militants kanaks voient aussi, dans les gendarmes du GIGN, des militaires ayant participé aux recherches musclées menées par l'armée pour retrouver les gendarmes de Fayaoué.

Contraints de rester dans la caverne, les membres du GIGN envient leurs codétenus. Plus libres de leurs mouvements, les gendarmes mobiles peuvent en effet faire des allers-retours entre l'intérieur et l'extérieur de la grotte, sous la surveillance des indépendantistes armés.

A Ouvéa, "c'était la guerre"

Des renforts sont positionnés, le 27 avril 1988, près de la gendarmerie de Canala où des civils se sont réfugiés, pendant la prise d'otages de la grotte d'Ouvéa. (REMY MOYEN / AFP)

Ouvéa est en état de siège. Depuis l'attaque de la gendarmerie, le blocus est total, la presse interdite. "Il n'y avait pas un seul journaliste sur l'île", assène Dominique Tierce, alors envoyée spéciale d'Antenne 2 en Nouvelle-Calédonie. Plusieurs centaines de militaires, dont une équipe du GIGN, y ont débarqué. Leur objectif est de localiser les otages, y compris par la manière forte. Les jeunes de la tribu de Gossanah témoigneront de la brutalité de l'interrogatoire. "Il n'est pas impossible qu'ils aient été interrogés un peu violemment", admet le général Jacques Vidal, alors commandant des forces armées en Nouvelle-Calédonie. 

Un euphémisme, à en croire l'enquête publiée en 1989 par la Ligue des droits de l'Homme.

Les forces de l'ordre ont eu un comportement de troupes en guerre vis-à-vis de populations "ennemies" (...) Si la plupart des faits signalés ne peuvent effectivement être qualifiés de "tortures", mais simplement de "sévices", il n'en va pas de même de coups de feu rasants, de simulacres d'exécution ou de l'utilisation, signalée à plusieurs reprises, de matraques électriques.

La Ligue des droits de l'Homme, dans une enquête publiée en 1989.

"C'était la guerre, j'avais l'impression que tous les militaires de Nouvelle-Calédonie étaient dans la tribu", confirme Paulo Wea, un habitant de Gossanah, trente ans après les faits, à La 1ere. Il est alors âgé de 23 ans. "Ils nous ont emmenés puis attachés à des poteaux, raconte-t-il. Nos mains étaient liées. Croisés autour des poteaux, nos pieds ne touchaient pas terre. Ils nous demandaient 'Où sont les otages ?', 'Qui est le meneur ?'. Je répondais : 'je ne sais pas', et un soldat sautait sur nos cuisses. On ne sentait plus nos jambes."

Ils nous ont séparés. Les femmes et les enfants d'un côté, les hommes et les jeunes de l'autre. Avec un cousin, ils nous ont emmenés derrière l'église. ils nous ont fait coucher par terre, puis nous ont demandé de retirer nos vêtements. On a refusé. Ils nous ont frappés. Nous étions nus, allongés sur le sol, je ne voyais que la poussière. L'un d'eux tirait des coups de feu entre nos jambes. J'ai cru qu'ils allaient nous tuer.

Paulo Wea, habitant de Gossanah.

L'armée finit par obtenir les renseignements recherchés et à trouver le chemin de la grotte, mais les échanges patinent.  Une tentative de dialogue avec les ravisseurs menée par le chef du GIGN Philippe Legorjus et du procureur de la République de Nouméa, Jean Bianconi, se conclut piteusement par la prise d'otages des négociateurs"Les preneurs d'otages n'ont jamais voulu négocier, déclare Bernard Pons à La 1ere. Ils exigeaient que Monsieur François Mitterrand, président de la République, vienne sur place à Gossanah et annonce l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. C'était une demande irréaliste."

"Difficile et risquée", l'opération Victor se prépare

 (FRANCOIS XAVIER MARIT / AFP)

A des milliers de kilomètres, la tension est maximale au sein du duo exécutif Mitterrand-Chirac, adversaires pour l'élection présidentielle de mai 1988. Partisan de la manière forte, le Premier ministre entend se poser en garant de l'ordre républicain, de Paris jusqu'aux atolls français du Pacifique. Lors du débat de l'entre-deux-tours, le 28 avril, il qualifie le FLNKS de "groupe terroriste", coupable, selon lui, d'avoir "préparé le drame d'Ouvéa". Puis il lance à son adversaire : "Vous savez, monsieur Mitterrand, si on n'avait pas systématiquement encouragé le FLNKS (...), nous n'en serions pas là !" "Irréel et injuste", rétorque le chef de l'Etat.

En coulisses, l'assaut se prépare. Dès le samedi 30 avril, le général Vidal organise à Nouméa, en présence du ministre Bernard Pons, une réunion à ce sujet. Dans son livre, Philippe Legorjus se dit "très surpris d'apercevoir les chefs de la force spéciale du 11e Choc, qui intervient normalement pour les services secrets (DGSE), et ceux du commando Hubert de nageurs de combat". Ces unités d'élite opérent, en principe, hors de France. Il s'étonne également des choix techniques évoqués, incluant même "une bombe guidée au rayon laser". "Simple brainstorming", rétorque le général Jacques Vidal. Il n'a jamais été envisagé de s'en servir".

Le 3 mai, à Matignon, la décision est prise. Jacques Chirac appelle le général Vidal pour mesurer les risques de l'opération. Dans le documentaire Grotte d'Ouvéa : autopsie d'un massacre, l'officier supérieur précise que le Premier ministre, "ouvrant le parapluie", lui demande de "s'engager sur les pertes possibles". Le général prédit alors un assaut "difficile et risqué".

J'estime que dans le meilleur des cas, les pertes [chez les militaires et les otages] peuvent atteindre 1 à 2 tués et 6 à 8 blessés et, dans le pire des cas, une dizaine de tués et une vingtaine de blessés.

Le général Jacques Vidal

En Nouvelle-Calédonie, le feu vert au déclenchement de "l'opération Victor" ne parvient au général Vidal qu'à minuit. Trop tard, affirme-t-il à franceinfo, pour organiser l'assaut le lendemain à l'aube, comme prévu initialement. Il est donc repoussé au 5 mai pour des raisons militaires, assure-t-il. Et non, comme l'ont suggéré de mauvaises langues, pour éviter de ternir l'excellente nouvelle de ce 4 mai en métropole, la libération à Beyrouth du journaliste Jean-Paul Kauffmann et des diplomates Marcel Carton et Marcel Fontaine, otages détenus depuis trois ans au Liban dans des conditions effroyables.

Dans la grotte, Alain Guilloteau sait l'assaut imminent, grâce à des messages codés diffusés à la radio militaire donnée par l'armée aux indépendantistes. Mais aussi grâce à Jean Bianconi, otage et négociateur à la fois, donc libre d'aller et venir dans la journée, à condition qu'il soit de retour le soir.

[La veille de l'assaut], tout d'un coup, Bianconi commence à se déshabiller. Interloqués, on lui dit : 'mais qu'est-ce que vous faites, procureur' ? Il avait caché dans ses vêtements deux "Chiefs", des petits Smith & Wesson, et dix cartouches. Il nous les a donnés. C'est le héros de cette histoire : il risquait sa vie s'il était pris.

 Alain Guilloteau, ancien gendarme du GIGN

Les revolvers doivent leur permettre de se défendre pendant l'assaut, s'il prend envie aux ravisseurs de les exécuter. Jean Bianconi leur fournit en même temps des clés pour ouvrir leurs menottes, subtilisées à la gendarmerie de Fayaoué. D'autres idées de la hiérarchie militaire étaient moins pertinentes, dans le souvenir de l'ex-otage.

Ils voulaient nous faire parvenir des cordelettes pour étrangler nos ravisseurs, on leur a dit : 'Ce n'est pas possible, on n'est pas James Bond'.

 Alain Guilloteau, ancien gendarme du GIGN

"On entendait des centaines de cartouches tirées"

Des troupes de l'armée française attendent leur départ après la libération des otages de la grotte d'Ouvéa, le 5 mai 1988, à Ouvéa. L'assaut a fait 21 morts, 19 Kanaks et deux militaires. (REMY MOYEN / AFP)

Le jour J, couverts par le bruit des hélicoptères, 74 militaires surentraînés – de quatre corps d'armée différents – s'élancent à 6 heures du matin vers la cuvette donnant accès à la grotte. "Ça tirait dans tous les sens", se rémémore Alain Guilloteau. "Les militaires français font face à un déluge de feu, affirme le GIGNLa densité de la végétation (...) diminue considérablement la visibilité. L'ordre est alors donné de se replier." Ce premier assaut est meurtrier : la majorité des Kanaks sont tués à ce moment-là, ainsi que deux militaires du 11e Choc.

En moins d'une heure, les positions se figent, au désespoir des six otages du GIGN. "Trois Kanaks descendent dans la grotte, ils tirent deux à trois rafales de Famas vers nous, raconte Alain Guilloteau. Nous étions derrière une butte de terre. Ils avaient des armes de guerre, nous des 'chiefs'. Picon et Dubois [deux otages officiers du GIGN] ont tiré deux fois pour les maintenir à distance. Au-dessus, on entendait des centaines et des centaines de cartouches tirées. Puis plus rien." Les gendarmes mobiles, eux, sont réfugiés au fond de la grotte.

L'attente paraît interminable. Elle dure quatre heures. Après le premier assaut, auquel le patron du GIGN n'a assisté qu'en conseiller "technique", selon le général Vidal, Philippe Legorjus quitte le terrain. Partisan d'une solution négociée, il va tenter une dernière fois de joindre, dira-t-il, des dirigeants du FLNKS. En son absence – toujours pas digérée par ses hommes –, le sous-officier du GIGN Michel Lefèvre dirige l'assaut final. Vers midi, sous son commandement, l'unité "neutralise" l'indépendantiste kanak qui surveille l'entrée de la grotte et utilise, selon Michel Lefèvre, deux gendarmes comme boucliers humains. Puis, à la tête de ses troupes, il "monte à l'assaut".

On a tiré sur le bas de la grotte au lance-flammes, pour un effet boule de feu dissuasif. Mais pas à l'intérieur : on n'allait pas griller les gendarmes. Puis on a pu arriver à la grotte. Le 11e Choc s'est écarté, on a balancé quelques grenades offensives et défensives et les Kanaks sont descendus au fond de la grotte. A ma grande surprise, deux gendarmes du GIGN sont alors sortis par une cheminée et, à leur suite, tous les otages.

Michel Lefèvre, sous-officier du GIGN

Pour Alain Guilloteau, la fin du cauchemar coïncide avec une plongée surréaliste dans l'univers des Bronzés. "On nous a emmenés par avion le soir même au Club Med de Nouvelle-Calédonie pour dormir, déroule-t-il. On arrive à minuit, on tombe sur trois types qui grattent une guitare et on leur demande où on peut aller manger. Ils nous indiquent la discothèque. Vous imaginez comme j'avais envie d'aller en boîte de nuit ! J'ai pris une douche, je sentais le fennec. Puis je suis allé à la discothèque où ils m'ont servi un croque-monsieur et un hot dog."

"Ils ont fait la peau" à Alphonse Dianou

Des personnes se recueillent devant les sépultures de militants indépendantistes tués pendant l'assaut de la grotte, le 8 mai 1988 à Ouvéa. (REMY MOYEN / AFP)

Dans la grotte, l'heure est venue de compter les morts. L'armée en déplore deux : l'adjudant Régis Pedrazza et le 2e classe Jean-Yves Véron. Côté kanak, le bilan est lourd. On décompte dix-huit tués "pendant l'assaut" selon l'armée : Wenceslas, Jean et Edouard Lavelloi, Michel et Donatien Wadjeno, Philippo et Nicolas Nine, Athanase et Ben Dao, Lockis Oukewen, Zephirin Kella, Nicodeme Teimboueone, Jean-Luc Majele, Martin Aiwe, Amosa Waina, Samuek Wamo, Vincent Daoume, Esekia Ihily. Le dix-neuvième, Alphonse Dianou, 29 ans, meurt l'après-midi des suites d'une blessure.

Très vite, les jeunes Kanaks présents sur les lieux contredisent la version officielle. "Alphonse Dianou et deux autres [Kanaks] auraient été exécutés après avoir accepté de se rendre", titre Le Monde le 10 mai. Selon les témoins cités par le journal, lorsque Dianou est sorti de la grotte "après avoir jeté ses armes au sol"les militaires l'ont fait coucher par terre. "Puis un militaire a tiré un coup de feu sur la jambe d'Alphonse."

Et ensuite ? "Ils ont fait la peau" à Dianoua confié Dominique Stahl, ancien médecin détaché de la garnison militaire de Nouméa, au journaliste Jean-Guy Gourson. Sur son blog Ouvéa 1988, relayé par Mediapart, l'ancien grand reporter de L'Evénement du jeudi livre plusieurs témoignages qui font état de violences à l'égard du leader des ravisseurs, notamment après son transport à Saint-Joseph, un village proche de la grotte. Il est alors placé dans un camion.

Une fois Dianou allongé sur le plancher [du véhicule], [un capitaine] (...) lui est monté dessus et a ordonné à ses gens de faire la même chose (...). Il appuyait sur la cage thoracique (...) Dianou hurlait de douleur.

Henri Knorst, gendarme parachutiste, cité par Jean-Guy Gourson

La mort est constatée l'après-midi à l'hôpital où le chef des ravisseurs a été amené, très tardivement. "Je reconnais qu'il a été maltraité par un officier lors de son évacuation", avoue aujourd'hui le général Vidal.

Wenceslas Lavelloi, ancien sous-officier de l'armée française passé au FLNKS, était lui aussi désarmé, selon les témoignages de jeunes recueillis à l'époque par Le Monde : "Wenceslas a été emmené dans un coin qu'on ne voyait pas au-dessus de la grotte. On a entendu un coup de feu et le militaire a dit : 'Le tour de Lavelloi est fini, au suivant'. " Le quotidien évoque aussi les circonstances de la mort d'Amosa Waina, 19 ans, un des jeunes porteurs de thé sans arme, qui ravitaillait la grotte depuis le village de Gossanah. "Ses camarades racontent qu'il s'est levé parce qu'un militaire l'a interpellé, écrit Le Monde. Quand il s'est mis debout, expliquent-ils, il a reçu un coup de feu et il s'est écroulé." 

Dans son enquête, La Ligue des droits de l'Homme avait aussi relevé que la plupart des "militants kanaks tués présentaient des blessures invalidantes, voire mortelles, plus une balle dans la tête". Pour Philippe Legorjus, les lourdes pertes kanakes sont induites par le type d'intervention choisie.

Quand vous êtes dans un assaut de type militaire, dans un entrelacs de végétation, de lianes, de rochers, que vous êtes confronté à un adversaire et <span>que c'est lui ou vous, vous vous assurez qu'on ne vous tire pas dans le dos. Techniquement, l'assaillant s'assure qu'il n'y aura pas de riposte contre lui.</span> C'est cru, mais c'est comme ça que ça se passe. C'est une règle de survie.

Philippe Legorjus, ancien commandant du GIGN

L'explication ne convainc pas Jean-Guy Gourson, pour qui l'enquête "n'est pas terminée". Lui affirme notamment sur son blog qu'un quatrième militant kanak, Samuel Wamo, blessé à l'issue du premier assaut, a été "achevé" par un militaire au lieu d'être évacué.

Avec les accords de Matignon, l'amnistie

De droite à gauche, les membres de la mission du dialogue – Roger Leray, Pierre Steinmetz, Jean-Claude Périer, Christian Blanc, Jacques Stewart et Paul Guiberteau – répondent aux journalistes à leur arrivée à Nouméa, le 20 mai 1988. (REMY MOYEN / AFP)

Dans l'après-midi qui suit l'assaut, Bernard Pons tient une conférence de presse à Nouméa, la capitale régionale. "Il y a sur cette terre de Nouvelle-Calédonie une immense majorité d'hommes et de femmes (...) qui ne veulent plus de violence. Il y a malheureusement une poignée d'extrêmistes, de terroristes, martèle le ministre. Qu'ils sachent qu'ils ne trouveront pas au bout du chemin la réalité de ce qu'ils souhaitent." "Affirmer aujourd'hui que des preneurs d'otages ont été exécutés est un mensonge pur et simple et constitue aussi une injure pour les morts canaques qui sont tous tombés les armes à la main et ont combattu vaillamment, se défendant bec et ongles", assure quelques jours plus tard Philippe Legorjus.

La justice se penche tout de même sur trois morts. En juin 1988, le procureur de la République à Nouméa Jean-Pierre Belloli requiert l'ouverture d'une information contre X pour non-assistance à personne en danger concernant Alphonse Dianou, et pour homicide volontaire en ce qui concerne Wenceslas Lavelloi et Waina Amossa. Il n'y aura jamais de suite.

Confortablement réélu, François Mitterrand nomme Premier ministre Michel Rocard. Celui-ci charge le préfet Christian Blanc d'une mission pour ramener la paix en Nouvelle-Calédonie. Le 26 juin 1988, le député RCPR (affilié au RPR de Jacques Chirac) Jacques Lafleur, chef de file des anti-indépendantistes, et le président du FLNKS Jean-Marie Tjibaou signent les accords de paix de Matignon. Le texte reconnaît que "les Kanaks ont été repoussés aux marges géographiques, économiques et politiques de leur propre pays" et planifie un processus de développement pouvant mener à l'autodétermination dans des conditions équitables.

Le paquet cadeau prévoit aussi l'amnistie pour la mort des quatre gendarmes le 22 avril à Fayaoué, et pour celles des deux militaires et des 19 indépendantistes lors de l'assaut du 5 mai. Il interdit tout procès. Le 18 août 2008 sur France Culture, rapporte Mediapart, Michel Rocard livre cet aveu :

Des blessés kanaks ont été achevés à coups de bottes par des militaires français dont un officier. Il fallait prévoir que cela finisse par se savoir et que ceux-là aussi soient garantis par l'amnistie.

Michel Rocard, ancien Premier ministre

Les derniers morts liés à cette prise d'otages surviendront un an plus tard. "En avril 1989, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné assistent à Ouvéa à une cérémonie coutumière en hommage aux morts, retrace Le Monde. Un homme se lève. Il s'appelle Djubelli Weah. Il est le chef politique de la tribu radicale de Gossanah, à proximité de laquelle la tragédie a éclaté. Il sort un pistolet et il tue à bout portant les deux figures du FLNKS avant d'être abattu à son tour." "Djubelli Weah voulait venger les morts d'Ouvéa qu'il estimait trahis" par les accords de Matignon. La paix est un long combat.

Texte : Anne Brigaudeau

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