Cet article date de plus de trois ans.

Mort de Diego Maradona : on vous raconte le jour où le "Pibe de Oro" a failli signer à Marseille

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Diego Maradona, meneur de jeu de Naples, fête la victoire de son club en finale de la Coupe de l'UEFA, le 17 mai 1989, à Stuttgart (Allemagne). (PICTURE ALLIANCE / GETTY IMAGES)

Début juin 1989, le n°10 argentin est au sommet de sa gloire et adulé par les supporters napolitains. A la tête de l'OM, Bernard Tapie est prêt à lui faire un pont d'or afin de réussir le transfert du siècle pour le championnat de France. Mais c'était compter sans les fuites et la Camorra…

C'est l'un des transferts les plus connus de l'histoire du football français. Et pourtant il n'a jamais eu lieu… Jugez plutôt : un casting alléchant, avec Diego Maradona, meneur de jeu argentin de 29 ans, au sommet de son art, Bernard Tapie, homme d'affaires clinquant qui commence à se faire un nom dans le ballon rond, Michel Hidalgo, champion d'Europe 1984 sur le banc des Bleus, et quelques intermédiaires pas toujours très nets. Des chiffres records (on parle alors de 12 millions d'euros, une somme colossale pour l'époque). Et un mystère sur l'échec des négociations, jamais complètement éclairci... Maradona, mort d'une crise cardiaque à l'âge de 60 ans mercredi 25 novembre, en a toujours conçu une pointe de regret.

Le rêve de Bernard Tapie

Le championnat de France 1988-1989 s'est achevé sur le titre de l'Olympique de Marseille, le premier du club phocéen depuis dix-sept ans, mais son président, Bernard Tapie, a déjà la tête à la saison d'après. Devant la presse, il esquisse les contours du recrutement à venir. "Pour avoir celui dont je rêve, ce n'est pas seulement un joueur, un dirigeant, un homme d'affaires que je dois convaincre, c'est une ville entière." Une allusion transparente à Diego Maradona, meneur de jeu de Naples, à qui la ville italienne voue un véritable culte. 

Le mot n'est pas trop fort. En atteste cette anecdote relevée dans le livre Maradona, The Hand of God. Au soir d'une demi-finale victorieuse en Coupe de l'UEFA (l'équivalent de la Ligue Europa actuelle), Diego et ses amis vont fêter l'évènement dans leur restaurant préféré. Et en sortent passablement éméchés dans les ruelles napolitaines sur les coups de 5 heures du matin. "Ça suffit ! Pour qui vous vous prenez ? Pour le propriétaire de Naples ?" lance une vieille dame, qui habite un appartement attenant au resto. Maradona lève les yeux, un large sourire se forme sur son visage, et il lance à la manière d'un speaker de stade annonçant un but : "Je suis Diego Maradooooooona !" La femme le reconnaît, se met à l'applaudir et mime un baiser.

Les Napolitains, menés par un Diego Maradona au sommet de son art, finiront par soulever le trophée européen. Ce qui n'est pas sans incidence sur notre histoire, le président du Napoli, Ferlaino, ayant promis un bon de sortie à sa star à cette seule condition. Lors du tour d'honneur, alors que l'Argentin court en brandissant le trophée, c'est la douche froide : "[Ferlaino] s'est approché de moi et m'a glissé à l'oreille : 'Je ne te vends plus, c'était juste pour te motiver encore plus', écrit le joueur dans son autobiographie. A ce moment-là, j'ai eu envie de lui fracasser le crâne avec la coupe." Le mal-être de Diego − sifflé par ses tifosi lors des matchs de fin de saison  finit par attirer l'attention de Michel Basilevitch, un ancien mannequin russe de 1,90 m qui aime à se définir comme "impresario" ou "conseiller". Celui-ci compte sur son CV le fait d'avoir ruiné Johan Cruyff en le faisant investir dans un élevage de porcs ou d'avoir valu des démêlés avec le fisc à Jean-François Larios, milieu international des Bleus, qui le définira dans son livre comme "un escroc de première".

La fuite qui a tout compliqué

Une réputation qui explique sans doute la première réaction de Michel Hidalgo, alors directeur sportif du club : "Basilevitch me dit, comme ça, qu'il a une possibilité de faire venir Maradona… Ça me semble vraiment trop gros. Impossible", se souvient-il dans L'Equipe Mag. Basilevitch, qui avait eu toutes les peines du monde à joindre Bernard Tapie, se souviendra dans une interview au quotidien italien La Repubblica : "Ils avaient l'affaire de leur vie entre les mains, et ils n'y croyaient pas." Côté marseillais, on craint aussi un éventuel coup tordu de la mafia locale. Diego Maradona s'affiche régulièrement avec les barons napolitains, parfois même dans un jacuzzi. Après avoir longuement hésité, Tapie envoie officiellement Hidalgo tâter le terrain le 2 juin dans la soirée : "Il me dit de prendre son avion privé pour y aller incognito. Il me dit de tout promettre à Maradona."

Michel Hidalgo et Bernard Tapie lors de la reprise de l'OM par le second, le 19 février 1986 à Paris. (PATRICK AVENTURIER / GAMMA-RAPHO / GETTY IMAGES)

Les négociations sont épiques : si "El Pibe de Oro" écoute d'une oreille attentive les propositions phocéennes − un salaire démesuré, une demeure avec un jardin immense −, il ne peut pas consacrer plus de cinq minutes, toutes les heures, à ses visiteurs français. Dans sa maison, des journalistes argentins sont venus faire un reportage sur sa fille, née quelques semaines plus tôt. Bernard Tapie appelle tous les quarts d'heure pour connaître l'avancée des négociations. Sauf une fois. Ce n'est pas l'homme d'affaires, mais un journaliste de L'Equipe au bout du fil. "Tout était prévu avec Basilevitch. Je devais appeler à telle heure au domicile de Diego pour avoir mon info", confiera François de Montvallon à L'Equipe Mag. Le point d'interrogation du titre de une du 3 juin 1989 – "Maradona à Marseille ?" – saute dans la minute. Le journal Le Provençal, dirigé par un proche de Bernard Tapie, a également vent de l'affaire. Selon La Repubblica, la première édition est épuisée dans la nuit à Marseille, par des supporters voulant avoir la primeur de la nouvelle.

Plus de trente ans plus tard, on ignore toujours d'où vient exactement la fuite. De Basilevitch, désireux de se faire mousser, comme le veut la version la plus communément admise ? Des agents italiens de Diego Maradona, soucieux de freiner les négociations, comme le glissent des sources anonymes sur ce dossier ? Ou de Bernard Tapie lui-même, qui voulait mettre sans bourse délier l'OM sur la carte des clubs qui comptent en Europe et écarter Michel Hidalgo dans un coup de billard à deux bandes ? L'hypothèse est avancée par le journaliste Alain Azhar dans son livre Agents du foot, histoires secrètes

Le feuilleton devient une affaire d'Etat des deux côtés des Alpes. Maradona commence par démentir mollement − "Je ne savais pas que Michel Hidalgo était le directeur sportif de l'OM (...), ce ne sera pas la dernière fois que des gens viendront me dire qu'ils souhaitent s'attacher mes services." Tapie fait valser les chiffres en direct sur "Téléfoot" : "Je le paierai 20 millions [de francs] par an. Mais c'est cadeau, c'est strictement zéro ! C'est beaucoup moins que donner 50 000 à un joueur de Laval."

Quant au président de Naples, il se la joue blasé : "On a su très vite que ça ne serait pas possible, lâche-t-il rétrospectivement dans So Foot. Je crois que Bernard Tapie a fait traîner un peu l'histoire dans les médias, parce que ça faisait parler du club en Europe et que c'était bon stratégiquement, d'être un club qui peut se payer Maradona."

Un transfert impossible ?

A entendre les versions de Maradona et Tapie, l'affaire est allée beaucoup plus loin. Les deux hommes se rencontrent dans une suite d'un hôtel milanais − c'est beaucoup moins dangereux que de s'afficher à Naples. Le meneur de jeu est séduit par le projet marseillais, sa future fiche de paye et la villa promise sur les hauteurs de Cassis, mais aussi par la montre en or que Tapie agite sous son nez alors qu'il parle gros sous. "Tu as une belle montre." "Nanard" défait le bracelet et l'offre au n°10 argentin.

Dans son livre Je refais le match, le journaliste Eugène Saccomano raconte qu'au moment de conclure, l'agent de Maradona rappelle que "[son poulain] est sous contrat avec le Napoli et que le président Ferlaino refusera de le lâcher". L'Argentin est en effet contractuellement lié au club napolitain jusqu'en 1993. Et le joueur, acheté quelque 7 millions d'euros au Barça au mitan des années 1980, vaut deux fois plus quelques années plus tard aux yeux de la direction du club, qui s'asseoit sur la promesse du bon de sortie. "Il n'y a pas que lui qui avait signé, Ferlaino avait signé aussi, j'avais l'accord écrit du joueur et du club", tonne Tapie dans la presse de l'époque. "Tout était prêt. J'avais un contrat signé avec Bernard Tapie", confirme Diego Maradona en 2009. 

Pour Juan Carlos Heredia, ancien joueur argentin proche du "Pibe de Oro", c'est quand la Camorra a mis son grain de sel dans ce transfert que tout a capoté : "[Ferlaino] a appelé pour nous dire qu'il ne pouvait pas se débarrasser de Diego, même pas pour 100 millions de dollars, car il avait reçu des menaces de le pendre sur une place de Naples, raconte-t-il au journal argentin La VozTapie nous a immédiatement contactés et nous a dit que nous devions quitter Naples d'urgence. Il nous a demandé de ne rien boire ni manger à l'hôtel, qu'il allait envoyer des gens nous chercher."

L'affaire traînera jusqu'en septembre. La star argentine dispute une Copa America fantomatique – manifestement, il a la tête ailleurs. "Si les fans ne veulent plus de moi, je suis tout à fait prêt à faire mes bagages." Mais même au plus fort de la crise, à la mi-juillet 1989, seul un tiers des tifosi souhaite son départ, selon un sondage publié dans La Repubblica. Bernard Tapie continuera d'alimenter les quotidiens avec quelques déclarations fracassantes : "Il terminera sa carrière européenne ici, il me l'a assuré." Basilevitch insiste : "Il arrivera directement en septembre, sans même repasser par Naples." Erreur.

Une banderole des supporters napolitains accrochée aux tribunes du stade San Paolo, à Naples, le 4 juin 1989 : "Diego, l'empereur du monde". (FRANCO ORIGLIA / GETTY IMAGES EUROPE)

Pour la petite histoire, les deux hommes mettront fin à leur relation d'une manière plutôt virile, sur le pont du Phocéa : "Il a fallu que les gardes du corps du président de l'OM interviennent pour éviter qu'un des deux hommes ne tombe à l'eau", racontera l'agent Marc Roger dans son livre, Transferts. L'histoire d'amour n'est pas finie entre "Dieguito" et la capitale de la Campanie. Quand il finit par revenir en Italie, 200 journalistes l'attendent sur le tarmac de l'aéroport. Aucun représentant du club. Ce qui n'empêche pas le meneur de jeu de lâcher : "Marseille, c'est terminé." Dans son autobiographie, il reviendra avec recul sur cet épisode : "Le dirigeant de Naples qui m'aurait rendu ma liberté aurait été condamné à tout jamais. Sur son passage, tout le monde aurait dit : 'Voilà l'enfoiré qui a laissé partir Maradona'."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.