Cet article date de plus de dix ans.

Elections européennes : Pourquoi la manifestation anti-FN a si peu mobilisé les jeunes

Des étudiants et lycéens de toute la France sont descendus dans la rue jeudi pour protester contre l'explosion du vote FN. Mais contrairement aux défilés post-21 avril 2002, les rangs des manifestants étaient, cette fois, clairsemés.

Article rédigé par franceinfo - Alix Hardy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des jeunes lors d'une manifestation anti-Front national à Lyon, le 29 mai 2014 (CITIZENSIDE/CHRISTOPHE ESTASSY / CITIZENSIDE.COM)

La manifestation anti-Front national organisée jeudi 29 mai n’aura pas eu l’effet de rassemblement escompté. Entre 10.000 et 30.000 personnes ont défilé dans toute la France contre l'explosion du vote Front national, qui a raflé 25% des suffrages exprimés lors des européennes dimanche 25 mai. En 2002, l'arrivée surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle avec16,86% des voix avait créé un électrochoc : près d'un million et demi de personnes étaient descendues dans la rue le 1er mai. Pourquoi la montée du FN en 2014 ne mobilise-t-elle pas autant qu’il y a douze ans ? Francetv info apporte cinq éléments de réponse.

1 Parce que c'était un jour férié

La manifestation anti-FN s’est déroulée le jeudi 29 mai, jour de l’Ascension. L’initiative concernait surtout les lycéens et les étudiants, deux populations plutôt occupées en cette fin mai, les uns par leur bac, les autres par leurs examens. "Certains de mes amis ne sont pas allés manifester parce que leurs parents leur ont interdit de faire autre chose que réviser leur bac", témoigne Adrienne, 16 ans, élève au lycée Hélène-Boucher, dans le 20e arrondissement de Paris. D’autres "ont simplement voulu dormir et profiter de leur journée", complète sa camarade Zoé, qui s’est rendue à la manifestation.

Pour William Martinet, président de l'Union nationale des étudiants de Francel (Unef), un des syndicats étudiants qui organisaient le rassemblement, l’obstacle prouve plutôt "la volonté" des manifestants. "L’année dernière, lorsque les lycéens se sont mobilisés dans l’affaire Leonarda, on leur a reproché de vouloir uniquement sécher les cours. Là, ils ont défilé un jour férié et pendant les examens, c’est la preuve qu’ils s’engagent."

2 Parce que c’était un scrutin européen

En 2002, le vote concernait la présidence de la République. Tout le monde se doutait que l’arrivée de Jean-Marie Le Pen à la tête de l’Etat aurait des répercussions directes au niveau national. En 2014, la donne est différente. Le vote FN atteint certes 25%, mais dans un scrutin qui concerne l’Europe. "Les européennes ont beaucoup moins d’écho en France que la présidentielle", rappelle Sylvain Kahn, professeur agrégé à Sciences Po et spécialisé dans les affaires européennes. Autre différence selon le politologue : "Le scrutin des européennes ne comporte qu’un tour. L’enjeu a donc disparu depuis la publication des résultats dimanche soir", alors qu’en 2002, les manifestants se mobilisaient dans l’entre-deux-tours pour infléchir le cours des évènements.

3 Parce que le FN s’est banalisé

Se mobiliser est toujours plus facile dans une situation de crise. C’était le cas il y a douze ans, lors du duel Jean-Marie Le Pen-Jacques Chirac. "En 2002, c’était le premier choc. Depuis, c’est évident, le FN a progressé, il s’est banalisé", admet William Martinet. Il est beaucoup plus difficile de mobiliser les foules pour contrer un parti dédiabolisé. "Entre 2002 et aujourd’hui, la crise et les déceptions sont passées par là. Il y a les sympathisants FN, mais aussi ceux qui se disent que le gouvernement actuel l’a bien mérité et qui, même s’ils ne votent pas Front national, comprennent ce vote de protestation. C’est une preuve supplémentaire de la banalisation du parti", analyse Sylvain Kahn.

Les meneurs de la mobilisation l'avouent volontiers : la banalisation du parti d'extrême droite a éclairci les rangs des manifestants. Constance s'est posé la question : "J'ai hésité à y aller, parce que le score du FN est le résultat d'une élection, et qu'on est dans une démocratie. Les gens qui votent Front nation le font en partie pour sanctionner le gouvernement actuel..." Au final, la lycéenne s'est tout de même rendue à la manifestation pour protester contre les valeurs véhiculées par le parti de Marine Le Pen. 

4 Parce que certains jeunes votent Front national

Un sondage Ipsos décryptant le vote des Français aux européennes, avant le scrutin, indiquait que 30% des électeurs âgés de moins de 35 ans glisseraient un bulletin Front national dans l'urne. Une réalité dont on ne peut pas faire abstraction, pour Sylvain Kahn. "Les jeunes sont la catégorie qui a le plus voté pour le FN mais 70% d'entre eux ne se sont pas rendus aux urnes lors du scrutin de dimanche. S'ils avaient été, disons, 80% à aller voter, le score du Front national aurait été entre 15% et 25% - un peu plus bas que le résultat actuel, mais pas inexistant", suppose le spécialiste des affaires européennes. Un professeur abattu tweetait ce constat au lendemain des élections :

 

5 Mais pas parce que c'est ringard de manifester

Manifester dans la rue, panneau à la main et slogans à la bouche, est un mode de protestation usé jusqu’à la corde. Pourtant, et malgré l’avènement des réseaux sociaux qui permettent de se mobiliser de chez soi en un clic, la méthode n’a pas perdu de son charme pour les moins de 25 ans. "Les réseaux sociaux et les rassemblements sont complémentaires", juge Corentin Durand, le président de l'Union nationale lycéenne (UNL).

La mobilisation a d'ailleurs commencé sur internet par le biais de lycéens, ensuite réunis par "La Marche des Républicains", qui avaient créé un évènement sur Facebook. "Les syndicats ont juste joué leur rôle en accompagnant le mouvement et en organisant la manifestation dans un cadre très libre", explique-t-il. "Rien que le fait d’être réunis et de chanter 'la jeunesse emmerde le Front national', ça fédère!", rigole Zoé. "Que ce soient les réseaux, la manif traditionnelle, un festival, tout cela se complète, estime William Martinet, président de l'Unef. C'est un cadre collectif pour batailler ensemble et ne pas rester dans son coin." La mobilisation devrait continuer : l'Unef prévoit d'organiser un festival contre le racisme le 26 juin.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.