"Ce n'est pas un lavage de cerveau" : des enseignants répondent à la suppression des cours de langue d'origine décidée par Emmanuel Macron
Le président de la République a réaffirmé sa volonté de réformer ces enseignements de langue et culture d'origine, devenus la cible de critiques, avec parfois en arrière-plan des soupçons de prosélytisme religieux.
"Notre école ne peut en aucun cas faire l’objet d’ingérence étrangère", a lancé Emmanuel Macron, vendredi 2 octobre, lors de son discours sur le "séparatisme islamiste". Dans le viseur du président de la République : les enseignements de langue et culture d'origine (Elco), dont il a annoncé la suppression. Un dispositif qu'il avait déjà décrié lors d'une précédente allocution, prononcée le 19 février, à Mulhouse (Haut-Rhin). "Je ne suis pas à l'aise à l'idée d'avoir dans l'école de la République des femmes et des hommes qui peuvent enseigner sans que l'Education nationale ne puisse exercer le moindre contrôle", avait-il alors avancé.
Mis en œuvre sur la base d'accords bilatéraux signés à partir des années 1970, les Elco concernent neuf pays – l'Algérie, la Croatie, l'Espagne, l'Italie, le Maroc, le Portugal, la Serbie, la Tunisie et la Turquie. Ces enseignements facultatifs, organisés hors du temps scolaire, sont suivis par quelque 85 000 élèves par an, indique le ministère de l'Education à franceinfo. A l'origine, ils s'adressent d'abord aux enfants de travailleurs migrants, pour "structurer la langue parlée dans le milieu familial" et "favoriser leur épanouissement personnel", comme le détaille la plateforme Eduscol.
Mais au cours des dernières années, les enseignements de langue et culture d'origine sont devenus la cible de critiques concernant les contenus enseignés et le profil des enseignants, avec parfois en arrière-plan des soupçons de prosélytisme religieux.
Des contrôles réalisés par l'Education nationale
Nathalie*, directrice d'école dans le Val-de-Marne, qui a recours au dispositif depuis une dizaine d'années, n'a, elle, jamais connu de problème avec ces enseignements, indique-t-elle à franceinfo. Son établissement a notamment accueilli les cours d'arabe de Samia*, enseignante Elco pendant plus de dix ans. Une activité qu'elle exerçait en lien avec l'ambassade d'Algérie, en charge de sa nomination et de sa rémunération. En septembre, les cours de Samia n'ont pas été reconduits, l'accord entre la France et l'Algérie étant en cours de renégociation.
Contactée pour la première fois en février par franceinfo, Samia nous avait longuement raconté son expérience. Elle réfutait alors les propos du chef de l'Etat selon lesquels l'Education nationale n'avait "aucun regard" sur son travail. Elle expliquait tenir un registre d'appel et rendre compte des absences aux directeurs des écoles où elle donnait des cours. "Les enseignants Elco reçoivent un agrément de l'Education nationale, sont membres de l'équipe pédagogique et le directeur d'école doit s'assurer que les enseignements entrent dans le cadre du socle commun", détaillait à la même époque Rémy-Charles Sirvent, secrétaire national SE-Unsa, sur franceinfo. Ils participent par ailleurs aux conseils des maîtres et aux conseils d’école, écrit le ministère de l'Education dans un texte publié sur Eduscol.
Au cours de ses années d'activité, Samia a fait l'objet de trois inspections – dont deux surprises – durant ses cours, réalisées par un représentant de l'Education nationale et un membre de l'ambassade. "On vérifie le contenu des cours, le respect des principes généraux de l'éducation (gratuité, laïcité, neutralité)", explique à l'AFP Michel Neyreneuf, ancien inspecteur pédagogique régional d'arabe.
Si on trouve que cela ne fait pas du tout l'affaire, on le signale et, souvent, le pays le retire.
Michel Neyreneuf, ancien inspecteur pédagogiqueà l'AFP
Les cours de Samia étaient "principalement fréquentés par des élèves arabes, mais il y [avait] aussi des Turcs et même des Kurdes", détaille-t-elle. L'enseignante se "concentr[ait] principalement sur la langue" plutôt que la culture d'origine. Son programme scolaire, rédigé par l'ambassade, s'appuyait sur une liste de compétences : "savoir se présenter, répondre et poser des questions, énoncer des chiffres, comprendre des mots familiers..."
Pourtant, ces enseignements ne seraient "pas conformes aux lois de la République", a estimé Emmanuel Macron le 2 octobre. Une critique que le chef de l'Etat avait déjà formulée en février. "Ce sont des cours de langue, on ne va pas leur faire un lavage de cerveau", rétorque l'enseignante. De son côté, la directrice d'école réfute également toute logique communautariste.
Au contraire, ce dispositif évite de renvoyer les enfants vers des écoles coraniques. Là, l'Education nationale donne un cadre.
Nathalie*, directrice d'écoleà franceinfo
Lors de son dernier discours sur les "séparatismes", le chef de l'Etat a réaffirmé sa volonté de remplacer les enseignements de langue et culture d'origine par des enseignements internationaux en langue étrangère (EILE), "où nous pouvons avoir un enseignement en langue arabe (…), [avec] un véritable contrôle de l'Education nationale sur la qualité des enseignants et des enseignements".
Un bulletin de notes chaque trimestre
En réalité, ce n'est pas une nouveauté. Car sur le terrain, ce nouveau dispositif est déjà en cours de développement depuis 2016. Depuis son arrivée en France, il y a près de vingt ans, Fatima Diaz sillonne les routes d'Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher pour donner des cours de portugais. Enseignante dans son pays d'origine, elle a souhaité continuer à exercer en rejoignant le dispositif Elco. Fatima Diaz intervient auprès d'une centaine d'élèves du CE1 au CM2, répartis dans neuf écoles primaires. Après les horaires d'enseignement obligatoire, elle dispense des cours facultatifs de manière "ludique". "Je travaille avec des chansons, des jeux de rôle", détaille-t-elle à franceinfo.
On essaie d'apprendre une langue mais on valorise aussi la culture d'un pays.
Fatima Diaz, professeure de portugaisà franceinfo
Si elle est plutôt libre sur le format, elle répond tout de même à un cahier des charges précis, calqué sur le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL). "C'est comme l'enseignement de l'anglais en primaire", résume-t-elle. Elle dispose ainsi d'une grille de compétences qui lui permet d'évaluer les élèves à chaque fin de trimestre. Le bulletin de notes, signé par le directeur d'école, est ensuite transmis à l'ambassade et aux parents. Un contrôle qui, selon elle, permet de "montrer le sérieux des élèves et de l'enseignement".
Comme la Tunisie, le Portugal est passé au dispositif EILE en 2016. Lancée sous l'ancienne ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, cette transformation avait pour but de proposer les cours à tous les élèves, sans distinction d'origine. "L'idée de départ des Elco était que les enfants portugais installés en France ne soient pas dépaysés, avant un éventuel retour au pays. Mais ça ne correspondait plus à la réalité du terrain", explique à franceinfo Adelaide Cristovao, coordinatrice de l'enseignement portugais en France auprès de l'ambassade du Portugal.
Aujourd'hui, les EILE sont destinés à tous les élèves qui veulent apprendre une nouvelle langue.
Adelaide Cristovao, coordinatrice de l'enseignement portugais en Franceà franceinfo
Parmi ses élèves, Fatima Diaz compte ainsi des enfants de parents d'origine portugaise, mais aussi des fans du footballeur Cristiano Ronaldo "qui ont envie d'apprendre la langue de leur idole", sourit la professeure. "Sur les conditions de travail et les inspections, ça n'a pas changé grand-chose, constate l'enseignante. Je suis contrôlée par un inspecteur académique de l'Education nationale et un membre de l'ambassade." Depuis le passage en EILE, ses cours continuent de faire l'objet d'une inspection annuelle. "En ce qui me concerne, j'ai toujours essayé de faire le travail le plus sérieux possible, que ce soit en Elco ou en EILE", résume-t-elle.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des témoins
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