Jean Viard : "la logique d’affrontement entre les hommes ne passionne pas les électeurs"
Les Français semblent tentés par l'abstention. Selon un récent sondage Ifop, elle pourrait même atteindre 32% lors du premier tour du scrutin. Est-ce due à la crise ? Au casting ? Aux thèmes débattus ? L'analyse du sociologue, Jean Viard.
A moins de trois semaines de la présidentielle, la perspective d'une abstention à 32% se profile.
Si ces chiffres de l'IFOP, publiés par le Journal du dimanche le 2 avril se confirment, 2012 pourrait donc dépasser le record de 2002, où 28,4 % des électeurs ne s'étaient pas rendus aux urnes lors du premier tour. Quelles sont les raisons de cette désaffectation ?
Selon Jean Viard, directeur de recherches au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), le ton, les candidats et le traitement médiatique de cette campagne sont des facteurs explicatifs.
Comment percevez-vous cette campagne ?
Jean Viard. Les conflits entre les hommes sont plus durs que d'habitude, au niveau des mots en tous les cas. Le thème de la sécurité était très présent dans les campagnes précédentes. Il ne l'est pas cette fois malgré les événements tragiques de Toulouse.
Du coup, on assiste à un affrontement d'hommes qui essayent de mettre en scène une espèce de "catch" dans l'opposition entre Nicolas Sarkozy et François Hollande.
C'est inédit ?
JV. D' habitude, il y a une forme de courtoisie républicaine entre les grands partis démocratiques. Là, il y a une dureté des propos, notamment chez le président de la République, un peu surprenante. Nicolas Sarkozy a introduit le ton. François Hollande lui renvoie la balle à peu près au même niveau.
Ce n'est pas un hasard si les gens se détournent. Cette logique d'affrontement entre les hommes ne les passionne pas. C'est aussi un peu la faute des médias qui posent beaucoup de questions anecdotiques. Les candidats disent des choses mais on ne le ressent pas toujours dans l'écho médiatique.
Quels sont ces sujets, abordés par les intéressés, mais insuffisamment relayés selon vous ?
JV. Les principaux candidats disent qu'ils vont stopper l'augmentation de l'endettement de l'Etat dans les cinq ans. C'est un élément extrêmement important, comme dans les années 70 quand on a dit qu'on allait arrêter l'inflation.
Pourtant, cela n'est pas extrêmement mis en avant. En revanche, on s'est beaucoup interrogé ces derniers jours pour savoir si les candidats avaient bien réagi à Toulouse, c'est-à-dire sur des considérations de forme.
Craignez-vous une forte abstention, notamment celle des jeunes ?
JV. Elle risque d'être plus forte qu'en 2007. Mais 2007 était une année assez exceptionnelle, un "spectacle" grandiose. Il y avait deux candidats qui se présentaient pour la première fois, une femme et jusqu'au bout, on n'a pas su qui serait au deuxième tour entre ces trois personnes.
C'était une course passionnante avec des gens de même niveau, tous nouveaux, qui sont montés très haut dans leur propre camp. C'était aussi la fin de la période Chirac. Une autre période historique commençait. Cela a passionné l'opinion publique.
Là, on a un candidat sortant qui défend sa position, et François Bayrou qui n'est pas nouveau. Ceux qui montent sont d'ailleurs plutôt les entrants, regardez Jean-Luc Mélenchon.
Quant à l'abstention des jeunes, je dirais que les candidats ne comprennent pas bien les enjeux de mode de vie. Ils sont très centrés sur des réformes. Or les jeunes ont beaucoup plus besoin de qualitatif, qu'on leur parle de la société écologique, de la drogue, des rapports intra familiaux, des choses qui sont leur quotidien où il y a en plus des politiques publiques.
Du coup, ils n'ont pas d'empathie avec les candidats. Visiblement, ils vont plutôt voter pour François Hollande, mais sans empathie forte.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.