Cet article date de plus de deux ans.

Carburant, grèves, article 49.3... Pour le gouvernement, une semaine sociale de tous les dangers

La grève dans les entreprises pétrolières a préparé le terrain pour la journée d'action interprofessionnelle prévue mardi, alors que le gouvernement pourrait dans le même temps recourir au 49.3 pour faire adopter son budget.

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La manifestation contre la vie chère organisée par la Nupes, le 16 octobre 2022 à Paris. (JULIEN DE ROSA / AFP)

Pour le gouvernement, c'est une semaine à haut risque qui s'ouvre sur le terrain social. Alors que la situation est toujours tendue dans les stations-service, affectées par des pénuries, l'exécutif va devoir affronter un mouvement interprofessionnel, mardi 18 octobre, juste avant les premiers départs en vacances trois jours plus tard. "C'est la grande conjonction entre une mobilisation populaire, une crise institutionnelle et une mobilisation sociale", a averti dimanche Jean-Luc Mélenchon, lors d'une marche contre la vie chère organisée par la Nupes.

Voici les différents dossiers qui plombent la marge de manœuvre des ministres. 

Une situation toujours tendue à la pompe

La situation s'améliore, goutte à goutte, dans les stations-service. Mais elle est loin d'être réglée. En attendant, et alors que la grève a fait bondir les prix à la pompe, la Première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé la prolongation de la ristourne de 30 centimes par litre jusqu'au 15 novembre, qui devait baisser à 10 centimes à partir du début du mois. De son côté, TotalEnergies a confirmé la prolongation de sa remise de 20 centimes par litre également jusqu'à mi-novembre.

Mais la question des réquisitions, elle, a pris un tour symbolique et politique. Le gouvernement a pris des mesures sur deux dépôts de carburants, lundi, à Mardyck (Nord) et Feyzin (Rhône). "Nous ne le faisons pas contre les grévistes", a assuré Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. Avant d'ajouter que ces réquisitions "sont absolument nécessaires pour que les gens puissent continuer d'aller au travail et subvenir à leurs besoins basiques". Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a de son côté haussé le ton, affirmant sur BFMTV qu'il fallait "libérer les dépôts de carburants et les raffineries".

L'usure est palpable au sein de la population. Mais ce choix du gouvernement a "mis le feu aux poudres dans le pays", répond sur franceinfo Emmanuel Lépine, secrétaire général de la Fédération professionnelle de pétrole de la CGT, qui représente des stations Esso et Total. Les réquisitions et "la défense du droit de grève" figurent d'ailleurs à l'ordre du jour de la mobilisation générale de mardi.

Une mobilisation et un risque de contagion

La semaine sera marquée mardi par le mouvement interprofessionnel, à l'appel de la CGT, FO, Solidaires, la FSU et plusieurs organisations de la jeunesse (Fidl, MNL, Unef et la Vie lycéenne). Evidemment, le gouvernement surveillera de près cette journée d'action, organisée dans le prolongement du mouvement des salariés de l'industrie pétrolière.

Seront pris en compte le nombre de grévistes et l'ampleur du mouvemement – Philippe Martinez, le sécrétaire général de la CGT, a appelé à "généraliser la grève". Mais également une possible pérennisation du mouvement dans les prochains jours. "On posera la question de la grève reconductible" lors des assemblées générales, a déjà déclaré Fabien Villedieu, délégué syndical SUD-Rail. Les cheminots peuvent escompter que l'approche des vacances de la Toussaint incite la direction de la SNCF à négocier. De quoi donner des sueurs froides dans les ministères. "Personne ne sait de quel côté la pièce va tomber, explique un conseiller ministériel à franceinfo. Est-ce que ça va rester ponctuel ou est-ce que c'est le début d'un blocage durable du pays ?"

Néanmoins, beaucoup préfèrent relativiser la portée de l'événement. "Il n'y pas tant d'inquiétude que ça, si cela reste concentré sur une ou deux journées", glisse un autre conseiller ministériel. Il évoque également un "flop" au sujet de la marche contre la vie chère organisée dimanche par la Nupes, mais ajoute : "La crainte, c'est de voir apparaitre des 'gilets jaunes'. Mais tant que ça reste 'multicolore' dans les cortèges, et que les manifestants n'enfilent pas l'habit de lumière, pas d'inquiétude."

Un ministre minimise également la tenue de la journée interprofessionnelle : "Vigilance, bien sûr, mais je ne sens pas de front commun. Il n'y a d ailleurs pas de front syndical uni".

Une inflation qui sape le moral des ménages

"Le contexte est difficile, c'est un conflit sur un fond de lassitude et avec une inflation galopante", concède une conseillère ministérielle. "La conjonction de ces différents éléments est que le pouvoir est en face de quelque chose de compliqué à gérer. Le climat est inflammable." Le gouvernement a mis en place il y a un peu plus d'un an (fin septembre 2021) un bouclier tarifaire qui a jusqu'à présent limité à 4% la hausse des prix de l'électricité et gelé ceux du gaz. Mais la mesure est insuffisante pour les foyers aux budgets serrés, préviennent les associations.

Les prix à la consommation ont grimpé de 5,6% sur un an en septembre (contre 5,9% en août). Toutefois, l'inflation sur les seuls produits alimentaires, auxquels les ménages les plus modestes consacrent une part plus importante de leurs revenus, s'est accélérée en un an : elle était de 7,9% en août, elle est passée à 9,9% en septembre.

Un possible recours à l'article 49.3

Alors que la semaine sociale est déjà chargée, la bataille fait toujours rage à l'Assemblée nationale. Les députés reprennent l'examen du projet de budget 2023, alors que le gouvernement s'apprête à utiliser l'arme constitutionnelle du 49.3 pour forcer l'adoption de la partie recettes. Plus de 2 000 amendements restent à examiner, sur les plus de 3 400 déposés, à commencer par la proposition de la Nupes de rétablir l'ISF. Et de gros sujets restent à venir, comme la taxation des superprofits.

>> Budget 2023 : ce qu'il faut savoir sur le 49.3, cet article de la Constitution qui permet au gouvernement de passer en force

Le gouvernement a déjà été battu à maintes reprises : l'objectif-clé de contenir le déficit public à 5% du PIB en 2023 a été effacé, l'"exit tax" concernant l'exil fiscal des entrepreneurs a été rétablie et des crédits d'impôt ont été votés pour tous les résidents en Ehpad ou pour la rénovation énergétique de logements. Les débats autour du budget 2023 s'enlisent et l'autorité de l'exécutif est même contestée au sein de sa propre majorité.

>> Budget : en attendant le 49.3, les oppositions profitent d'une tribune politique à l'Assemblée

Avant d'engager le 49.3, le gouvernement doit toutefois prendre en compte le contexte de mobilisation sociale. "Il vaut mieux régler le problème des raffineries TotalEnergies" avant de mettre en jeu la responsabilité du gouvernement, souligne ainsi une source gouvernementale auprès de l'AFP. Les motions de censure annoncées par la Nupes et le RN sont déjà prêtes, mais elles ont toutefois peu de chances d'être adoptées. Reste à connaître le coût politique d'un tel recours, avant d'enchaîner sur une réforme des retraites aux allures de poudrière.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.