Strasbourg : cinq questions sur la subvention accordée par la mairie à un projet de mosquée, qui a été dénoncée par Gérald Darmanin
Le ministre de l'Intérieur a accusé, lundi 22 mars, la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, de subventionner "une mosquée soutenue par une fédération qui défend l'islam politique". Des critiques rejetées par l'élue écologiste.
Gérald Darmanin prend à partie la mairie écologiste de Strasbourg. Par un tweet, le ministre de l'Intérieur a accusé, lundi 22 mars, la maire EELV de la capitale alsacienne, Jeanne Barseghian, de subventionner "une mosquée soutenue par une fédération qui défend l'islam politique". L'élue verte répond qu'elle n'a "jamais été alertée sur ce projet". Qu'en est-il vraiment ? Cinq questions sur cette controverse qui sert d'argument à Gérald Darmanin pour promouvoir sa loi contre le "séparatisme".
D'où est partie la polémique ?
Dans la nuit de lundi 22 à mardi 23 mars, Gérald Darmanin s'en est pris sur Twitter à la "mairie verte de Strasbourg". Il a accusé celle-ci de financer une "mosquée soutenue par une fédération" d'origine turque "ayant "refusé de signer la charte des principes de l'islam de France et qui défend un islam politique". Par 42 voix contre 7, le conseil municipal de Strasbourg avait en effet approuvé, lundi 22 mars, une délibération approuvant "le principe d'une subvention" de 2,563 millions d'euros "pour la construction" de ce lieu de culte au budget total de 32 millions d’euros, dont un peu plus de 25,6 millions pour la mosquée elle-même. Le projet de construction de la mosquée Eyyub Sultan est porté par la Confédération islamique Millî Görüs (CIMG), visée par les propos du ministre.
Sur Twitter toujours, le ministre a enchaîné : "Vivement que tout le monde ouvre les yeux et que la loi séparatisme soit bientôt votée et promulguée." En fin de matinée mardi 23 mars, il a demandé à la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, de saisir la justice administrative au sujet de cette délibération.
Même si la loi séparatisme n’est pas encore adoptée, devant la gravité des décisions prises par la municipalité verte de Strasbourg, j’ai demandé à la @prefet67 de déférer la délibération d’octroi de subvention devant le juge administratif. https://t.co/N9cL20z51p
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) March 23, 2021
Une mosquée peut-elle recevoir des subventions publiques ?
En Alsace-Moselle, oui. Les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle sont toujours sous le régime concordataire, qui date de 1802, sous Napoléon Ier, et ne sépare pas les Eglises de l'Etat. Lorsque la loi de séparation des Eglises et de l'Etat a été adoptée en 1905, l'Alsace et la Moselle étaient en effet allemandes (depuis la guerre de 1870), et cette loi ne s'y est donc pas appliquée. Elle ne l'a pas été depuis.
En Alsace-Moselle, les collectivités participent donc au financement des lieux de culte. La subvention que pourrait verser la mairie strasbourgeoise au projet de construction de la mosquée Eyyub Sultan représente 10% du montant des travaux, soit un pourcentage habituel pour la subvention des lieux de culte, toutes confessions confondues, de la capitale alsacienne.
Quelles sont les grandes lignes de ce projet de mosquée ?
Le projet date de plus d'une décennie. Il s'agissait de transformer des locaux existants, qui abritaient déjà une mosquée, en un lieu plus vaste et plus accueillant, dans le quartier de la Meinau (connu pour son stade), expliquait le site d'information Rue89 Strasbourg en 2015.
"L’association de la mosquée Eyyub Sultan de la Meinau réfléchit depuis 2008 à la possibilité de réaménager ses bâtiments industriels pour en faire un lieu de culte décent."
Rue89 Strasbourgen 2015
"D’abord partie sur l’idée d’une transformation de ses locaux, elle a finalement décidé de les raser pour construire à la place un complexe communautaire, dont une mosquée à l’architecture traditionnelle musulmane turque, inspirée de l’époque ottomane", poursuivait l'article. Rue 89 précisait enfin que la nouvelle construction devait également accueillir des "nombreuses activités annexes de l’association allant des ateliers coutures et autres clubs sportifs aux activités d’enseignement de la religion".
Au départ, la Confédération islamique Millî Görüs ne comptait pas demander de subvention pour ce qui est parfois présenté comme la future plus grande mosquée d'Europe. Mais le chantier, initié en 2017, a été un temps stoppé, faute d'argent. En 2019, les fonds recueillis étaient insuffisants, souligne encore Rue 89 dans un autre article. Aussi Millî Görüs a-t-elle fini par demander, il y a quelques mois, une subvention à la municipalité. En février 2021, un étudiant proche du mouvement d'extrême droite Génération identitaire était venu inscrire un tag "Non à l'islam, ça va au bled", tracée en grandes lettres noires sur la palissade du chantier de la mosquée, rapporte France Bleu.
Qu'est-ce que l'association Millî Görüs ?
"La fédération Millî Görüs a été fondée à la fin des années 1960 par l’ancien Premier ministre turc Necmettin Erbekan, à une époque où la Turquie, laïque, se méfiait des islamistes", explique la journaliste et spécialiste de la Turquie Ariane Bonzon, contactée par franceinfo. Elle précise : "Du coup, puisqu'elle ne ne pouvait pas le faire en Turquie, cette association s'est développée en Europe. Son cœur, c'est l'Allemagne, mais elle est aussi présente en Alsace. Elle est donc née bien avant l'arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, qui a son propre système institutionnel pour contrôler les mosquées."
Mais peu à peu les deux réseaux se sont rapprochés, remarque-t-elle, avant de souligner que "le fondateur de Millî Görüs est un ancien mentor d'Erdogan”.
"Il y a désormais une porosité grandissante entre les mosquées directement contrôlées par le pouvoir turc et celles qui dépendent de Millî Görüs, même si ces dernières gardent leur autonomie."
Ariane Bonzon, journaliste et spécialiste de la Turquieà franceinfo
Elle précise enfin "qu'une mosquée Millî Görüs, c’est plus qu’une mosquée, c’est aussi un dispensaire, des associations, parfois une école".
Aussi bien l'association Millî Görüs que le Comité de coordination des musulmans turcs de France, directement rattaché au ministère turc des affaires religieuses, ont refusé de signer la charte de l'islam de France voulue par l'exécutif français. Une troisième fédération, le mouvement Foi et pratique, proche des prédicateurs rigoristes du Tabligh, a également refusé. "Certaines déclarations [contenues dans la charte] portent atteinte à l'honneur des musulmans, avec un caractère accusatoire et marginalisant", avaient ainsi estimé les trois fédérations dans un communiqué commun, sans préciser quelles déclarations étaient visées.
"Nous considérons, nous, que cette association, n'est plus capable d'être dans le monde représentatif de l'islam de France", a déclaré Gérald Darmanin sur BFMTV ce mercredi. Le ministre a affirmé qu'il y avait, "particulièrement à Strasbourg (...), des tentatives d'ingérence extrêmement fortes dans notre pays, de la part notamment de la Turquie", en écho à une mise en garde d'Emmanuel Macron, mardi sur France 5, contre des tentatives d'ingérence de la part d'Ankara lors de la prochaine élection présidentielle.
Quelle est la réaction de la mairie de Strasbourg ?
Lors d'un point presse, mardi 23 mars, la maire écologiste Jeanne Barseghian a d'abord rappelé que "ce projet de mosquée (...) est un projet ancien, il ne date pas de ma mandature" mais "d'une dizaine d'années". Elle s'est dite au passage surprise que "le ministre de l'Intérieur" s'adresse à elle "par voie de tweet". Jeanne Barseghian a également insisté sur le fait que le texte adopté lundi 22 mars stipulait que le versement effectif de la subvention, qui fera l'objet d'un second vote, était conditionné à la présentation d'un "plan de financement" clair.
"On attend un plan de financement consolidé, notamment par rapport à la demande faite aux autres collectivités, de savoir quelle est la provenance des autres types de financement, ainsi qu'une réaffirmation des valeurs de la République."
Jeanne Barseghian, maire EELV de Strasbourglors d'un point presse le 23 mars
Millî Görüs va en effet solliciter l'aide de la Collectivité européenne d'Alsace et de la région Grand Est "à hauteur de 8% chacune", dans le sillage de la grande mosquée de Strasbourg inaugurée en 2012, rappelle le quotidien régional Les Dernières nouvelles d'Alsace. Si les garanties ne sont pas apportées, le versement de la subvention ne sera pas voté, a assuré lors du même point presse Jean Werlen, élu strasbourgeois chargé des cultes.
Si Gérald Darmanin "a des choses et des éléments à nous transmettre" sur Millî Görüs, "qu'il le fasse", a encore ajouté l'élue écologiste. "Avant le tweet publié ce matin par le ministre de l'Intérieur, l'Etat n'avait formulé jusqu'ici aucune contre-indication sur ce projet, ni aucune alerte concernant les porteurs", a-t-elle souligné.
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