Affaire McKinsey : "L'évasion fiscale était une sorte de règle de conduite parce que c'était légal et que les États laissaient faire", explique l'OCDE
Avec l'impôt mondial, "on est à peu près certain qu'il n'y aura pas d'astuce" pour contourner les 15% minimum d'impôts sur les profits.
"L'évasion fiscale était une sorte de règle de conduite parce que c'était légal et que les États laissaient faire", explique le directeur du Centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) Pascal Saint-Amans jeudi 7 avril sur franceinfo. Le parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale contre le cabinet de conseil McKinsey, accusé de n'avoir pas payé d'impôts sur les sociétés en France entre 2011 et 2020.
franceinfo : Cette affaire aurait-elle existé sans le rapport du Sénat sur le recours massif aux cabinets de conseil par le gouvernement ?
Pascal Saint-Amans : L'affaire n'aurait jamais existé médiatiquement, mais cela ne veut pas dire que l'administration fiscale n'aurait pas fait des redressements. L'administration fiscale, quand elle agit, le fait discrètement, contrairement d'ailleurs aux douanes qui publient toujours leurs résultats. Le contrôle aurait pu être fait, des redressements exécutés, on ne peut pas savoir, en tout cas, clairement, le sujet n'aurait pas été médiatique. Bercy enquête massivement sur ce qu'on appelle les prix de transfert. C'est du jargon fiscal qui veut dire que les entreprises multinationales peuvent transférer leurs bénéfices, leurs résultats d'un pays à un autre de façon totalement légale et c'est nécessaire qu'elles le fassent selon les règles. Mais, parfois, elles détournent ces règles pour en fait transférer les profits qu'elles font dans des pays à haute fiscalité comme la France, pour les mettre dans des pays à faible fiscalité, c'est ce que l'on appelle de l'évasion fiscale. Bercy est outillé pour vérifier ce type d'opération et le fait massivement.
Une entreprise comme le cabinet McKinsey qui fait 300 millions d'euros de chiffre d'affaires en France peut donc ne pas payer d'impôt sur les sociétés ici en tout légalité ?
C'est de la fiscalité toujours un peu compliquée. Il faut comprendre que le chiffre d'affaires, c'est enregistrer des ventes, ça ne veut pas dire faire nécessairement des profits et donc payer l'impôt sur les sociétés. Sur le cas de McKinsey, je n'ai pas accès aux chiffres donc je ne peux pas dire si c'est le cas.
"Il y a plein d'entreprises qui font non seulement du chiffre d'affaires mais des profits et ne localisent pas assez ce profit en France en manipulant ces règles de prix de transfert qui consistent à payer des redevances ou à payer des services à une autre filiale du groupe ou à une autre entreprise du groupe pour déplacer la base fiscale de la France à l'étranger."
Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDEà franceinfo
C'est ça que les administrations fiscales doivent vérifier. Ces règles sont un peu faibles internationalement et c'est pour cela qu'au cours des dix dernières années, on les a largement réparées pour que les entreprises ne puissent plus faire n'importe quoi légalement, ce qui était hélas trop le cas jusqu'à il y a cinq ou six ans. Aujourd'hui, je pense que les administrations fiscales sont bien équipées et que les entreprises sont en train de changer leur approche. L'évasion fiscale était une sorte de règle de conduite parce que c'était légal et que les États laissaient faire. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas et les entreprises doivent être beaucoup plus conformes qu'elles ne l'étaient dans le passé.
L'impôt mondial sur les sociétés avec un taux minimal de 15% sur les multinationales va voir le jour l'an prochain. Cela empêchera-t-il ce genre de pratiques ?
Non, l'impôt minimum mondial ne va pas changer le recours aux prix de transfert, en revanche, il va aboutir à ce que ces entreprises paient au moins 15% sur leurs profits. Il n'y aura pas moyen de contourner ces 15% parce qu'on a conçu cela de façon un peu diabolique : si un pays ne prend pas les 15%, c'est un autre pays qui les prendra. On est à peu près sûrs de cela, si c'est appliqué. Maintenant, il faut que l'Union européenne, par exemple, finisse par se mettre d'accord pour appliquer cette règle. Le fait que les entreprises paient au moins 15% sur leurs profits fait que toute cette ingénierie fiscale un peu sophistiquée n'aura plus de sens. Les entreprises n'auront plus à payer très cher des avocats fiscalistes pour réduire leurs taux d'imposition parce que si vous avez un plancher à 15%, il n'y aura plus beaucoup d'intérêt à faire ça. On espère vraiment qu'il y aura un impact massif et on est à peu près certain qu'il n'y aura pas d'astuce pour se sortir de ces 15%.
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