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Des terrains de football aux routes du Tour de France, Bernard Tapie, un vendeur de rêves dans le monde du sport

Personnage incontournable des années 1990, l'ancien homme d'affaires s'était particulièrement illustré dans le monde sportif en tant que président de l'Olympique de Marseille. Mais pas seulement.

Article rédigé par Romain Bonte, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Bernard Tapie, alors président du club de l'Olympique de Marseille, lors du match OM/VA à Valenciennes, le 20 mai 1993. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Homme aux multiples facettes, dont celle de président de l'Olympique de Marseille, Bernard Tapie s'est éteint dimanche 3 octobre, à l'âge de 78 ans. Chef d'entreprises, animateur de télévision, député, chanteur, ministre, acteur : ce touche-à-tout a eu une grande influence sur le paysage sportif français, vendant souvent du rêve, et accomplissant parfois des miracles.

Entre sommets et abîmes. Bernard Tapie a tout connu dans sa vie : des ors de la République aux affres de la prison, des plateaux de télévision à ceux de cinéma, des prétoires aux bancs de touche, il a traversé les années avec toujours un point commun : le premier rôle. À l'aube du sport business, Bernard Tapie aura su allier ses talents d'homme d'affaires à sa passion du sport.

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Issu d'un milieu populaire, son discours et ses (nombreuses) réussites font de lui un personnage hors norme. Son aura, son carnet d'adresses et sa gouaille le rendent incontournable. S'afficher dans l'émission "Gym Tonic" aux côtés de Véronique et Davina en tenue moulante ne le dérange pas. Au contraire, il s'en sert pour afficher son dynamisme, sa volonté farouche de réussir tout ce qu'il entreprend.

"L'unité de mesure d'un système capitaliste, c'est l'argent. Et j'ai une volonté féroce de gagner beaucoup, beaucoup, beaucoup d'argent", se plaisait-il à dire sur Antenne 2. C'est avec cette philosophie qu'il a construit son empire, et c'est avec cette même philosophie qu'il a laissé son empreinte dans le sport français.

Bernard Tapie, patron de La Vie Claire, entre Bernard Hinault et Greg LeMond, le 31 janvier 1985. (JOEL ROBINE / AFP)

Bernard Tapie restera pour beaucoup celui qui a su faire monter l'OM sur le toit de l'Europe. Mais avant cette épopée footballistique, dont l'épilogue a tout d'une tragédie grecque, Bernard Tapie s'était déjà illustré dans le cyclisme. En 1984, l'homme, alors âgé de 41 ans, investit 10 millions de francs dans l'équipe "La Vie Claire". Les deux champions de l'époque que sont Bernard Hinault et Greg LeMond sont ses têtes de gondole. Dès 1985, "Le Blaireau" remporte le Tour de France, signant le dernier succès d'un coureur français sur la Grande Boucle.

L'année suivante, il parvient à convaincre ses deux champions qui ne s'entendent plus de franchir la ligne d'arrivée au sommet de l'Alpe-d'Huez, main dans la main. Dans le documentaire de L'Équipe "Bernard Tapie l'affranchi", le journaliste Philippe Brunel parlera d'une "étape d'anti-légende, une étape triste. Tapie a arrangé les choses (…). Ces deux champions réconciliés, c'est La Vie Claire qui gagne", a pesté Brunel.

"Le boss" de l'OM

Personnage clivant, c'est sans conteste à Marseille et dans le football, que Bernard Tapie a le plus marqué les esprits. Lorsqu'il reprend l'OM en 1986 pour un franc symbolique, le club phocéen est remonté deux ans plus tôt dans l'élite et ne parvient pas à retrouver son lustre d'antan.

Voilà dix ans que Marseille n'a plus remporté de trophée, le dernier n'étant autre que celui de la Coupe de France. Quant au championnat, le dernier titre date de 1974. Spécialiste de la reprise des entreprises en difficulté, Tapie a tout du messie. Et ce n'est autre que Gaston Defferre, l'ex-maire de Marseille, qui a fait appel à lui.

Bernard Tapie (en haut à gauche) célèbre avec les joueurs de l'OM leur titre européen, le 27 mai 1993. (BORIS HORVAT / AFP)

"Je me donne cinq ans pour faire de l'OM un grand d'Europe", lance-t-il à son arrivée. Sous son impulsion, Michel Hidalgo, ancien sélectionneur de l'équipe de France à l'origine du carré magique (Platini, Giresse, Tigana, Genghini) symbole du beau jeu, devient directeur sportif, et Gérard Banide entraîneur. Avec son aplomb, sa force de persuasion, mais aussi quelques tours de magie, il recrute Alain Giresse, qui semblait pourtant attaché à Bordeaux. Avec du nez, et bien conseillé, il convainc également des stars en devenir parmi lesquelles un certain Jean-Pierre Papin, de le rejoindre... Dès la première saison, l'OM débute avec douze succès d'affilée et termine deuxième du championnat.

Du sommet à la chute

La machine est lancée et, en 1989, le doublé Coupe-championnat fait de Tapie un véritable héros local. Mais l'homme est un ambitieux et ne se contente pas d'un unique fait d'armes. Celui que les supporters phocéens surnomment "le boss" veut conquérir l'Europe. Cet été là, les rumeurs les plus folles annoncent la signature de Diego Maradona à Marseille. L'affaire ne se fera finalement pas, mais la légende de Tapie sur la Canebière est en cours d'écriture.

En 1990, il s'offre le géant équipementier Adidas et assoit un peu plus sa crédibilité dans l'univers du sport business. Franz Beckenbauer, fraîchement sacré champion du monde à la tête de l'Allemagne, devient l'entraîneur de l'OM. Il s'agit de l'un des nombreux "jolis coups" de Tapie à Marseille. Homme de défis, les échecs l'insupportent. Après avoir échoué à attirer "El Pibe de Oro", il rebondit en s'offrant à l'été 1990 Dragan Stojkovic, numéro 10 de génie que l'Europe s'arrache. Un grand nom venu s'ajouter à ceux d'Enzo Francescoli, Chris Waddle, Klaus Allofs, Carlos Mozer, Rudi Völler, et de si nombreux internationaux français (Deschamps, Desailly, Sauzée, Amoros...).

En 1991, il passe à deux doigts de son objectif avec l'OM, mais l'équipe est battue aux tirs au but par l'Étoile Rouge de Belgrade. La consécration viendra en 1993 avec la fameuse tête de Basile Boli face au grand AC Milan. Marseille est en transe, le football français est à l'honneur et Tapie jubile. Mais cette ascension à marche forcée fait grincer des dents. Il se fait des ennemis, et son entrée en politique à Marseille, puis sur le plan national, n'arrange pas la situation. Il agace autant qu'il est craint.

Bernard Tapie, alors président de l'OM, salue les supporters marseillais au Vélodrome, le 9 septembre 1993. (ERIC CABANIS / AFP)

S'il est célébré comme il se doit par tout le peuple marseillais, le président de l'OM est néanmoins inquiet. Quatre jours plus tôt, le club de Valenciennes a révélé une tentative de corruption lors de son match du 20 mai, contre Marseille. L'affaire VA-OM va éclater et provoquera la chute de Bernard Tapie. Ce dernier sera condamné à deux ans de prison dont un ferme (convertis en huit mois après appel, puis six après sa libération conditionnelle) pour corruption et subornation de témoins.

"Il aura fait un bien énorme au football français et beaucoup de mal avec cette histoire", résume l'ancien entraîneur de l'AJ Auxerre, Guy Roux. Avec ses "combines" souvent dépeintes dans les Guignols de Canal+, Tapie parvenait vraiment à faire des miracles. C'était en quelque sorte un magicien du sport.

L'ultime combat

Même éloigné des terrains, c'est toujours avec des yeux de passionné qu'il commentait l'actualité de l'OM. Atteint d'un cancer de l'estomac depuis 2017, il s'était lancé dans un combat pour survivre. Tapie avait alors révélé sur France 2 que l'annonce de son cancer, "c'est comme si on vous mettait une balle de baseball dans la tête." Le sport toujours. Un an après, il expliquait livrer un combat pour aider le corps médical à accompagner les patients.

"C'est dans ma nature, je ne peux pas m'empêcher de me mêler de ce qui ne me regarde pas", lançait-il. À la manière d'un boxeur, Bernard Tapie a souvent gagné des titres, avant d'être acculé dans les cordes. Alors qu'on le croyait souvent mis K.O., il se relevait pour repartir dans un nouveau défi. Cette fois, il vient de perdre son ultime combat.

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