"Désmicardiser" la société française : que signifie cette formule de Gabriel Attal ?

Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a annoncé un projet de "désmicardisation", sans en définir les contours. Derrière ce néologisme, plusieurs pistes de réforme se présentent au gouvernement.
Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
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Le Premier ministre, Gabriel Attal, prononce la déclaration de politique générale de son gouvernement devant le Sénat, le 31 janvier 2024, à Paris. (MIGUEL MEDINA / AFP)

"J'assume de le dire, il faut désmicardiser la France", a lancé Gabriel Attal à l'Assemblée nationale, mardi 30 janvier, lors de sa déclaration de politique générale. "On ne peut accepter une France où beaucoup sont condamnés à rester proches du smic toute leur carrière", a insisté le nouveau Premier ministre. Derrière ce néologisme de "désmicardisation", beaucoup s'interrogent sur les intentions du gouvernement. "Je n'ai pas compris du tout", a réagi sur franceinfo François Hommeril, président de la CFE-CGC, le syndicat des cadres. 

"La désmicardisation, ok, mais ça veut dire quoi concrètement ?", s'interroge auprès de franceinfo une élue de l'aile gauche de la macronie. "Il s'agit de mieux rémunérer les gens, comprend un député Renaissance. Mais je ne vois pas en l'état ce que Gabriel Attal propose, il n'a pas fait d"annonces à ce sujet." Venue assurer le service après-vente, la nouvelle ministre du Travail, Catherine Vautrin, a assuré mercredi sur BFMTV que le projet n'était en tout cas pas de supprimer le smic. "La volonté aujourd'hui, c'est de permettre à nos concitoyens de progresser. Qui n'a pas envie, dès lors qu'il travaille, de voir son revenu progresser ? Le sujet est d'aider à montrer que le travail génère du revenu", a-t-elle plaidé.

Un contexte de forte inflation

Concrètement, selon Gabriel Attal, il s'agit d'abord d'agir pour que les branches professionnelles qui continuent à rémunérer en dessous du smic "remontent ces rémunérations". Plus d'une centaine de métiers sont concernés, selon la ministre du Travail. Le Premier ministre a assuré qu'il n'excluait "aucune mesure" pour parvenir à des résultats rapides. Pour rectifier le tir dans ces branches, Catherine Vautrin veut s'appuyer sur "une disposition européenne qui a été votée" et qui doit être transposée en 2026.

Outre ces cas, la part des salariés au smic en France augmente. Selon les chiffres de la Dares, elle a atteint un record de 17,3% en 2023 (après 12% en 2021 et 14,5% en 2022). Dans un contexte de crise inflationniste, cela s'explique par les revalorisations successives du smic, qui reste indexé sur la hausse des prix. Pour schématiser, les salariés payés au smic ont rattrapé une partie des bas salaires qui se trouvaient légèrement au-dessus du salaire minimum. Dans le même temps, les entreprises, incitées par le gouvernement, ont préféré donner des primes plutôt que d'augmenter les bas salaires.

"C'est conjoncturel, donc cela ne va pas nécessairement durer", explique Eric Heyer, spécialiste du marché du travail à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). "Quand on donne le chiffre de 17% de smicards, cela ne prend pas en compte le niveau des primes versées par les entreprises, mais uniquement le salaire de base. Est-ce que demain les entreprises ne vont pas transformer ces primes en salaires ?", s'interroge l'économiste.

Eviter les trappes à bas salaires

Mais il existe aussi un facteur plus structurel qui enferme une partie des salariés dans des trappes à bas salaires. Il s'agit d'un "système qui nous a conduits (...) depuis des décennies, à concentrer nos aides, nos exonérations, au niveau du smic", a expliqué Gabriel Attal devant l'Assemblée nationale, avant de prendre un exemple concret : "Aujourd'hui, pour augmenter de 100 euros le revenu d'un employé au smic, l'employeur devra débourser 238 euros de plus."

"Quant au salarié, il perd 39 euros de prime d'activité, il voit sa CSG et ses cotisations sociales augmenter de 26% et il rentre dans l'impôt sur le revenu."

Gabriel Attal

lors de sa déclaration de politique générale

"Il n'y a quasiment plus aucun intérêt pour quiconque à augmenter un salarié au smic", selon le constat dressé par le chef du gouvernement. Comme l'avait déjà fait Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse, Gabriel Attal pointe ici du doigt les effets de seuil, liés aux réductions de cotisations, qui sont plus forts au niveau du smic. "Ces allègements sont dégressifs jusqu'à 1,6 fois le smic, et après ce seuil, vous n'avez plus d'aide. Donc systématiquement, quand un employeur augmente son salarié, il perd des aides", résume Eric Heyer. C'est donc contre ce phénomène que le gouvernement souhaite agir.

"Mais attention : le terme 'désmiscardiser' peut être mal interprété, prévient l'économiste. On peut l'entendre comme une paupérisation, alors qu'en réalité, on a un smic qui progresse vite pour éviter aux smicards de perdre en pouvoir d'achat. Dans d'autres pays, on ne fait pas progresser aussi vite le smic et on a une paupérisation. Ensuite, il y a quand même un sentiment de déclassement fort pour certains salariés, qui travaillent depuis dix ou quinze ans et qui se retrouvent rattrapés par le salaire minimum."

Vers une désindexation du smic ?

Le problème n'est pas nouveau et a même déjà été ciblé par Elisabeth Borne. L'ex-Première ministre a confié à l'automne à deux économistes, Antoine Bozio et Etienne Wasmer, la mission d'étudier l'articulation entre salaires et incitations fiscales afin "que le travail paye mieux". Le rapport attendu au début de l'été doit permettre d'avancer sur des solutions, notamment pour éviter ces fameuses trappes à bas salaires. Il existe en la matière différentes pistes. La première est de miser sur une hausse des salaires, grâce à la productivité. "Quand un salarié est plus productif, généralement, on augmente les salaires en fonction de sa productivité", rappelle Eric Heyer. Mais Gabriel Attal n'a rien annoncé en ce sens : ni plans de formation ni investissements pour les entreprises.

Autre piste : il est possible de jouer sur des allègements de charges sur les bas salaires, en modifiant la progressivité des aides. Eric Heyer plaide pour adoucir la baisse de ces allègements. "On perd trop vite des aides, il faut que ce soit plus plat", suggère-t-il. Le gouvernement pourrait par exemple décider de maintenir le même niveau d'aides jusqu'à 1,6 fois le smic. "Mais cette solution coûte cher, de l'ordre de 20 à 25 milliards d'euros", prévient l'économiste de l'OFCE. Un trou qu'il faudrait financer soit par du déficit, soit en le compensant, par exemple via une hausse de la CSG (contribution sociale généralisée), un impôt à l'assiette très large que les retraités et les rentiers paient également.

Cette solution a été proposée par Eric Heyer lors de son audition par les deux économistes chargés du rapport.

"Pour un employeur, cela coûterait moins cher d'embaucher. Et pour un salarié, la baisse des cotisations sera plus importante que la hausse de la CSG."

Eric Heyer, économiste à l'OFCE

à franceinfo

Reste que cette option pourrait provoquer un nouveau front de colère du côté des retraités.

Dernière piste envisagée : ne plus indexer automatiquement le smic sur l'inflation. Le député Renaissance Marc Ferracci, chargé de réfléchir à l'acte II de la loi sur la croissance (dite "loi Macron"), a d'ailleurs proposé cette solution. "Cette indexation peut s'avérer trop lourde pour les entreprises, notamment les plus jeunes. Cela produit aussi un tassement des grilles salariales", développe le député dans le magazine économique Challenges. Il propose ainsi de "redonner aux partenaires sociaux la capacité de décider de la revalorisation salariale". Selon Eric Heyer, il s'agit de la "plus mauvaise" solution, car elle prendrait le risque de créer des "trappes à pauvreté". Gabriel Attal va désormais devoir trancher pour concrétiser son projet de "désmicardisation".

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