Etats-Unis : pourquoi le mouvement de protestation du genou à terre ne rebondit pas chez les basketteurs
La fronde des footballeurs américains, qui protestent contre le racisme, avant les matchs, lors de la diffusion de l'hymne national, a fait le tour du monde. On a moins parlé des joueurs de NBA, et pour cause : leur réponse s'est faite en ordre dispersé.
Pas de main dans les poches. Hors de question de mâchonner un chewing-gum. Ni de tenir un ballon entre ses mains. Les étirements sont à proscrire. Sautiller pour s'échauffer, oubliez. Discuter avec son voisin, même pas en rêve. Et farfouiller dans son short pour remettre son caleçon en place, on n'en parle même pas. Et surtout, rester droit comme un "i".
Voilà en détail le code de conduite des joueurs de NBA quand retentit l'hymne national, avant le début de chaque match. Si les footballeurs américains de NFL ont régulièrement mis le genou à terre au moment du Star-Spangled Banner, à l'image de Colin Kaepernick, les basketteurs, eux, sont restés sages comme des images. Alors que la saison vient de reprendre, mardi 17 octobre, avec les matchs des deux finalistes de l'an passé, Cleveland et Golden State, il est temps de se demander pourquoi.
Pas une tête ne dépasse
Mettre un genou à terre seul, comme Colin Kaepernick au début de la fronde contre les violences raciales, c'est risquer de se retrouver comme l'ex-quarterback des San Francisco 49ers, à pointer au chômage, victime d'un boycott des patrons de clubs. "Nous devons réagir ensemble, laissait entendre Carmelo Anthony, alors ailier des Knicks, au New York Times* à l'automne 2016. Ça doit être une réponse collective."
Difficile à échafauder quand les joueurs sont divisés. Il y a un an, le jeune espoir des Magic d'Orlando, Victor Oladipo, assurait au site Complex* qu'il n'y avait "pas l'ombre d'un doute" que les basketteurs allaient à leur tour protester. On attend toujours.
Non que les dirigeants de la NBA soient particulièrement sévères. S'il existe un code de conduite (contrairement à la NFL), les dirigeants du championnat ne mettent pas de zèle particulier à l'appliquer. Adam Silver, le general commissionner, a ainsi fermé les yeux sur les violations au dress code des joueurs qui ont arboré, fin 2014 lors d'un échauffement, des T-shirts où était écrit "I can't breathe" (les dernières paroles d'Eric Garner, un Noir tué par des policiers) au lieu de la tenue d'entraînement réglementaire. Une entorse normalement punie d'une amende, jamais réclamée. A titre de comparaison, les patrons de la WNBA, le championnat féminin, ont d'abord infligé des amendes envers les joueuses qui s'étaient vêtues de noir juste avant les matchs ou pendant des entraînements. Puis ces responsables de la WNBA ont fait machine arrière.
Réputé progressiste, Adam Silver avait déjà géré avec doigté la crise causée par Donald Sterling, le propriétaire des Los Angeles Clippers qui avait tenu des propos racistes, en l'exfiltrant de son propre club en 2014. Le grand patron de la NBA s'est déclaré récemment "très fier des joueurs". "Ils ont toujours trouvé une façon de changer significativement leurs communautés et de promouvoir la justice sociale."
"Ma voix porte plus que mon genou"
Adam Silver n'est pas qu'un philanthrope, il connaît la sociologie de son public, très différente de celui du football américain : 45% du public de la NBA est noir, et une petite moitié a moins de 35 ans. Or ce sont les catégories les plus favorables au mouvement de protestation des sportifs, selon les enquêtes d'opinion. Si une équipe décide de s'agenouiller, il lui faudra jouer serré. Qu'il sanctionne ou qu'il ferme les yeux, il se mettra à dos une partie de son public. D'où ses déclarations prudentes où il explique "s'attendre à ce que les joueurs se lèvent pour l'hymne", mais que si l'inverse se produit, il sanctionnera "au cas par cas", relève le site spécialisé The Ringer*.
Il a été bien aidé par Stephen Curry, star des Golden State Warriors, champions en titre. Le meneur de jeu a estimé que mettre un genou en terre serait "contre-productif". Curry a préféré sécher l'invitation présidentielle à la Maison Blanche, ce qui a valu à toute l'équipe d'être la cible du courroux de Donald Trump. L'autre star du championnat, LeBron James, très militant sur le sujet des violences racistes, a lui fait connaître sa préférence pour la parole plutôt que pour le geste. "Ma voix porte plus que mon genou", a-t-il fait valoir.
La NBA n'avait eu affaire qu'à des cas isolés jusque-là. Celui de Chris Jackson, pivot des Denver Nuggets, converti à l'islam et rebaptisé Mahmoud Abdul-Rauf. Un beau jour de 1995, il décide de rester au vestiaire pendant l'hymne, car le drapeau étoilé est devenu pour lui un symbole d'oppression, explique-t-il après coup, au site local 5280.com*. Personne ne remarque rien, jusqu'à ce qu'un journaliste local mentionne son cas dans un petit écho, publié dans un coin de page, raconte SB Nation*.
Tollé national. Le premier attentat du World Trade Center (où les islamistes ont fait six morts en 1993) est encore frais dans les mémoires, et le raccourci entre le geste de défiance d'Abdul-Rauf et l'attaque perpétrée par les terroristes est vite fait. Le basketteur se voit infliger plusieurs matchs de suspension, avant que le syndicat des joueurs ne hurle à la discrimination religieuse. Un compromis est finalement trouvé : Abdul-Rauf obtient le droit de fermer les yeux pendant l'hymne, et de légèrement incliner la tête pour prier. Son cas ne fait pas jurisprudence, bien au contraire. Deux ans plus tard, la carrière de celui qui avait l'une des meilleures moyennes aux lancers francs de l'histoire s'achève abruptement, à 29 ans à peine. Vous avez dit "blacklisté" ?
60 centimètres pour marquer sa différence
Pendant la guerre en Irak en 2003, aucun basketteur ne manifeste ouvertement son opposition, contrairement à ce qui se passe dans le base-ball ou dans le basket universitaire. Et pour cause, la NBA venait d'être sérieusement reprise en main après une série de scandales culminant dans l'affaire Ron Artest, qui est grimpé dans les tribunes pour en découdre physiquement avec un spectateur qui lui avait lancé une bière. La goutte d'eau (ou de bière) qui fait déborder le vase, après une série d'affaires de drogue. Il s'en est suivi une reprise en main drastique, avec code de bonne conduite et lourdes sanctions dès qu'une oreille dépassait. On en voit encore les effets aujourd'hui.
Il ne faut pas aller chercher plus loin la raison de la protestation tout en douceur de David West, un des remplaçants des Golden State Warriors. Il manifestait sa colère tout seul depuis des années en se tenant légèrement en retrait au moment de l'hymne : "60 centimètres en arrière", précise-t-il. Ses motivations sont très claires, mais il les avait longtemps gardées pour lui : "Comment expliquer que les Noirs meurent plus jeunes, et que leurs bébés meurent en plus grand nombre ? Comment parler à des gens qui vous nient le statut d'être humain ?" s'est interrogé ce grand lecteur de Platon et de Nietzsche sur le site The Undefeated*. Avant de théoriser : "Protester est une affaire personnelle, qui s'appuie sur vos propres convictions."
Celtics #unity display goes back to 1960-61 season via @tvabby pic.twitter.com/dD5TMAdS25
— Chuck M. (@RedsArmy_Chuck) 4 octobre 2016
Une affaire personnelle ? Plus maintenant. A l'image des Boston Celtics, qui s'étaient plantés les bras croisés pendant l'hymne pour demander l'égalité des droits civiques dans les années 1960, certaines équipes de NBA, comme les Toronto Raptors ou les Milwauckee Bucks, ont décidé de se présenter bras dessus, bras dessous lors du Star-Spangled Banner. L'entraîneur des Bucks, Jason Kidd, a tenté de désamorcer le geste : "Ce n'est pas un geste de protestation. Nous montrons notre unité." De la même façon que mettre un genou en terre ne constitue pas un manque de respect au drapeau, font valoir les défenseurs de Kaepernick.
Certains peuvent tout de même mettre un genou à terre sur un parquet. Plusieurs chanteuses venues interpréter l'hymne se sont ainsi agenouillées en plein milieu de la chanson. Sans qu'elles aient reçu la moindre sanction (à part bien sûr les commentaires désobligeants sur les réseaux sociaux), ni fait la une des journaux.
*Les liens indiqués renvoient sur des sites en anglais
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