Cet article date de plus de quatre ans.

Avocats surveillés dans l'affaire des écoutes : "On est chez les dingues", Éric Dupond-Moretti dénonce "une clique de juges qui s'autorise tout"

L'avocat parle dune minorité de "juges qui dérapent" et alerte sur une "république des juges", "un grand danger pour notre démocratie".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Me Éric Dupont-Moretti, le 20 mars 2017. (CLAUDE ESSERTEL / MAXPPP)

"On est chez les dingues", a réagi vendredi 26 juin sur franceinfo Me Éric Dupond-Moretti après les révélations de l’hebdomadaire Le Point qui affirme qu’en 2014 le parquet national financier a demandé à des enquêteurs d'éplucher les relevés téléphoniques (les "fadettes") de plusieurs avocats pour identifier la taupe, qui aurait pu informer Nicolas Sarkozy et son avocat qu'ils étaient placés sur écoute dans la fameuse affaire Paul Bismuth. Selon Éric Dupond-Moretti, "il y a quelques juges qui dérapent et dérivent complètement".

franceinfo : Comment avez-vous réagi aux révélations du Point ?

Me Éric Dupond-Moretti : Je suis stupéfait, sidéré qu’on ait pu fouiller dans ma vie privée, dans ma vie intime, dans ma vie professionnelle en épluchant des fadettes pendant quinze jours, en me géolocalisant. En plus, on savait où je me déplaçais. C'est du jamais vu dans une enquête secrète que je qualifie de barbouzarde.

Vous n'êtes pas lié à l'affaire qui vise Nicolas Sarkozy et qui vous a valu d'être espionné. Vous avez passé un coup de fil à Thierry Herzog, son avocat, le jour où la justice pense qu'un informateur l'avait contacté pour lui dire qu'il était sur écoute. C’est le mauvais coup de fil au mauvais moment ?

Thierry Herzog, c’est mon ami depuis toujours. Je ne lui ai pas passé un coup de fil, j’ai essayé de lui passer un coup de fil. Je ne l’ai pas eu. On est aux alentours de 9 heures du matin. Les enquêteurs disent que c'est dans l'après-midi que Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog auraient, au conditionnel, été informés par une taupe qu’ils étaient téléphoniquement surveillés. La taupe, on ne l'a jamais trouvée. Et d'ailleurs, on leur dénie l'intelligence suffisante pour penser eux-mêmes que, peut-être, ils étaient surveillés.

Il n’y a pas de taupe. Et s’il y a une taupe, ce n’est pas moi parce que je n'ai pas eu Thierry en ligne et la police le sait parfaitement. 

Me Éric Dupond-Moretti

à franceinfo

Non, je pense qu'ils se sont régalés avec mon téléphone et mes fadettes.

Le parquet national financier a confirmé les informations du Point, mais explique qu'il n'y a rien d'illégal à demander des fadettes dans le cadre d'une enquête préliminaire. Est-ce que c'est exact ?

On verra parce que pour moi, il faut prévenir le bâtonnier. Deuxièmement, pardonnez-moi. Mais en vertu de quoi on vient chercher mes fadettes ? C'est-à-dire que si demain, le parquet national financier décide de fouiller dans votre téléphone, on vous répond il n'y a rien d’illégal. On est chez les dingues, mais on est chez les dingues ! Il faut au moins qu'il y ait quelque chose, qu’il y ait l'ombre de quelque chose. Il n'y a rien. J'appelle mon pote à 9 heures du matin. Je ne l’ai pas. Ça s'arrête là. On va surveiller des trucs pendant quinze jours ? Et le secret professionnel ? Et l'intimité de la vie privée ? Elle accepterait, Mme Houlette [ancienne magistrate à la tête du parquet national financier], de fouiller dans son téléphone portable pendant quinze jours, sans aucune raison, parce qu'elle a essayé de joindre un copain ? Mais on est chez les dingos. Et d'ailleurs, le fait qu'ils vous répondent ça, ça démontre à quel point on est dans la dérive la plus totale.

C'est la deuxième affaire qui met en cause en quelques jours le PNF. Il y a quelques jours, son ancienne chef Éliane Houlette, a affirmé qu'elle avait reçu des pressions de sa hiérarchie dans l’enquête sur François Fillon. On a un problème aujourd'hui avec le PNF ?

Vous dites que c’est la deuxième affaire, mais ce n'est pas la deuxième affaire. Il y a aussi les violations récurrentes, permanentes du secret de l'instruction au profit d'une shortlist de journalistes. Dans beaucoup d’affaires. Je vous donne un exemple, l'affaire Fillon sur un plateau télé. Messieurs Davet et Lhomme, deux journalistes du Monde, deux de vos confrères disent sans aucune gêne qu’ils ont l'intégralité du dossier de l'enquête préliminaire. Je leur dis, mais c'est le PNF [le parquet national financier] qui vous l'a donné ? On ne peut pas vous le dire, c'est le secret des sources. Alors si ce n'est pas le PNF, c'est la femme de ménage. Non, mais on se fout du monde.

Il y a une clique de juges, je le dis depuis dix ans, qui sont les gardiens autoproclamés de la morale publique et qui s'autorisent tout, au nom de l'indépendance. L'indépendance, c’est magnifique, mais il faut qu'elle soit servie par l'impartialité. 

Me Éric Dupond-Moretti 

Il y a de très grands juges dans ce pays. C'est la grande majorité des situations, mais il y a quelques juges qui dérapent et qui dérivent complètement et je pense qu'il est temps de les remettre là où ils doivent être, parce que sinon, on bascule vers la république des juges et c'est un grand danger pour notre démocratie.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.