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Européennes : textos de Le Pen, coups de fil de Mélenchon... Ces pratiques de campagne sont-elles légales ?

De nombreux internautes ont déploré sur les réseaux sociaux et sur franceinfo avoir reçu un SMS de la présidente du Rassemblement national ou un appel téléphonique du chef de file de La France insoumise. Explications.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, le 17 mai 2018 dans les studios de télévision de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) pour "L'Emission politique" de France 2. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Votre téléphone fixe sonne, vous décrochez et entendez la voix de Jean-Luc Mélenchon. Votre portable vibre. C'est Marine Le Pen qui vous a envoyé un texto. Dans la dernière ligne droite de la campagne pour les élections européennes, tous deux misent sur le téléphone pour vous convaincre. Le chef de La France insoumise comme la patronne du Rassemblement national vous invitent à sanctionner Emmanuel Macron. Le premier en votant pour la liste conduite par Manon Aubry, la seconde pour celle de Jordan Bardella. A La République en marche, on a fait appel aux minitres pour passer des coups de téléphone aux électeurs.

Dans les commentaires du live de franceinfo, vous nous avez signalé ces appels et messages intempestifs, reçus également par de nombreux internautes. Et beaucoup s'interrogent sur leur légalité.

Le téléphone de Laurence a sonné vendredi matin, raconte-t-elle à franceinfo. "J'ai raccroché très vite. Juste le temps d'entendre son nom, puis que c'était pour les européennes, relate-t-elle. Nous sommes à longueur de temps dérangés par des appels pour du démarchage : mutuelles, électricité, etc... Donc ce jour-là, c'était une fois de trop. Si en plus les politiciens s'y mettent !" Michael, lui aussi, a "assez vite raccroché", "n’étant pas franchement emballé par cet appel". Sur le moment, il en a pourtant "rigolé", même s'il "ne pense pas forcément du bien" du démarchage téléphonique.

Consentement préalable obligatoire

Que ce soit pour le démarchage politique par SMS ou par automate d'appel, "il est nécessaire d'avoir recueilli le consentement préalable" clair des personnes appelées, explique à franceinfo Alain Bensoussan, avocat spécialiste du droit de l'informatique et des télécommunications. Pour les appels téléphoniques, "la Cnil demande même que ce consentement prévoit une plage horaire au cours de laquelle on accepte d'être contacté", souligne l'expert.

Les coordonnées sont parfois collectées par les partis politiques eux-mêmes. Le consentement peut alors prendre la forme d'une simple case à cocher dans un formulaire avec la mention : "J’accepte de recevoir des informations de la part de..." Mais le plus souvent, les partis font appel à des entreprises chargées de faire ces démarchages. Ces entreprises louent ou achètent des fichiers commerciaux qui contiennent les numéros de téléphone. Dans ce cas, la formule de consentement doit préciser que la personne accepte d'être démarchées à des fins de communication politique.

Les appels téléphoniques et textos doivent aussi indiquer que les personnes contactées ont la possibilité de s'opposer à ce démarchage et comment elles peuvent le faire. "Les SMS sont moins invasifs et le droit d'opposition est plus facile à appliquer", juge Alain Bensoussan. Il suffit en effet de répondre "STOP" par écrit à l'émetteur du texto, assure la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

"L'idée est de trouver un équilibre entre trois libertés, expose l'avocat. D'une part, la liberté d'expression : les partis politiques doivent pouvoir parler aux citoyens et il faut permettre l'expression politique la plus large possible. D'autre part, le droit à la protection de la vie privée et à une vie paisible : le téléphone est le prolongement de notre domicile. Et enfin, la protection de données personnelles."

Jusqu'à 20 millions d'euros d'amende

La Cnil déclare à franceinfo avoir reçu "une dizaine de signalements" de la part de Français mécontents de l'appel de Jean-Luc Mélenchon. Elle propose un formulaire de signalement en ligne et rappelle les règles en matière de communication politique par téléphone.

Après ces signalements, "la Cnil peut mener des contrôles, y compris au siège du parti politique ou de l'entreprise, vérifier la programmation de l'automate d'appel et le script, et bien sûr l'origine des numéros de téléphone", expose l'avocat. Car "les sociétés n'ont pas le droit de moissonner internet pour prendre des numéros""La charge de la preuve du consentement revient à l'émetteur de l'appel ou du texto." En cas d'infraction, "la Cnil peut donner un avertissement public ou condamner à des sanctions financières allant jusqu'à 20 millions d'euros et 4% du chiffre d'affaires mondial".

Il y a une hypersensibilité légitime des citoyens sur l'utilisation des données personnelles. Il y a eu trop d'abus dans le démarchage téléphonique.

Alain Bensoussan, avocat

à franceinfo

Contacté par franceinfo, Philippe Vardon, directeur de la communication de la campagne du Rassemblement national, indique que le parti a eu recours aux services d'un prestataire pour envoyer ses SMS sur une base de contacts "élargie" comprenant des adhérents ou d'anciens adhérents. Et le SMS comporte la mention d'un numéro "STOP SMS".

La France insoumise n'a pas répondu aux questions de franceinfo. Mais d'après Libération, qui a retranscrit l'intégralité du message téléphonique de Jean-Luc Mélenchon, le parti a sous-traité sa campagne à une entreprise spécialisée : Self Contact. D'après les mentions légales citées par le quotidien, les numéros de téléphone proviennent soit de "fichiers" de "partenaires" de Self Contact, soit de "listes de numéros de téléphone accessibles". Selon la retranscription, il est aussi indiqué que les coordonnées ne seront pas conservées au-delà de deux mois et que les personnes appelées peuvent demander à ne plus l'être en contactant l'entreprise ou le parti.

Chez LREM, l'opération a été baptisée "EuropeChallenge". Le principe : chaque militant participant est invité à appeler cinq personnes de son entourage pour les convaincre d'aller voter. Le parti présidentiel a aussi débauché des minitres, comme Marlène Schiappa, Jean-Michel Blanquer ou Agnès Buzyn. Ce qui n'est pas interdit, à condition de ne pas utiliser les moyens de l'Etat, rappelle Libération

Des précédents pendant la présidentielle

Ce genre de démarchage n'est pas une première. Pendant la présidentielle de 2017, l'équipe d'Emmanuel Macron avait lancé une campagne de six millions d'appels par téléphone. Selon les informations de L'Obs, le candidat avait d'ailleurs eu aussi recours aux services de Self Contact. Et il avait bénéficié d'une ristourne de 24%. A l'époque, Jean-Luc Mélenchon s'était interrogé sur cette faveur commerciale, relatait Public Sénat.

La France insoumise avait, elle, sa propre campagne d'appels téléphoniques à l'époque, surnommée le "Mélenphone", rapportait Le Figaro. Des militants "insoumis" sélectionnaient des numéros dans l'annuaire et ciblaient des zones abstentionnistes.

"On ne fait pas de messages pré-enregistrés. Les militants appellent directement les électeurs. C'est plus humain, plus chaleureux", expliquait le responsable du "Mélenphone". Il s'agit d'Andréa Kotarac, cet élu régional LFI qui, à quelques jours des européennes, a changé de camp en soutenant le Rassemblement national.

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