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Enquête franceinfo Jeffrey Epstein, "un homme poli et généreux" qui "aimait la compagnie des femmes", selon son homme à tout faire français

L’onde de choc après le suicide du financier américain, qui était accusé d’agressions sexuelles, a conduit le parquet de Paris à ouvrir une enquête préliminaire. franceinfo a retrouvé la trace de l’un de ses plus fidèles employés, qui évoque le quotidien et les relations d’Epstein en France.

Article rédigé par franceinfo - Théo Hetsch, Olivier Liffran, édité par Pauline Pennanec'h
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Des femmes manifestent en brandissant des portraits de Jeffrey Epstein, financier américain accusé de trafic sexuel et d'agressions sexuelles sur mineures, le 8 juillet 2019 à New York. (STEPHANIE KEITH / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Accusé d'agressions et d'exploitation sexuelles sur mineurs aux États-Unis, où il s'est suicidé dans sa cellule de prison le 10 août dernier, Jeffrey Epstein séjournait régulièrement en France. Habitué de l’hôtel Bristol dans les premiers temps, il avait fini par acquérir un appartement à Paris. L'homme d'affaires rentrait d'ailleurs de France lorsqu'il a été arrêté à sa descente d'avion.

Jeffrey Epstein est également visé par une enquête préliminaire en France depuis le 23 août pour "viols", "agressions sexuelles" et "association de malfaiteurs". Franceinfo a retrouvé la trace de son homme à tout faire parisien. Il se livre sur le financier, ses relations, et sur les accusations qui le visent de ce côté de l'Atlantique.   

"Je ne pense pas que toutes ces prestations étaient accompagnées de relations sexuelles"

Homme à tout faire de Jeffrey Epstein pendant près de 18 ans, Gabriel* a toujours les clés du luxueux appartement de "Monsieur", situé sur la très chic avenue Foch. Une demeure de 800 m2 que le financier a achetée au début des années 2000, estimée à environ 7,8 millions d'euros. Elle avait été décorée par son ami Alberto Pinto, un célèbre décorateur d’intérieurs décédé en 2012.

Comme dans sa résidence à New York, l’appartement parisien d’Epstein comprenait une salle de sport et une salle de massage - ce que confirment l’intendant et plusieurs artisans qui ont travaillé à l’aménagement de son domicile. Or, d’après certaines plaignantes américaines, c’est dans la "salle de massage" new-yorkaise que Jeffrey Epstein les aurait agressées sexuellement, avant de les payer plusieurs centaines de dollars.

>> Affaire Epstein : la mystérieuse visite de l'appartement français du millionnaire après sa mort

Gabriel, qui n'a pas encore été auditionné par les autorités américaines et françaises, décrit son ex-employeur : "Il aimait la compagnie des femmes, c’est vrai, mais elles étaient toutes majeures". L'employé reconnaît cependant ne pas avoir de certitude sur l'âge des jeunes femmes en question. D’après lui, Epstein était régulièrement entouré de jeunes femmes, souvent plusieurs en même temps, qui restaient quelques heures ou quelques jours à son domicile parisien avant de partir librement. Et le ballet s’enchaînait ainsi au rythme des envies du financier.

Selon le récit de Gabriel à franceinfo, les relations d’Epstein avec ces jeunes femmes à Paris étaient, pour l’essentiel, tarifées. "Comme Monsieur aimait beaucoup les massages, elles étaient embauchées pour cela. On peut parler de prostitution, mais je ne pense pas que toutes ces prestations étaient accompagnées de relations sexuelles", affirme-t-il. Un témoignage corroboré par celui de Sylvie*, une masseuse professionnelle, qui se rappelle avoir massé Epstein entre 2002 et 2003 dans un grand hôtel parisien. Elle se souvient alors "d’un massage normal, sportif", sans geste déplacé. "Il était plutôt discret", ajoute-t-elle.

"Lorsque j’ai commencé à son service, il se faisait masser au minimum deux fois par jour, parfois trois ou quatre fois, précise Gabriel. Mais c’était moins fréquent ces dernières années." À rebours des témoignages de certaines victimes, Gabriel évoque des femmes libres d’aller et de venir, adeptes de shopping et de jet-ski dans les Caraïbes. "Au final, elles devaient lui coûter beaucoup d’argent", estime-t-il.

Dix témoignages de victimes présumées

L'association Innocence en danger déclarait jeudi 22 août avoir reçu dix témoignages de victimes présumées. "Elles ont contacté notre service juridique suite à un appel à témoignages", affirme la fondatrice de l’association Homayra Sellier.

On peut malheureusement penser que les pulsions de M. Epstein ne se sont pas arrêtées aux portes de la France.

Homayra Sellier

à franceinfo

Comme l’atteste le registre des vols du jet privé d’Epstein que franceinfo a pu consulter, certaines femmes montaient aussi à bord de son avion — lequel avait fait l’objet en 2018 d’un signalement des autorités américaines pour suspicion de "trafic d’êtres humains" — en direction de ses propriétés dans les îles Vierges américaines, à Manhattan, ou à Palm Beach. L’une d’entre-elles, une Américaine qui sortait à l’époque d’une école de mode, l’a ainsi suivi pendant plus d’un an à bord de son avion. Contactée par franceinfo, elle affirme "coopérer avec les autorités américaines" et évoque "un dossier difficile, sensible".

Selon les informations de franceinfo, au moins une Française figure également parmi ces femmes. Pendant environ trois mois, celle-ci a embarqué à plusieurs reprises à bord de l’avion du financier en 2003. La jeune femme, qui venait de terminer des études de coach sportive, était alors âgée de 24 ans. Elle apparaît également dans le "petit livre noir", le carnet d’adresses personnel d’Epstein. Et plus précisément à la colonne "Massages Paris" aux côtés d’une trentaine d'autres noms.

"Il faisait un peu partie de la famille"

Soucieux de réhabiliter l’image de son patron, Gabriel brosse le portrait d’un homme "poli, bien éduqué et généreux". "Il faisait un peu partie de la famille", affirme-t-il, avec des trémolos dans la voix. Et de souligner les petites attentions d’Epstein envers ses employés : cadeaux reçus à chaque anniversaire, séjours à New York, billets pour des comédies musicales à Broadway, coup de main lors d’un problème médical...

Malgré le décès de son patron, Gabriel reste aujourd'hui un homme occupé. "Il n’est pas au chômage, confirme son épouse, il y a un trust qui décide de tout et il travaille pour eux." Deux jours avant de se donner la mort le 10 août dans une prison fédérale à Manhattan, le financier américain a laissé des instructions précises. Dans un testament, dont le contenu a été révélé par la presse américaine, il mentionne avoir confié l’ensemble de sa fortune - soit environ 577 millions de dollars - aux soins du Trust 1953 enregistré dans les îles Vierges américaines. Au-delà de la délicate gestion de l’héritage, cette société semble également avoir autorité sur les anciens employés d’Epstein.

Gabriel se rend ainsi dans l'appartement avenue Foch le 21 août dernier pour une raison inconnue. Contactée par franceinfo à ce sujet, son avocate, Me Marie-Joseph Experton, qui s’occupait également d’une partie des affaires de Jeffrey Epstein, n’a pas donné suite à nos appels.

L'appartement de Jeffrey Epstein, situé au 22 avenue Foch, à Paris. (OLIVIER LIFFRAN)

"De toute évidence, l’homme avait deux vies, bien séparées", estime pour sa part Linda Pinto, qui a participé – avec son frère Alberto – à la décoration de son appartement parisien et de sa résidence dans les îles Vierges. "Je le connaissais très bien, c’était un homme intelligent, je l’appréciais", ajoute la décoratrice, qui a embarqué une dizaine de fois dans le jet privé d’Epstein et affirme n’avoir rien remarqué de suspect. "Après, les gens font ce qu’ils veulent avec leur vie privée."

Aux dires de son intendant, Jeffrey Epstein semblait toutefois soucieux de cloisonner ses activités. Ainsi, les jeunes femmes reçues à son appartement étaient souvent tenues à l’écart lors de réceptions mondaines ou professionnelles. "Elles mangeaient parfois dans la cuisine" lorsqu’il y avait des invités, précise Gabriel. Lequel souligne aussi que son patron avait à cœur de garder secret son agenda et celui des femmes qui l’accompagnaient.

Des têtes couronnées aux hommes politiques

Fidèle à sa promesse de confidentialité, Gabriel ne raconte qu’une partie des relations de son employeur. Il confirme néanmoins à franceinfo avoir vu à plusieurs reprises Jean-Luc Brunel, le fondateur des agences de mannequins Karin Models et MC2 Model Management, cité dans la procédure judiciaire américaine. Selon deux plaignantes, M. Brunel jouait le rôle de rabatteur pour Epstein, amenant aux États-Unis des "jeunes filles" venues de milieux modestes en leur faisant miroiter des jobs dans le mannequinat.

Pour le reste ? "J’ai servi des têtes couronnées, des diplomates, des hommes d’affaires et hommes politiques", résume Gabriel. Et de citer en exemple l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, le prince Andrew – qui selon Gabriel aurait séjourné plusieurs nuits avenue Foch en l’absence d’Epstein –, ainsi que le couple Bill et Melinda Gates. On retrouve d’ailleurs la trace du fondateur de Microsoft dans le registre des vols d’Epstein, où il est mentionné qu’il a voyagé seul en mars 2013. Contactée par franceinfo, l’une des porte-paroles de Bill Gates soutient que "toute allusion à une relation d’affaires ou personnelle entre Jeffrey Epstein et Bill et Melinda Gates est totalement fausse".

Gabriel affirme également que le chantre de l’ultra-droite américaine Steve Bannon s'est retrouvé dans l'appartement parisien d'Epstein à l’automne 2018. "J’ai même été son chauffeur à Paris", affirme ainsi Gabriel. Contactée à plusieurs reprises, sa porte-parole a répondu que l’ancien conseiller politique de Donald Trump séjournait systématiquement à l’hôtel Bristol lors de ses déplacements à Paris.

Jack Lang, une "relation de rencontre"

Côté français, l’intendant évoque sans s’y attarder "des ministres en fonction aujourd’hui ou ayant appartenu à des gouvernements passés". Parmi eux figure Jack Lang, ancien ministre socialiste de la Culture et de l'Éducation nationale et actuel président de l’Institut du monde arabe, qui l’a convié en mars dernier aux célébrations des 30 ans de la pyramide du Louvre.

Les deux hommes se sont rencontrés il y a plusieurs années lors d’un dîner organisé en l’honneur de Woody Allen au domicile parisien de la princesse de Bourbon des Deux-Siciles. "Epstein était une personne charmante, courtoise et agréable", déclare Jack Lang, qui évoque une "relation de rencontre". "Je me suis rendu une seule fois chez lui avenue Foch pour un déjeuner. C’est vrai qu’il était souvent accompagné de quelques jolies femmes, mais qui n’étaient à l’évidence pas des mineures", déclare l'ancien ministre.

Je suis tombé de l’armoire en apprenant toutes ces histoires.

Jack Lang

à franceinfo

Si Jack Lang affirme ne pas se souvenir d’une rencontre avec Ghislaine Maxwell, l’ancienne compagne de Jeffrey Epstein accusée par certaines victimes d’avoir pris part aux abus sexuels du financier, il reconnaît avoir bien connu son père. "Robert Maxwell, c’est quelqu’un que tout le monde a rencontré dans les années 1985-1986 lors du maelström autour de la privatisation de TF1, tempère-t-il. Député travailliste, homme de médias… Il avait à l’époque une image excellente."

Malgré ces mondanités et les relations d’Epstein avec le Gotha mondial, Gabriel décrit un patron relativement seul qui passait beaucoup de temps sur son ordinateur. Inquiet ces dernières années pour sa sécurité, il avait fait appel à un garde du corps et fait l'acquisition d'une voiture blindée. Au final, "je préfère ma vie à celle qu’il a eu", avoue l’intendant. En 18 ans à son service, il n’a par exemple jamais rencontré le frère de celui-ci, Mark, dont Jeffrey Epstein ne parlait que très rarement. Il pourrait pourtant hériter d’une partie de sa fortune.

*Les prénoms ont été modifiés

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