Mais qui possède la marque "Rassemblement national" ? On vous raconte l'imbroglio autour du futur nom du FN
Le président d'une association politique revendique la paternité de l'appellation "Rassemblement national". Tout comme l'entourage de Marine Le Pen. Résultat : les deux parties entendent porter plainte.
"Mais évidemment qu'on est dans les clous !" Au bout du fil, lundi 12 mars, Louis Aliot a l'air agacé. Au lendemain du congrès du Front national, le vice-président du parti n'imaginait pas devoir gérer un imbroglio juridique autour de son futur nom, dévoilé par Marine Le Pen elle-même : le Rassemblement national.
La présidente frontiste avait à peine prononcé ces deux mots au Grand Palais de Lille (Nord), dimanche, qu'un certain Igor Kurek faisait part de son étonnement. Car cette dénomination, ce "gaulliste", comme il se définit, l'utilise déjà, pour une petite association politique qu'il dit présider. Sur Twitter, il ne mâche pas ses mots, et "s'étonne de l'amateurisme de Marine Le Pen qui est aussi celui du FN".
Le FN ne sera jamais le RN et le RN ne sera jamais le nouveau FN.
Igor Kureksur Twitter
Cet ancien proche de Charles Pasqua note que son mouvement, qui compte une centaine d'adhérents, a déjà présenté sous ce nom des candidats aux municipales de Vitrolles (Bouches-du-Rhône) en 2014 et aux départementales en 2015.
Alors il parait que Marine #LePen veut changer le #FN en " #RassemblementNational " " #RN" ? Comment dire........ non. cc @afpfr @Reuters @ldeboissieu pic.twitter.com/Zp1Zvg5uTe
— RN Officiel☨ (@RN_officiel) 11 mars 2018
Le nom a été déposé en 2013
Selon les informations disponibles sur le site de l'Institut national de la propriété industrielle, la dénomination a bien été déposée le 30 décembre 2013. Au nom d'un certain Frédérick Bigrat, qu'Igor Kurek présente comme son adjoint de l'époque. A l'entendre, cet homme n'aurait été qu'un simple intermédiaire. "En 2013, j'ai mandaté monsieur Bigrat pour déposer tous les documents, mais c'était bien mon nom qui apparaissait, assure Igor Kurek à franceinfo. Lui n'a fait qu'exécuter ma demande. Je me souviens : ça m'a coûté 200 euros pour dix ans."
Frédérick Bigrat, qui se décrit sur Twitter comme un "conservateur républicain et catholique" et un "militaire en retraite", n'en est pas à son premier dépôt de nom. "C'est un squatteur de marques gaullistes, note le journaliste politique Laurent de Boissieu. Il a même déposé le nom et le logo (version 1991) de l'ancien RPR chiraquien !"
Quelques mots maintenant sur le propriétaire de la marque Rassemblement National, Frédérick Bigrat.
— Laurent de Boissieu (@ldeboissieu) 12 mars 2018
Tout d'abord, c'est un squatteur de marques gaullistes, puisqu'il a même déposé le nom et le logo (version 1991) de l'ancien RPR chiraquien! pic.twitter.com/0yqlNrcpFg
A l'époque, d'après le récit d'Igor Kurek, il dépose le nom Rassemblement national essentiellement pour nuire à Florian Philippot, alors numéro 2 du FN, venu sur la tombe du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises.
On a vu débarquer Philippot, le bus, les médias, c'était le cirque. On n'a pas trouvé ça tellement bien que le garçon veuille s'accaparer la croix de Lorraine. C'est pour ça que, quand on a déposé le nom 'Rassemblement national', on l'a déposé avec la flamme et la croix de Lorraine.
Igor Kurekà franceinfo
La marque a été cédée, assure le FN
Au Front national, où l'on raconte une autre histoire, on revendique la paternité de Rassemblement national. Jean-Marie Le Pen l'avait notamment utilisé lors de la campagne législative de 1986. Mais surtout, Louis Aliot a déposé à l'INPI le nom Alliance pour un rassemblement national, le 12 janvier 2012, près de deux ans avant Frédérick Bigrat et son Rassemblement national.
Le prochain nom du Front National devrait être très exactement "Alliance pour un Rassemblement National", marque déposée à l'INPI par Louis Aliot en janvier 2012#CongresFN2018 #RassemblementNational pic.twitter.com/QXK2qTn6HK
— Arthur (@ArthurBlanquet) 11 mars 2018
Au téléphone, Wallerand de Saint-Just est "sûr de [s]on coup". "Vous pensez bien qu'on a tout vérifié avant !" sourit le président du groupe FN au conseil régional d'Ile-de-France, avocat de profession. Même sérénité chez Bruno Gollnisch… qui a en revanche du mal à comprendre "à quoi joue" Igor Kurek : "Ce monsieur est un zozo, un hurluberlu, un affabulateur !"
Il fait partie des gens qui prétendent avoir tout fait. Il se vantait d'avoir fait gagner Marion Maréchal-Le Pen dans le Vaucluse. Bref, il est prêt à tout pour qu'on parle de lui.
Bruno Gollnischà franceinfo
Un communiqué écrit au nom de "l'Association Rassemblement national" et diffusé lundi après-midi sur le site du FN se veut rassurant. Il y est écrit que "les droits de la marque Rassemblement national ont été cédés [à l'un des avocats du FN] par acte sous seing privé le 22 février 2018. Cette cession fait actuellement l’objet d’une publication à l’INPI, ce qui explique que la recherche sur l’antériorité des droits de cette marque laisse encore apparaître le nom de son précédent propriétaire." C'est aussi ce qu'assure l'avocat Frédéric-Pierre Vos, qui défend les intérêts du parti.
Je peux vous confirmer en mon nom personnel que je suis le seul titulaire des droits de la marque Rassemblement national qui m'ont été cédés légalement par monsieur Frédérick Bigrat.
Frédéric-Pierre Vosdans un communiqué
Igor Kurek annonce une plainte "dans la semaine"
L'actuelle association Rassemblement national serait même en cours de dissolution. Pourtant, depuis son bureau de Béziers (Hérault), Igor Kurek confirme tous ses dires. "Je reste très serein par rapport à ce qu'il m'arrive…" explique-t-il à franceinfo, un sourire dans la voix. Il assure qu'il est bien "toujours le propriétaire du nom".
Il ressent en revanche "beaucoup de colère" à l'égard de Frédérick Bigrat, qui "semble avoir tenté de négocier en coulisses la cession du nom avec le FN". Pourquoi aurait-il agi ainsi ? "Je ne sais pas, je ne sais pas", s'agace Igor Kurek, avant de lâcher que les deux hommes ne se parlent plus depuis deux ans.
Sollicité par franceinfo, Frédérick Bigrat n'a pas donné suite. Igor Kurek annonce qu'il déposera plainte "dans la semaine" contre son ancien ami pour "tentative d'escroquerie" et "faux et usage de faux". L'imbroglio pourrait se terminer au tribunal. "Ça risque d'avoir des éclaboussures terribles, prévient-il. Si ça emmène Marine Le Pen avec, tant pis pour eux…"
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