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Quatre batailles de chiffres autour des intermittents du spectacle

Alors que le patronat juge leur statut trop coûteux, trop avantageux et miné par les abus, les intermittents balaient ces arguments, chiffres à l'appui.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Une manifestation d'intermittents du spectacle, le 16 juin 2014 à Marseille. (GEORGES ROBERT / CITIZENSIDE.COM / AFP)

Le régime des intermittents du spectacle est-il trop coûteux, trop avantageux et miné par les abus en tous genres ? Tels sont les principaux arguments du patronat pour défendre l'accord, signé par la CFDT, FO et la CFTC, qui durcit le calcul des indemnités chômage. Des arguments que balaient les intermittents, données à l'appui. Pour y voir plus clair, francetv info démêle quatre batailles de chiffres qui opposent les détracteurs de ce statut et ceux qui le défendent.

Les intermittents plombent-ils vraiment les comptes de l'assurance chômage ?

OUI. Selon la Cour des comptes, le déficit du statut des intermittents du spectacle représente chaque année environ 1 milliard d'euros. En 2010, cette somme représentait un tiers du déficit global de l'assurance chômage. En 2011, ce déficit équivalait à presque les deux tiers du déficit global. Or, seules 108 000 personnes sont indemnisées sous ce statut, soit 4% de la totalité des demandeurs d'emploi indemnisés. Pour les détracteurs de ce système, il est inconcevable qu'une si petite part des allocataires de l'assurance chômage soient responsables des deux tiers du déficit.

NON. La position de la Cour des comptes a été battue en brèche par un rapport parlementaire publié en avril 2013. Son auteur, le député PS Jean-Patrick Gille, qui a récemment été nommé médiateur pour tenter de trouver une solution au conflit, a identifié un biais méthodologique dans le calcul des Sages.

Car, en admettant que le statut des intermittents soit supprimé, ces derniers bénéficieraient du régime général. L'Unedic a calculé que, dans une telle hypothèse, l'assurance chômage économiserait environ 420 millions d’euros. Mais dans le même temps, elle se priverait de 100 millions d'euros de cotisations, celles-ci étant plus élevées dans le régime des intermittents. Autrement dit, le statut spécifique des intermittents du spectacle ne coûte "que" 320 millions d'euros. Un chiffre bien moins impressionnant que le milliard d'euros évoqué par la Cour des comptes.

Sont-ils des privilégiés ?

OUI. Les règles de calcul des indemnités chômage des intermittents, qui sont amenés à alterner périodes de travail et périodes de chômage, sont bien plus favorables que celles du régime général. Les artistes et techniciens du spectacle qui ont travaillé plus de 507 heures sur une période de 10 mois et demi (10 mois pour les techniciens) peuvent bénéficier d'une indemnisation pendant 243 jours (8 mois) les jours où ils ne travaillent pas, calculée sur la base des salaires perçus et du nombre de jours travaillés.

Dans un rapport de février 2012 (PDF), la Cour des comptes a tenté de comparer le régime des intermittents avec celui des intérimaires, qui sont eux aussi confrontés à une alternance de périodes de chômage et d'activité. Le verdict des Sages est sans appel : le premier est largement plus favorable. Avec un salaire brut de 1 500 euros par mois, un intérimaire pourra prétendre à une indemnité totale de 3 848 euros, contre 9 088 euros pour un intermittent.

NON. Les défenseurs du statut des intermittents mettent en avant la précarité à laquelle font face les travailleurs du monde du spectacle. En 2009, 70 à 80% des artistes du secteur de l’audiovisuel ou de celui du spectacle vivant occupaient un emploi à durée limitée, selon le rapport parlementaire de Jean-Patrick Gille. C'était aussi le cas de 45% des techniciens de ces secteurs. Tandis que l’emploi à durée limitée ne concernait que 13% de l’ensemble des actifs. Quant au revenu annuel des intermittents (salaires et indemnités chômage confondus), il s'établissait en 2011 à 27 867 euros, composé à 58% de salaires et à 42% d'allocations chômage. "Ces professionnels sont placés dans une situation de risque professionnel permanent et leurs conditions matérielles d’emploi se caractérisent par une incertitude extrême, inhérente aux projets créatifs", souligne le rapport.

Y a-t-il plus d'abus que dans les autres secteurs ?

OUI. "Pourquoi chercher un CDD ou un CDI quand je gagne deux fois plus en travaillant deux fois moins avec l’intermittence ?" s'interroge un syndicaliste cité par Les Echos. "Si entre deux missions sur des spectacles, ils ne travaillent pas, c’est qu’ils ne veulent pas, pas qu’ils ne peuvent pas, le tout aux frais de l’Unédic", critique un autre.

Autre abus répandu : la "permittence". Selon la Cour des comptes, cette pratique consiste, pour un intermittent du spectacle, à travailler "de manière permanente ou quasi permanente pour un seul employeur", dévoyant ainsi la finalité de ce statut. Le système est doublement avantageux : le salarié perçoit des indemnités chômage beaucoup plus élevées, et accepte donc que son employeur lui verse un salaire plus faible. Dans son rapport de 2007, la Cour estimait que cette pratique concernait au moins 15% des bénéficiaires du régime.

NON. L'Unédic a une définition sensiblement différente de la "permittence", désignée comme le fait de travailler au moins 900 heures (soit six mois à temps plein) pour le même employeur. Selon ses chiffres, cités par le rapport Gille, cette pratique concernait, en 2009, 5,9% des techniciens et 2,4% des artistes. "On est typiquement dans les chiffres habituels des fraudes aux prestations sociales", commente la Coordination des intermittents et précaires d'Ile-de-France (CIP) dans une vidéo.

L'accord signé est-il équitable ?

OUI. Selon l'Unédic, l'accord signé en mars par les partenaires sociaux (la CGT, majoritaire chez les intermittents, n'est pas signataire) poursuit un but "d’équité et d’effort partagé". Cet accord crée d'abord un plafond de 4 381 euros brut pour le cumul entre l'allocation et le salaire. Selon l'Unédic (PDF), seuls 6% des intermittents – ceux qui ont les revenus les plus élevés – seront touchés par cette mesure.

Deuxième mesure phare : l'accord instaure un différé d'indemnisation, ce qui signifie que le point de départ de l'indemnisation sera repoussé proportionnellement au salaire perçu. Cette règle ne s'applique qu'aux bénéficiaires dont la rémunération horaire est supérieure à 16 euros (1,68 smic). L'Unédic précise ainsi que plus de la moitié des intermittents du spectacle ne seront pas touchés par cette mesure.

NON. Pour les représentants des intermittents, la mise en place du différé d'indemnisation est inacceptable. "Un différé d'indemnisation existait depuis 2003 mais ne touchait que les plus gros revenus. On passe de 9% de personnes concernées à 48%. Proportionnellement, cette mesure frappe plus brutalement les faibles et moyens salaires", estime la CIP.

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