Info franceinfo Financement de la campagne 2007 de Sarkozy : la justice a découvert un circuit de primes en liquide
La justice a découvert un circuit d'argent liquide lors de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Elle n'en connaît pas encore l'origine.
Les juges qui enquêtent sur un possible financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 par le régime libyen de Kadhafi ont mis au jour de nouveaux éléments troublants. Ils laissent penser que de l’argent liquide a bien circulé cette année-là à l’UMP et au quartier général de son candidat. Cette possible circulation d’espèces avait déjà été évoquée une première fois en janvier 2017 dans Secrets d’info, à travers le témoignage du député européen Jérôme Lavrilleux.
En 2012, il était directeur-adjoint de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Il nous avait raconté qu'à sa grande surprise, des cadres de l’UMP, déjà présents dans l’organigramme de la campagne de 2007, étaient venus lui réclamer de l’argent liquide : "La personne me dit : 'en 2007, nous avons tous reçu une prime en liquide. Là, j’ai compris qu’on nous suspectait de ne pas avoir redistribué l’argent !' C’est une pratique qui semblait être habituelle."
Jérôme Lavrilleux a confirmé ses propos, sur procès-verbal, en juin dernier. Mais désormais, les juges disposent d’autres témoignages du même type. Et ils sont très clairs. Comme l’ont révélé dès mai 2017 nos confrères de Mediapart, de nombreux anciens salariés de la campagne de Nicolas Sarkozy ont été interpellés et placés en garde en vue.
La plupart de ces salariés ont alors confirmé, devant les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption, et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) cette histoire de primes en espèces. Parmi eux, une ancienne secrétaire employée au QG de Nicolas Sarkozy :
A quoi servaient ces primes ?
Ces primes en espèces étaient, selon les témoins entendus, des compléments de revenus pour les salariés les plus dévoués. C’était "pour nous remercier du travail effectué", a expliqué l’une des attachées de presse de la campagne de Nicolas Sarkozy, qui, elle aussi, a reçu son enveloppe d’argent liquide une fois l’élection présidentielle passée :
Qui versait ces primes ?
Deux hommes versaient ces primes selon les témoins entendus par les enquêteurs : Eric Woerth et Vincent Talvas.
Eric Woerth était le trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy, Vincent Talvas le directeur financier de l’UMP. C’est dans leurs bureaux que les salariés venaient chercher l’argent liquide. Les choses semblaient bien organisées, comme l’explique une ancienne chargée de communication du candidat Sarkozy :
D'où vient cet argent ?
C’est la question centrale du dossier judiciaire. Eric Woerth a été interrogé sur ce point par les enquêteurs. Selon l’actuel président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, cet argent serait arrivé de manière "anonyme".
Entre 30 000 et 35 000 euros seraient ainsi arrivés pendant la campagne de 2007, soit au QG du candidat soit au siège de l’UMP. Eric Woerth, devant les policiers, le 16 mai 2017 :
Les enquêteurs ont du mal à croire à cette version de dons anonymes, comme tombés du ciel. Dans un rapport de synthèse rédigé en septembre, ils qualifient l’explication d’Eric Woerth de "captieuse", c’est-à-dire qui vise à tromper.
Une analyse partagée par le magistrat Eric Alt, vice-président de l’association Anticor : "Normalement, jamais un parti politique n’incite ses militants à donner de l’argent, comme cela, dans des enveloppes. On donne par chèques ou en espèces mais contre reçu. Forcément, quand ce sont des espèces anonymes, il y a un soupçon élevé de fraude."
D’anciens salariés de l’UMP doutent eux aussi de cette version fournie aux policiers par Eric Woerth. L’un de ces témoins, en charge du courrier au sein du parti pendant 20 ans :
Un parti politique peut-il recevoir des dons anonymes ?
Pour en avoir le cœur net, nous avons posé la question à l’actuel trésorier du parti Les Républicains, Daniel Fasquelle : "Je suis trésorier des Républicains depuis deux ans et demi, je n’ai jamais reçu aucun don en espèces, en petites ou en grandes coupures. Ce sont des pratiques qui ont complètement disparu. Et si ça arrivait, immédiatement, je le ferais constater par un huissier et je remettrais ces sommes d’argent à la Commission nationale des comptes de campagne et du financement de la vie publique."
Cette commission des comptes de campagne (CNCCFP) est censée prendre en compte tout l’argent qui a été dépensé pendant une élection.
Or, si du liquide a circulé pendant la campagne de Nicolas Sarkozy, sous forme de compléments de salaires, cela ne figure pas dans les comptes du candidat qui ont été approuvés par la CNCCFP.
Vincent Talvas, l’ancien directeur financier de l’UMP, l’a reconnu devant les enquêteurs lors d’une audition sous le régime de la garde-à-vue, le 16 mai 2017 :
Que répond Eric Woerth ?
Nous avons tenté d’interroger Eric Woerth sur ce point, dans les couloirs de l’Assemblée nationale. L’ancien ministre du Budget de Nicolas Sarkozy n’a pas voulu nous répondre.
Devant les enquêteurs, il a expliqué que cet argent – ces dons anonymes versés ensuite sous forme de primes à des salariés – était, selon lui, "hors campagne" et donc qu’il n’avait pas à le signaler à la CNCCFP.
Combien d’argent liquide aurait circulé pendant la campagne ?
Selon les témoignages d’Eric Woerth et de Vincent Talvas, entre 30 000 et 35 000 euros en liquide auraient été distribué sous forme de primes en 2007. Mais selon les enquêteurs, ce sont peut-être des sommes bien plus importantes qui ont circulé en marge de l’élection. Les policiers de l’office de lutte contre la corruption sont intrigués par un très grand coffre-fort loué à la BNP par Claude Guéant, le bras droit de Nicolas Sarkozy, juste pour le temps de la campagne présidentielle de 2007.
Claude Guéant s’est rendu à ce coffre à sept reprises. Officiellement, pour stocker les discours du candidat Sarkozy. Interrogés sur ce point, la plupart des anciens salariés de la campagne de 2007 mettent en doute la version de l’ancien ministre de l’Intérieur. Comme celle qui fut l’assistante de Cécilia Sarkozy pendant la campagne :
Quel lien avec l'argent libyen de Kadhafi ?
Les enquêteurs en charge de l’ « affaire libyenne » cherchent l’origine de ces espèces. Le lien avec l’argent du régime de Kadhafi reste encore à établir.
L’intermédiaire Ziad Takieddine, qui était proche, à l’époque, des réseaux sarkozystes, a affirmé devant les juges avoir remis 5 millions d’euros en espèces, en grosses coupures, à Claude Guéant et à Nicolas Sarkozy. Les deux hommes, eux, ont toujours démenti ces allégations.
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