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Quatre questions sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël par Donald Trump

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
La Vieille ville de Jérusalem, et le dôme du Rocher, troisième plus important lieu saint musulman, le 5 décembre 2017. (AMMAR AWAD / REUTERS)

L'ambassade américaine a également été transférée dans la ville sainte, lundi.

"Président Trump, en reconnaissant ce qui appartient à l'histoire, vous avez écrit l'histoire." Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s'est répandu, lundi 14 mai, en marques de gratitude envers Donald Trump, qui a décidé de transférer l'ambassade des Etats-Unis en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem.

>> DIRECT. Des affrontements à la frontière entre Israël et la bande de Gaza font plusieurs dizaines de morts côté palestinien

Le président américain avait promis de le faire pendant sa campagne. Une plaque et un sceau américain ont été dévoilés pour signifier officiellement l'ouverture de la mission, dans les locaux de ce qui était jusqu'alors le consulat américain. Donald Trump a aussi officiellement reconnu Jérusalem comme capitale d'Israël.

Franceinfo vous explique, en quatre questions, pourquoi ce déménagement est un événement majeur.

La décision de Donald Trump est-elle une surprise ?

"Le président a été clair sur cette affaire depuis le départ : ce n'est pas une question de si, c'est une question de quand", rappelait un porte-parole de la Maison Blanche. Un tel transfert est en effet une promesse de campagne de Donald Trump. Il a en réalité été voté il y a longtemps, en 1995, par les républicains alors majoritaires au Congrès américain. Mais la loi en question contient une clause qui permet au président de reporter le transfert de six mois, pour des raisons de sécurité nationale.

Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama l'ont employée, tous les six mois, pour éviter un tel choc diplomatique. "Jusque-là, ça allait totalement de soi", explique à franceinfo Vincent Lemire, maître de conférences à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée et spécialiste de l'histoire de Jérusalem. Jusqu'à l'élection de Donald Trump, qui a promis de mettre fin à ce statu quo. Le doute avait plané dès le début de son mandat : profiterait-il de sa visite en Israël, sa première sortie internationale, pour reconnaître Jérusalem comme capitale ?

Il y avait finalement renoncé et avait prolongé le sursis de six mois quelques jours plus tard, début juin 2017, pour "donner une chance" à la paix, disait-il alors. Les spéculations ont repris le 28 novembre, quand le vice-président Mike Pence a affirmé à des diplomates et dirigeants de la communauté juive, à New York, que le président "étudiait sérieusement quand et comment déplacer l'ambassade". De quoi déclencher l'inquiétude du monde musulman et de la communauté internationale. Ses coups de fil au président palestinien Mahmoud Abbas et au roi de Jordanie Abdallah II, pour les assurer de son "intention" de transférer l'ambassade dans la ville sainte, ont été vus comme de nouveaux indices d'une décision imminente.

C'est finalement mercredi 6 décembre qu'il a confirmé qu'il ne signerait pas de nouvelle dérogation, et qu'il lançait la construction d'une ambassade américaine à Jérusalem. Il a également reconnu la ville sainte comme la capitale de l'Etat d'Israël.

Pourquoi un tel transfert est-il un choc pour la communauté internationale ?

De l'extérieur, il peut sembler étonnant que le monde se passionne pour le sort d'une ambassade. Mais installer celle des Etats-Unis à Jérusalem est un coup de tonnerre, en raison du statut très particulier de la ville sainte, disputée par les Israéliens et les Palestiniens. "Le droit international dit deux choses. En 1947, il fait de Jérusalem un corpus separatum, une entité séparée des Etats palestinien et israélien", gérée par la communauté internationale, explique Vincent Lemire. Une idée toujours valable en droit, mais qui a laissé la place, après 1967, à l'idée que Jérusalem devait être "la capitale des deux Etats, selon un partage qui reste à définir".

Depuis cette date et la guerre des Six Jours, Israël, qui contrôlait la partie ouest de Jérusalem, occupe militairement Jérusalem-Est, toujours considéré en droit comme un territoire palestinien. Jusqu'en 1980, on trouvait encore dans la ville des ambassades, jusqu'à ce qu'Israël adopte une loi faisant de la ville sa capitale "indivisible", et non partagée avec la Palestine. "Si les ambassades restaient à Jérusalem, elles reconnaissaient de facto cette revendication, y compris sur Jérusalem-Est, explique Vincent Lemire. L'ONU a demandé aux ambassades, notamment celle des Pays-Bas, de partir, ce qu'elles ont fait."

Jusqu'au déménagement de l'ambassade américaine, aucun pays n'avait son ambassade à Jérusalem. En s'y installant, les Américains rompent avec des décennies de pratiques et signalent de manière tacite qu'ils enterrent la solution, défendue par la communauté internationale, de deux Etats et d'une capitale partagée. Même si Donald Trump a assuré, mercredi, que les Etats-Unis restaient "déterminés à aider à faciliter un accord de paix acceptable pour les deux parties", et ne prenaient pas parti sur la question des frontières.

Jérusalem est le point central des négociations et du processus de paix. Ce serait une décision unilatérale gravissime : la première puissance mondiale déciderait de s'asseoir sur le droit international.

Vincent Lemire

à franceinfo

Quoi qu'en dise Donald Trump, les Etats-Unis ne pourront certainement plus jouer le rôle de médiateur qui leur revient depuis toujours dans le conflit israélo-palestinien. Ce qui explique le concert d'avertissements qui s'est élèvé à mesure que la décision de Donald Trump se rapprochait. Une telle mesure "détruirait le processus de paix", pour le porte-parole du président palestinien Mahmoud Abbas. "Dangereuse", selon le chef de la Ligue arabe, elle représente "une ligne rouge" pour les musulmans aux yeux du président turc Recep Tayyip Erdogan. En décembre, dans un entretien téléphonique avec le président américain, Emmanuel Macron avait fait part de "sa préoccupation sur la possibilité que les Etats-Unis reconnaissent unilatéralement Jérusalem comme capitale de l'Etat d'Israël".

Cette annonce de Donald Trump peut-elle provoquer une flambée de violence ?

"Il risque d'y avoir une explosion de violences sur le terrain", juge l'historien Vincent Lemire, pour qui la crise des portiques installés sur l'esplanade des Mosquées, en juillet, illustre à quel point la question de Jérusalem, est "le sujet qui peut unifier le plus de monde" dans une société palestinienne divisée. Si Washington franchit le Rubicon, le spécialiste s'attend à "des rassemblements, et potentiellement des violences", notamment autour des représentations diplomatiques américaines à Jérusalem, qui pourraient devenir le site d'une nouvelle ambassade. 

Et la colère ne se limitera sans doute pas à la Palestine. Vincent Lemire rappelle que plusieurs pays voisins se trouvent dans une situation politiquement instable. "En Egypte, l'attentat dans une mosquée" dans le Sinaï, qui a fait plus de 300 morts fin novembre, "affaiblit le pouvoir. Face à des Frères musulmans qui sont le parti frère du Hamas palestinien, et ont toujours fait de la Palestine un sujet mobilisateur." En Turquie, "Erdogan menace Israël d'une rupture des relations diplomatiques". En Jordanie, modérateur historique de la région, l'ambassade israélienne est fermée depuis qu'un de ses gardes a tué deux Jordaniens en juillet. Sans parler du Liban, dans l'instabilité depuis la démission de son Premier ministre, qui est depuis revenu sur sa décision. "La cause palestinienne a quand même été le consensus de la 'rue arabe' depuis des décennies, rappelle Vincent Lemire. Le risque est celui de manifestations monstres, qui peuvent aller loin."

"On se fiche que la moitié des gens se fasse tuer." Lundi 14 mai, jour de l'inauguration de l'ambassade américaine à Jérusalem, des dizaines de milliers de Palestiniens de Gaza se sont à nouveau massés à la frontière avec Israël. En milieu d'après-midi, au moins 41 Palestiniens avaient été tués et plusieurs centaines blessés par des tirs de l'armée israélienne.

Pourquoi Donald Trump prend-il ce risque ?

S'il a retardé son exécution, Donald Trump n'a jamais renié sa volonté d'installer l'ambassade américaine à Jérusalem. Il avait notamment nommé au poste d'ambassadeur David Friedman, fervent partisan de ce transfert. Et il répond aussi à une attente de ses électeurs. 

La droite chrétienne évangélique des Etats-Unis est pro-israélienne à un point qu'on a du mal à imaginer.

Vincent Lemire

à franceinfo

Et l'historien de continuer : "ils sont occidentalistes, mais c'est aussi ancré dans leurs croyances religieuses : certains pensent vraiment que l'existence d'Israël a un rôle important dans le retour du Messie" et qu'il faut donc défendre l'Etat hébreu à tout prix. Si Donald Trump est moins associé à ce courant religieux que son vice-président Mike Pence, il aura besoin d'eux pour être réélu. 

Et les avertissements de la communauté internationale avaient peu de chances de le dissuader, comme ils ne l'ont pas convaincu de rester dans l'accord de Paris sur le climat. "Lui pense que le droit international, c'est du 'bullshit'", estime Vincent Lemire"Il voit les relations internationales comme faites de rapports de forces et de 'deals' à conclure." Il promettait même de mettre prochainement sur la table un de ces "deals" dont il dit avoir le secret pour trouver une solution au conflit entre Israël et la Palestine, un objectif pourtant contradictoire avec celui de transférer son ambassade. Il a pourtant assuré à nouveau, mercredi, qu'il avait "l'intention de faire tout ce qui est en [son] pouvoir pour aider à sceller un tel accord".

Enfin, il est possible que Donald Trump soit heureux d'occuper l'espace avec une décision potentiellement explosive, mais qui éclipse l'affaire russe qui venait de connaître un nouveau rebondissement"La seule façon dont Trump se sort de ses affaires depuis qu'il est élu, c'est par des contre-feux", analyse Vincent Lemire. Qui partage ce souci avec le Premier ministre Benyamin Nétanyahou, pris, lui, dans un scandale de corruption. Et qui a été "humilié aux yeux de la droite israélienne" par son recul en juillet dans l'affaire des portiques de l'esplanade des Mosquées. "Je pense que Nétanyahou pousse Trump", décrypte encore l'historien. Il a salué un "jour historique" après l'annonce américaine en décembre.

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