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Mort de Bernard Tapie : "Tout ce qu'il touchait, il voulait le transformer en or" raconte Charles Biétry

Ancien directeur des sports de Canal Plus et président du PSG, Charles Biétry, évoque ses souvenirs et ses relations avec l'ex-président de l'OM Bernard Tapie.

Article rédigé par franceinfo: sport - Hugo Lauzy
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Charles Bietry en 2018.  (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Dans le monde du sport depuis ses débuts, l'ex-grand reporter et directeur des sports de Canal Plus de 1984 à 1998, Charles Biétry, a bien connu l'ancien président de l'OM Bernard Tapie, décédé dimanche 3 octobre. Pour franceinfo:sport, l'ex-président du PSG (1998) a accepté de revenir sur une histoire professionnelle mais aussi personnelle, entre deux hommes qui se sont souvent croisés au cours de leurs carrières respectives.

Qu’est-ce que représentait Bernard Tapie pour vous ?

Charles Biétry : Bernard Tapie représente quelqu’un que j’ai côtoyé pendant 40 ans. Il avait le même âge que moi donc on s’est vu assez souvent durant nos carrières. Mais c’est un personnage qui restera pour moi très mystérieux. On l’a connu grande gueule avec des déclarations à l’emporte-pièce et ce n’était pas son côté le plus sympathique. Je l’ai aussi connu beaucoup plus doux, beaucoup plus tendre, quelques fois saisi par le doute qu’il cachait fort bien, parce qu’il avait une voix, un vocabulaire et une façon de s’exprimer de très haut niveau.

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On ne pouvait donc avoir qu’une grande admiration pour sa passion pour tout et être touché par son pouvoir de séduction qui était toujours énorme. On ne pouvait pas ignorer que le personnage avait des côtés un petit peu noir qui ne plaisaient pas forcément.

Quel est votre plus grand souvenir à ses côtés ?

Des souvenirs j’en ai beaucoup avec lui, mais disons que je garde en tête des négociations pour les droits télé quand j’étais à Canal + qui se sont toujours merveilleusement bien passées. On a l’impression qu’il était capable d’être un redoutable négociateur dont on ne peut jamais venir à bout, mais en fait il était dans la catégorie gagnant-gagnant. Il ne cherchait pas du tout à vous escroquer. Les matches de l’OM avaient un prix et on était toujours très vite d’accord. Ce n’était pas des négociations qui s’éternisaient, alors que dans d’autres domaines il pouvait être très redoutable. 

Je me souviens d’un jour au Parc des Princes où je commentais un PSG-Marseille avec à ma droite Michel Denisot (alors président du PSG) et à ma gauche Bernard Tapie, c’était quelque chose.

À un moment, (Raymond) Goethals prépare un changement sur le banc et Tapie sort son talkie walkie et parle directement au banc. Résultat : le changement a été immédiatement annulé et c’est un autre qui a été préparé comme il l’avait décidé.

Charles Biétry

à franceinfo:sport

Il a toujours été un personnage à part dans le football français, mais il y en a tellement d’autres à part. Il en était un autre, mais il savait se servir beaucoup mieux que le reste de la télévision, des médias en général et du public. Ce n’était pas un personnage ordinaire, pas ordinaire du tout.

Vous étiez directeur des sports à Canal + de 1984 à 1998 lorsque la rivalité PSG-OM s’est mise en place. Quelle vision et quel rôle avez-vous eu auprès de Bernard Tapie, alors président de l’Olympique de Marseille à partir de 1993 ?

Je n’ai jamais eu de problèmes avec lui, quasiment jamais. Mais il fallait se méfier, ne pas se laisser marcher dessus parce qu’alors là vous étiez mort et vous vous laissiez facilement enfoncer. Si vous aviez un rapport normal d’homme à homme, ça se passait bien mais il ne fallait pas être dupe. Il ne fallait pas tomber dans les pièges qu’il tendait, mais quand on ne voulait pas y tomber, on n’y allait pas.

Personnellement je n’ai pas participé à la fabrication du Classico. Je savais que cela déboucherait sur des débordements et que ça ne serait pas forcément profitable à qui que ce soit. C’est un peu Bernard Tapie et Michel Denisot qui ont contribué à monter ce match pour en faire un Classico, ce que je ne leur reproche pas. Simplement, ce n’était pas tout à fait ma vision. 

Bernard Tapie s’est aussi essayé à la politique, la télévision, le monde de la culture…

C’était un très grand homme de télévision. Les jeunes ne se souviennent pas d’une de ses premières émissions, Ambitions sur TF1, un modèle de modernité et d’efficacité et qui apportait en plus beaucoup de choses sur le plan social. 

À la télé, il était capable de tout faire et il aurait présenté le 20 heures s’il l’avait souhaité.

Charles Bietry

à franceinfo:sport

Il avait des qualités assez loin de l’ordinaire, ça c’est sûr. Il avait l’aura, le charisme, il pouvait être un grand débateur. Il y a actuellement un personnage qu’on voit beaucoup sur les plateaux de télé en ce moment et qui se serait fait exploser par Bernard Tapie dans un débat.

Il s’est aussi engagé dans le cyclisme avec son équipe La Vie Claire. Qu’est-ce qui explique cette volonté d’être dans tous les domaines ?

Quand il touchait à quelque chose, il essayait d’aller au bout et d’être en tête. Il aurait pris une équipe de handball, il n’aurait eu de cesse que de l’amener aux plus grands titres. Tout ce à quoi il touchait, il voulait le transformer en or. Il n’a pas réussi dans tout, mais à chaque fois c’était son ambition. Donc en cyclisme avec Hinault et LeMond, il a réussi. 

Quelle trace va-t-il laisser dans le sport français et plus particulièrement le football selon vous ?

Dans le football français, c’est un peu un OVNI. Ce qu’il a fait, personne ne va chercher à le refaire de la même façon. Il a réussi assez vite et c’est compliqué d’avoir des résultats rapidement. Regardez Manchester City et le PSG, ils ont un mal fou pour arriver tout en haut. Il était dans une époque où on pouvait arriver plus vite au sommet, maintenant c’est plus difficile et il y a beaucoup plus de densité.

Il y avait aussi moins d’équipes armées financièrement qui pouvaient faire des recrutements importants. Une équipe comme le PSG ou Manchester City, ça n’existait pas. Barcelone n’était pas encore le grand Barcelone tout comme le Bayern. C’était sans doute un peu plus facile, mais ce qui n’enlève rien au mérite. Il fallait gagner quand même.

La présidence de Bernard Tapie a aussi connu ses zones d’ombre comme le match reconnu truqué entre Valenciennes et Marseille en mai 1993. Quels effets a eu cette affaire VA-OM dans les coulisses du football français ?

On en a entendu parler car le match VA-OM était sur Canal + ce soir-là et on a été plongé dans l’affaire immédiatement. Dans le football français, cela a été un séisme parce que les matches truqués étaient toujours mis sous le tapis. Que cela arrive sur le devant de la scène avec une équipe qui était sur le toit européen et un président qui avait beaucoup d’amis mais aussi beaucoup d’ennemis, c’est devenu le feuilleton de l’année et cela a pris une force incroyable.

Je ne peux pas dire que cela m’ait amusé, j’aime trop le sport pour ne pas être touché par ce genre d’affaires. Les relations avec Bernard Tapie étaient forcément un peu moins bien… Parce que je n’ai pas aimé. Il restait beaucoup de bons côtés car on s’est beaucoup téléphoné après. Il me parlait beaucoup de sa maladie ces derniers temps. Il est resté comme quelqu’un que j’aime bien et que je suis content d’avoir connu dans la vie. Mais il est vrai qu’avec pas mal de monde, cette affaire VA-OM a été un petit croche-pied dans l’admiration qu’on pouvait lui porter. Mais comme dans le football on oublie très vite, on a vite repris la vie de tous les jours.

Quel a été votre dernier contact avec lui ?

Il y a quelques semaines. On a parlé de notre santé et les coups de fil étaient assez brefs car il n’était pas en grande forme malheureusement. Mais il était toujours incroyablement positif. Et puis il regardait toujours aussi le sport qu’il connaissait toujours très bien. On aurait presque eu l’impression qu’il avait envie de me remonter le moral alors que moi je prenais de ses nouvelles.

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