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Pourquoi la nomination de Gérald Darmanin à l'Intérieur est très critiquée

Le nouveau locataire de la Place Beauvau est toujours visé par une plainte pour viol. Mais l'entourage d'Emmanuel Macron estime que cette procédure n'a "pas fait obstacle" à la promotion de l'élu.

Article rédigé par franceinfo
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Gérald Darmanin, alors ministre de l'Action et des Comptes publics, lors d'une conférence de presse dans la cour de l'Elysée, le 24 avril 2020. (REUTERS)

C'est l'un des grands gagnants du remaniement. Gérald Darmanin a bénéficié d'une belle promotion, lundi 6 juillet, en passant du ministère de l'Action et des Comptes publics à la Place Beauvau. Mais ce choix a également été critiqué par des associations et responsables politiques, car le nouveau ministre de l'Intérieur, réélu maire de Tourcoing (Nord), reste visé par une plainte pour viol, harcèlement sexuel et abus de confiance. Techniquement, il est désormais à la tête des services qui vont mener les investigations dans cette affaire, après la relance du dossier ordonnée par la cour d'appel de Paris début juin.

Que lui est-il reproché ?

Sophie Patterson-Spatz accuse Gérald Darmanin de l'avoir violée en 2009, alors qu'il était chargé de mission au service des affaires juridiques de l'UMP. Elle affirme notamment que l'élu lui aurait fait miroiter son appui sur un dossier judiciaire en échange de faveurs sexuelles. Une première plainte avait été déposée pour "viol" en juin 2017, mais celle-ci avait été classée sans suite parce que la plaignante n'avait pas donné suite aux enquêteurs qui souhaitaient l'interroger.

La procédure avait finalement été rouverte le 22 janvier, car la plaignante avait fait savoir qu'elle était désormais prête à répondre aux questions des enquêteurs. Lors d'une audition libre, Gérald Darmanin avait confirmé avoir eu une relation sexuelle avec Sophie Patterson-Spatz, mais selon lui librement consentie et à l'initiative de la plaignante. L'enquête préliminaire avait été classée sans suite pour la deuxième fois, car le parquet avait notamment estimé que l'enquête n'avait pas permis d'établir une absence de consentement.

En mars, Sophie Patterson-Spatz avait de nouveau porté plainte, avec constitution de partie civile. Mais le 16 août, un magistrat parisien avait rendu une ordonnance de non-lieu, conforme aux réquisitions du parquet. L'avocat du ministre, Pierre-Olivier Sur, avait alors salué la "fin judiciaire d'un acharnement" et Gérald Darmanin avait maintenu la plainte pour dénonciation calomnieuse qu'il avait déposée en juillet 2017 contre cette femme.

Pourquoi l'affaire est-elle relancée ?

Sophie Patterson-Spatz avait fait appel de cette décision, mais son recours avait été jugé hors délai par la cour d'appel de Paris, en octobre 2018. Un an plus tard, en novembre 2019, la Cour de cassation a toutefois ordonné à la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris de réexaminer la validité du non-lieu dont avait bénéficié le ministre.

Cette décision repose sur un point de procédure assez technique. La Cour de cassation a effet estimé que "la preuve de la notification de l'ordonnance de non-lieu n'étant pas établie, le délai d'appel n'avait pas commencé à courir" comme prévu au jour de la décision, rendue en plein été. La Cour d'appel a donc dû examiner la recevabilité de l'appel déposé par Sophie Patterson-Spatz d'abord sur la forme, avant un éventuel examen sur le fond.

Le 9 juin dernier, la cour d'appel de Paris a finalement ordonné la reprise des investigations. "On a encore du mal à comprendre pourquoi aujourd'hui, en 2020, ça a pris autant de temps pour simplement pouvoir ouvrir une information judiciaire", commentait sur franceinfo alors l'avocate de la plaignante, Elodie Tuaillon-Hibon.

Quelles sont les réactions à sa nomination ?

Si le ministre bénéficie de la présomption d'innocence, cette nomination est tout de même mal accueillie par plusieurs associations féministes, à commencer par le collectif #NousToutes. Tout en évitant de le citer nommément un ministre, le collectif a réagi après l'annonce du nouveau gouvernement : "Vous vous foutez de notre gueule ? Sérieusement ? #Remaniement #CultureDuViol". La militante Caroline De Haas a également ironisé sur la nomination de Gérald Darmanin et d'Eric Dupond-Moretti.

Répondant à un appel spontané sur les réseaux sociaux, une vingtaine de militantes féministes se sont rassemblées, mardi 7 juillet, non loin du ministère de l'Intérieur, scandant "Darmanin démission" et "Darmanin violeur" pendant la passation de pouvoirs entre Christophe Castaner et Gérald Darmanin. Elles ont été rapidement stoppées par les forces de l'ordre.

Des militantes féministes dénoncent la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l'Intérieur, jeudi 7 juillet 2020 à Paris. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Quelques responsables politiques ont également commenté sévèrement cette promotion. "A une époque, quand on était accusé (...), on quittait le gouvernement pour assurer sa défense, a déclaré sur CNews l'eurodéputé écologiste David Cormand. Là, on est promu. C'est un message déplorable envoyé à l'ensemble des victimes qui déposent plainte."

Sans vouloir "préjuger" d'une affaire en cours, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol a relevé sur franceinfo que par "deux fois, il est mis en cause" pour "un échange de faveurs sexuelles contre une intervention par un homme de pouvoir". Ce deuxième cas fait référence à une autre plainte déposée par une femme contre Gérald Darmanin, cette fois pour abus de faiblesse, classée sans suite.

L'avocat William Bourdon, pour sa part, a jugé, toujours sur franceinfo, que le choix de Gérald Darmanin "pose évidemment problème". "Est-ce que cette tache, ce morceau de scotch, qui va lui coller nécessairement un moment ou un autre à la jambe, est de nature à optimiser cette parole d'autorité ?" s'est-il ainsi interrogé.

Comment se défend l'exécutif ?

Cité par l'AFP, l'entourage d'Emmanuel Macron estime pour sa part que la plainte pour viol semble évoluer "dans le bon sens" et qu'elle n'a "pas fait obstacle" à la promotion de Gérald Darmanin. Et cette source de l'agence de presse de préciser que l'Elysée ne fait "jamais de commentaires sur les affaires en cours".

Mi-juin, un collectif avait déjà manifesté devant le ministère de la Justice après des propos de l'ancienne garde des Sceaux, interrogée sur la reprise des investigations dans le cadre de la plainte visant Gérald Darmanin. "La procédure suivra son cours", avait commenté Nicole Belloubet, tout soutenant son collègue du gouvernement, "un excellent ministre", avait-elle dit.

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