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L'article à lire pour comprendre le débat sur le revenu universel

L'idée d'allouer un revenu universel à tous les citoyens n'est pas nouvelle, mais a refait surface lors des débats de la primaire de la gauche. Franceinfo vous explique de quoi il s'agit.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Outil de liberté pour les uns, "irréalisable" pour les autres, le revenu universel divise les candidats de la primaire de la gauche. (MAXPPP)

Considérée jusqu'à peu comme une utopie, la création d'un revenu universel en France est largement débattue depuis quelques mois au sein de la classe politique, notamment entre les candidats de la primaire de la gaucheRéponse à la raréfaction du travail pour les uns, outil de liberté pour les autres, l'idée divise à droite comme à gauche. Dans le monde, plusieurs pays comme les Pays-Bas ou l'Inde ont lancé des initiatives allant dans ce sens, afin de répondre à l'évolution du monde du travail. Mesure émancipatrice ou piège économique ? Franceinfo fait le point.

C'est quoi le revenu universel ?

Qu'on l'appelle "revenu universel", "revenu de base", "allocation universelle", "revenu inconditionnel" ou encore "salaire à vie", le principe du revenu universel est assez simple : il doit assurer à chacun un revenu minimum suffisant pour vivre. Selon le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), le revenu universel doit être versé que l'on travaille ou non, que l'on soit salarié, lycéen ou retraité, et quelle que soit la situation financière de son foyer. Il peut être cumulable avec un salaire, doit être versé automatiquement, de manière permanente, de la naissance à la mort. En gros, tout le monde y a droit toute la vie, les petits revenus comme les gros.

Et ça change quoi par rapport au RSA ?

Ce n'est pas du tout la même chose ! Le versement du revenu de solidarité active est défini selon des critères très précis : l'âge, le statut, les revenus... En France, une personne peut toucher le RSA à partir de ses 25 ans. Il est possible de le demander à partir de 18 ans en ayant exercé une activité à temps plein durant au moins 2 ans sur les 3 dernières années ou en ayant un enfant, rappelle le site de la Caisse d'allocations familiales. Le montant attribué dépend des ressources du demandeur : il varie de 535 à environ 1 300 euros. Et surtout, il faut en faire la demande pour en bénéficier.

Mais ça sort d'où cette idée ?

L'idée d'une allocation universelle émerge dès le XVIe siècle, sous la plume du philosophe Thomas More dans son ouvrage L'Utopie. L'auteur y imagine une île où chacun serait assuré de sa survie sans avoir à dépendre de son travail, rappelle Le Monde. Deux siècles plus tard, en 1797, le Britannique Thomas Paine défend dans La Justice agraire, l’idée d’un fonds alimenté par les propriétaires terriens afin de verser à chaque individu un revenu minimum à sa majorité.

Au XXe siècle, cette idée de revenu de base est reprise par les théoriciens de la justice, comme le philosophe américain John Rawls, qui plaide pour "l'égalité réelle des chances" et soutient l'idée que les gouvernements doivent garantir un "revenu social minimum". En France, le philosophe Michel Foucault le défend dans les années 1970, notamment parce qu'il permettrait de libérer les individus du contrôle permanent de l'Etat.

L'idée du revenu universel n'est ni de droite, ni de gauche. Ses plus ardents défenseurs se trouvent chez les économistes libéraux, parmi lesquels Milton Friedman, le fondateur de l'Ecole de Chicago. En 1962, dans son ouvrage Capitalisme et liberté, l'économiste développe la théorie du "revenu permanent", qui permettrait aux individus de mieux anticiper leur consommation, et serait un moyen de simplifier les aides sociales et d'alléger le rôle de l'Etat.

En France, qui le propose et qui s'y oppose ?

A gauche, le revenu universel est défendu par Benoît Hamon, mais aussi par son adversaire à la primaire de la gauche, Jean-Luc Bennahmias. Pour l'ancien ministre de l'Education, le revenu universel est une réponse à la "raréfaction probable du travail liée à la révolution numérique", mais aussi la possibilité de choisir son temps de travail pour "s'épanouir dans d'autres activités que l'emploi".

En revanche, Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et Manuel Valls s'y opposent dans cette version, pour des raisons budgétaires mais aussi sur le fond. "Je crois à la société du travail, parce que c'est l'outil de la dignité du citoyen", souligne Arnaud Montebourg. "Je veux une solidarité qui inclut, pas qui exclut : 'je te donne de l'argent, tu restes chez toi et je me sens quitte', c'est ça le revenu minimum d'existence", objecte Vincent Peillon.

Plutôt qu'un revenu universel versé à tous sans condition de ressources, "de l'ouvrier jusqu'à Liliane Bettencourt", Manuel Valls préfère un "revenu décent" réservé aux plus modestes. Le Parti communiste, Jean-Luc Mélenchon et le NPA s'y opposent aussi car leur objectif reste le plein-emploi et la réduction du temps de travail.

Yannick Jadot, le candidat d'Europe Ecologie-Les Verts, y est favorable tout comme Pierre Larrouturou, de Nouvelle Donne, et Charlotte Marchandise, la candidate de LaPrimaire.org.

A droite, les anciens candidats à la primaire Nathalie Kosciuzko-Morizet et Jean-Frédéric Poisson y étaient tous les deux favorables. Sous forme d'un revenu de base fusionnant RSA, allocation de solidarité spécifique et prime d'activité pour la députée de l'Essonne, et comme substitution à toutes les allocations sociales et familiales pour le président du Parti chrétien-démocrate, note Le Monde.

Des associations comme le Mouvement français pour un revenu de base, le think-thank libéral Génération libre se prononcent également en sa faveur. D'autres, comme le Secours populaire ou ATD Quart Monde, considèrent qu’il serait dégradant pour les plus précaires de toucher une allocation de l’Etat sans contrepartie d’une activité.

Des gens seraient donc payés "à ne rien faire" ? Quel est l'intérêt ?

Avec un revenu à vie garanti, "plus besoin de travailler !" pourrait-on penser. Mais on ne parle pas d'une allocation mensuelle de plusieurs milliers d'euros, mais de sommes allant de 400 euros à 1 000 euros. Avec de tels montants, il paraît donc peu aisé de "bien vivre" sans revenus complémentaires.

Au-delà des enjeux économiques, le débat est aussi philosophique. "Il pose les vraies questions de notre XXIe siècle", soulignent Clémentine Lebon et Olivier Le Naire, auteurs de Revenu de base, une idée qui pourrait changer nos vies (éd. Actes Sud), sur France Culture. Comment repenser le travail ? Comment lutter efficacement contre la pauvreté et les inégalités ? Comment redynamiser les campagnes ?

Pour certains de ses partisans, plutôt à gauche, avoir un revenu garanti permettrait à chacun d'être libre de choisir son mode de vie, de ne pas être dépendant du travail dans une société qui en propose de moins en moins, résume Le Monde. Cela permettrait aux individus de se consacrer à d'autres activités (bénévoles, par exemple) puisqu'ils n'auraient pas à travailler pour subvenir à leurs besoins de base.

Pour les plus libéraux, c'est une façon de libérer l'individu de la tutelle de l'Etat et de flexibiliser le marché du travail. En revanche, les opposants y voient un abandon de l'Etat, notamment dans sa mission d'accompagnement, une individualisation de la société et une déresponsabilisation des individus.

Mais cela coûterait une fortune ! Qui le financerait ?

Son coût est évalué à au moins 300 milliards d'euros par Benoît Hamon pour un revenu porté progressivement à 750 euros par mois pour les personnes majeures. Afin de rendre le revenu universel supportable pour les dépenses publiques, Benoît Hamon propose une application progressive. Sur son site de campagne, il évalue la première étape à 45 milliards d'euros et propose de la financer par un impôt unique sur le patrimoine, mettant davantage à contribution les plus aisés. Ensuite viendrait la "généralisation" du revenu universel.

Inspiré des travaux de Milton Friedman, le think-thank Génération Libre prévoit de le financer par une "libertaxe" à hauteur de 23% pour tous. "Si la différence entre les deux est négative, le contribuable reçoit la somme équivalente. Si elle est positive, elle constitue sa contribution nette à la collectivité", détaille Le Monde. Cette "libertaxe" remplacerait l'impôt sur le revenu, celui sur les sociétés et la CSG.

Le revenu universel pourrait aussi permettre de réaliser des économies. Selon un rapport rendu par le Sénat en octobre 2016, en simplifiant les procédures administratives, il permettrait de "réaliser des économies de gestion". Dans une note publiée en mai 2016, la Fondation Jean-Jaurès ajoute qu'il pourrait faire économiser 10 milliards d'euros à la Sécurité sociale.

A-t-il été testé à l'étranger ?

Plusieurs villes ou pays dans le monde ont mis en place ou expérimentent une forme de revenu universel. La ville de Dauphin, au Canada, a versé dans les années 1970 une allocation de base pour les plus démunis de ses 10 000 habitants. "Tous nous ont mentionné le bienfait du programme pour l’éducation, analyse la chercheuse Evelyn Forget, soit parce qu’ils avaient réussi à obtenir une formation professionnelle, soit parce que leurs enfants avaient pu étudier plus longtemps à l’école."

L'Alaska a aussi mis en place un revenu annuel permanent depuis 1982. Issu des revenus du pétrole et du gaz, l'Alaska Permanent Fund est attribué à partir de l'âge de 5 ans, pour un montant d'environ 144 euros par mois.

Depuis le 1er janvier 2017, la Finlande est devenu le premier pays européen à créer un revenu de base au niveau national. Quelque 2 000 personnes, demandeurs d'emploi, sur un pays de 5,5 millions d'habitants, vont percevoir 560 euros par mois pendant deux ans. La somme va remplacer leur allocation chômage.

Au Pays-Bas, plusieurs villes ont décidé de le substituer aux allocations sociales, comme la ville d'Utrecht. Depuis un an, 300 bénéficiaires des indemnités chômage ou des minima sociaux reçoivent un revenu mensuel de 900 euros, explique Géopolis. Des expérimentations ont aussi été faites aux Etats-Unis et en Inde, auprès de populations très modestes.

J’ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?

Depuis plusieurs semaines, le revenu universel fait débat entre les candidats de la primaire de la gauche. Il consiste à verser une somme d'argent tous les mois à tous les citoyens, quels que soient leurs revenus, leur âge, et ce de la naissance à la mort. Il est cumulable avec un travail. En revanche, son application et ses fins diffèrent entre les partisans et les opposants au concept.

Filet de protection pour les individus les plus fragiles et moyen d'émancipation pour les uns... Le revenu universel déresponsabiliserait les individus et représente un coût trop important pour l'Etat pour les autres. Financé par un impôt progressif, ou une taxe progressive, il représenterait en France, un coût d'environ 300 milliards d'euros, selon la Fondation Jean-Jaurès, qui le qualifie "d'utopie la plus réaliste".

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