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Tapie relaxé : "la décision du tribunal est invraisemblable" pour le co-fondateur de Mediapart

Le tribunal correctionnel de Paris a décidé ce mardi une relaxe générale dans l'affaire de l'arbitrage controversé qui avait octroyé à Bernard Tapie 403 millions d'euros en 2008 dans son contentieux avec le Crédit Lyonnais concernant le dossier Adidas.

Article rédigé par franceinfo
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Bernard Tapie, au tribunal de Paris, le 4 avril 2019. (BERTRAND GUAY / AFP)

Le journaliste Laurent Mauduit, co-fondateur du site d’investigation Mediapart et auteur d’une enquête intitulée Tapie, le scandale d’Etat, s'étonne : "Il y a eu tellement d’éléments de fraude rapportés que la décision du tribunal est invraisemblable. Ce blanchissement général laisse pantois".

franceinfo : Cette relaxe est-elle une surprise pour vous ? 

Laurent Mauduit : On ne s’y attendait pas mais quand on refait le film de ces derniers mois, on devine qu’il y avait des petits soupçons, des indices d’un déraillement possible de la justice. Il y a eu deux déraillements : un premier déraillement pendant l’instruction. Au début, l’enquête se fait sur les qualifications d’"escroquerie en bande organisée". En clair, on subodore que le scandale est un scandale d’Etat, c’est-à-dire que Tapie a bénéficié de complicités au sein même de l’appareil d’Etat, peut-être auprès de Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée à l’époque ou même de Nicolas Sarkozy. Or, en cours d’instruction cette qualification d’escroquerie en bande organisée a été abandonnée. Il n’y avait plus qu’"escroquerie" et puis "complicité de détournement de fonds publics". On a cessé de chercher des complicités jusqu’au sommet de l’Etat.

Contestez-vous cette décision du tribunal correctionnel aujourd’hui ?

Comment expliquer que Christine Lagarde soit condamnée même si elle est dispensée de peine alors que Tapie, l’acteur principal de l’histoire est relaxé ? C’est incohérent. Comment expliquer que le tribunal aujourd’hui dise qu’il n’y a pas eu fraude alors que précisément c’est la fraude qui justifie l’annulation de l’arbitrage par l’arrêt de la Cour d’appel de Paris le 17 février 2015 ? On est dans un imbroglio. D’habitude, c’est le pénal qui tient le civil dans l’affaire, là c’est inversé. Les décisions au plan civil sont définitives puisqu’il y a eu des recours devant la Cour de cassation et la Cour de cassation a validé le fait qu’il y avait eu fraude, que ça justifiait l’annulation de l’arbitrage. Il y a eu tellement d’éléments de fraude rapportés que la décision du tribunal est invraisemblable. Me Temime, pendant les plaidoiries, a dit qu’il n’y avait pas eu de contreparties. Les avocats de l’Etat ne se sont pas dressés contre lui pour lui dire "Mais si il y a eu des contreparties" ; ne serait-ce qu’une contrepartie très simple de l’appel à voter Sarkozy par Bernard Tapie. L’arbitrage est venu après coup comme un service rendu.

Le parquet a dix jours pour faire appel. Vous attendez-vous à un recours ?

Ça me semble prévisible. Il y a eu 20 000 pièces d’instruction, ils ont entendu tellement de personnes accumuler tellement d’indices concordants d’une fraude possible que ça me semble impossible de jeter à la poubelle tout ce travail qui montre des complicités, une entente. Revenons à l’origine de l’histoire : un peu avant l’élection présidentielle de 2007, l’Etat est en train de gagner sa confrontation judiciaire contre Bernard Tapie. C’est à ce moment précis où l’Etat veut et va gagner que Nicolas Sarkozy prend la décision totalement stupéfiante de suspendre le cours de la justice ordinaire pour confier le dénouement de l’histoire à une justice privée. C’est le premier des déraillements, l’instrumentalisation de la justice. Nous avons chroniqué pendant des mois et des mois les relations incestueuses entre l’un des arbitres Pierre Estoup et l’avocat de Bernard Tapie. Nous avons raconté les systèmes de connivence. Comment oublier aujourd’hui que cet arbitre a manqué à ses obligations d’indépendance ? Comment oublier qu’un autre des arbitres avait travaillé sur le dossier Tapie juste avant que l’affaire arrive devant la Cour de cassation ? Il y a tellement d’indices. Comment oublier, c’est le cœur de l’affaire, qu’en amont de l’arbitrage, au cours du premier semestre de 2007, Bernard Tapie est venu rencontrer sept fois Nicolas Sarkozy ? C’est la justice, les magistrats instructeurs qui l’ont établi. Il y a eu tellement de complicités organisées entre Bernard Tapie et les sommets du pouvoir que ce blanchiment général laisse pantois.

Êtes-vous déçu ?

Pas déçu, je n’ai jamais pris l’affaire Tapie comme une affaire personnelle. J’ai toujours pris Tapie comme le reflet, le miroir des dysfonctionnements de notre démocratie et des dysfonctionnements de la justice. C’est le cœur de l’affaire : la justice a été instrumentalisée par un arbitrage et le temps judiciaire n’est pas le temps des hommes. On constate les premières irrégularités dès juillet 2008, au lendemain de la sentence. Il faut attendre onze ans pour qu’au pénal on est enfin un verdict. Cette affaire est totalement hors norme. Il y a une immixtion de l’Etat, des interférences de l’Etat en permanence dans les procédures judiciaires. Pourquoi l’information judiciaire n’est ouverte qu’en septembre 2012 ? C’est parce que pendant quatre ans le chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy n’a pas voulu d’information judiciaire sur cette affaire.

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