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Affaire Alexis Kohler : on vous explique ce qui est reproché au secrétaire général de l'Elysée mis en examen dans le dossier MSC

Le bras droit d'Emmanuel Macron ne fait l'objet d'aucune mesure de contrôle judiciaire et reste en fonction auprès du chef de l'Etat.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, et le président de la République, Emmanuel Macron, à l'Elysée le 31 août 2022.  (LUDOVIC MARIN / AFP)

Les éléments à charge contre le bras droit d'Emmanuel Macron se précisent. Mis en examen fin septembre pour "prise illégale d'intérêts" dans le cadre de l'information judiciaire visant ses liens familiaux et professionnels avec l'armateur MSC, le secrétaire général de l'Elysée a été interrogé les 22 et 23 septembre, selon des éléments de son interrogatoire rapportés par l'AFP mardi 29 novembre.

Les juges Virginie Tilmont et Nicolas Aubertin lui reprochent d'avoir "participé" de 2009 à 2012, comme administrateur, à cinq délibérations des instances de STX France (aujourd'hui Chantiers de l'Atlantique) et trois du Grand port maritime du Havre (GPMH), liés à MSC, a appris franceinfo de source proche du dossier, confirmant une information de l'AFP.

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Alexis Kohler, également placé sous le statut de témoin assisté pour "trafic d'influence passif", ne fait l'objet d'aucune mesure de contrôle judiciaire et conserve son poste. Franceinfo vous explique ce qui lui est reproché et sa ligne de défense. 

Des interventions présumées en faveur de l'armateur italo-suisse MSC

L'affaire est née après la publication, en 2018, de plusieurs articles de Mediapart sur un éventuel conflit d'intérêts entre les postes d'Alexis Kohler dans la fonction publique et ses liens avec l'armateur italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC), fondé et dirigé par les cousins de sa mère, la famille Aponte.

Basé à Genève, MSC – l'un des plus grands transporteurs de conteneurs au monde – est un important client de l'entreprise STX France (aujourd'hui renommée Chantiers de l'Atlantique), qui gère les chantiers navals de Saint-Nazaire.

Après son passage dans les cabinets ministériels, Alexis Kohler a rejoint la filiale MSC Croisières comme directeur financier. Tout en occupant ces hautes fonctions chez l'armateur, il est devenu un membre actif de la première campagne présidentielle d'Emmanuel Macron. Sur cette période, l'association Anticor, qui a porté plainte à trois reprises après les révélations de Mediapart, soupçonne Alexis Kohler d'être intervenu comme cadre de MSC dans une réunion à Bercy en mars 2017 sur la reprise de STX France, menacé de faillite. MSC voulait alors entrer dans le capital du groupe, mais l'opération avait échoué. 

Une des plaintes d'Anticor, déposée en août 2018, concernait également le Grand Port maritime du Havre (GPMH), où Alexis Kohler a siégé de 2010 à 2012 au conseil d'administration comme représentant de l'Etat, au côté du maire du Havre, l'ex-Premier ministre Edouard Philippe. Des procès-verbaux de 2010 et 2011 du conseil de surveillance du GPMH, publiés par Mediapart et consultés par franceinfo, révèlent ainsi qu'Alexis Kohler a pris la parole et voté en faveur de contrats entre le GPMH et Terminal Normandie MSC (TNMSC), filiale française de l'armateur italo-suisse et acteur majeur de l'extension considérable du port alors engagée. 

Anticor souligne notamment que, le 30 septembre 2011, Alexis Kohler a voté, "contre l'avis du commissaire du gouvernement", en faveur de l'extension de la présence de TNMSC dans le nouveau terminal baptisé "Port 2000". 

Au total, Alexis Kohler est soupçonné d'avoir participé à cinq délibérations concernant MSC et trois concernant le Grand port maritime du Havre (GPMH), prises entre 2009 et 2012, selon les informations de franceinfo.

Deux rapports de police contradictoires 

A la suite des plaintes d'Anticor, le Parquet national financier (PNF) avait ouvert une enquête préliminaire. Une douzaine de personnes ont notamment été entendues par la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE), dont Alexis Kohler.

Ces investigations ont donné lieu à deux rapports de police successifs contradictoires, selon des éléments de l'enquête dont l'AFP avait eu connaissance.

Dans un premier rapport de 34 pages – qualifié d'intermédiaire par le PNF –, daté du 7 juin 2019, un enquêteur écrit qu'Alexis Kohler "ne prend aucune mesure pour organiser un déport formalisé", à savoir ne pas intervenir sur les questions liées à MSC lorsqu'il travaille pour le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, ou qu'il "ne met en place aucun déport" quand il est ensuite directeur de cabinet d'Emmanuel Macron.

Selon l'AFP, les magistrats mettent en doute le déport "informel" du dossier MSC vanté par Alexis Kohler pour sa période au cabinet de Pierre Moscovici (2012-2014) puis via "une lettre" avec Emmanuel Macron (2014-2016). 

Les conclusions du second rapport, plus court et daté du 18 juillet 2019, sont moins sévères : le même enquêteur détaille ainsi que des déports d'Alexis Kohler ont bien été organisés quand il a travaillé à Bercy.

En août, le PNF avait classé cette enquête préliminaire sans suite, affirmant que l'analyse des éléments recueillis "ne (permettait) pas de caractériser les infractions initialement suspectées". Mais Anticor a obtenu la relance des investigations en juin 2020 grâce à une plainte avec constitution de partie civile.

Alexis Kohler "conteste avec force avoir commis tout délit"

Alors que les appels à démissionner se multiplient dans l'opposition, Alexis Kohler "conteste avec force avoir commis tout délit", écrit son avocat, Eric Dezeuze, dans un communiqué. "Sans que soient pris en considération à ce stade les nombreux éléments objectifs à décharge, Alexis Kohler a été placé sous le statut de mis en examen pour prise illégale d'intérêt pour des faits pouvant remonter à plus de dix ans", explique son conseil, affirmant que "la suite de la procédure, à laquelle il a désormais accès" allait "lui permettre de démontrer son innocence".

A l'issue de quinze heures d'interrogatoire, Alexis Kohler a concédé un seul "débat sur le degré de formalisme poursuivi tout au long de [sa] carrière" pour avertir de son déport des dossiers MSC, rapporte l'AFP. "Choqué et indigné" que son "intégrité" soit "mise en cause", il a contesté tout "avantage tiré" de cette situation. 

Emmanuel Macron avait lui-même pris la plume en juillet 2019 en faveur d'Alexis Kohler en envoyant, via son avocat, une "note personnelle" au PNF. Le chef de l'Etat assurait que son collaborateur n'était jamais intervenu, au moment où il était son directeur de cabinet à Bercy, dans des dossiers liés à l'armateur italo-suisse MSC.

"Dans la mesure où le plus haut fonctionnaire de l'Etat est mis en examen pour prise illégale d'intérêts, la question qui se pose maintenant est celle de sa démission", estime pour sa part l'avocat d'Anticor, Jean-Baptiste Soufron, évoquant un "énorme travail, sérieux et approfondi" des juges instructeurs.

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