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L'article à lire pour tout comprendre aux élections présidentielle et législatives en Turquie

Article rédigé par Carole Bélingard - Louise Hemmerlé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Meeting de soutien au président turc Recep Tayyip Erdogan lors d'un meeting à Sarajevo, en Bosnie, le 20 mai 2018.  (AMEL EMRIC / SIPA)

La Turquie organise, dimanche 24 juin, des élections présidentielle et législatives, anticipées, près d'un an et demi avant la date prévue. 

Les Turcs s'apprêtent-ils à renouveler le mandat de Recep Tayyip Erdogan à la tête du pays ? Les électeurs sont invités à s'exprimer lors des élections générales, le dimanche 24 juin. Une échéance électorale anticipée de plus de seize mois par le chef de l'État pour s'assurer toutes les chances de victoire.

Vous ne connaissez rien à la politique en Turquie, si ce n'est le nom du président ? Pas de panique : franceinfo fait le point et vous résume l'enjeu de ce scrutin.

Pour quelles élections les Turcs sont-ils appelés aux urnes ?

Le 24 juin, les électeurs turcs votent pour les élections présidentielle et pour les législatives, qui étaient initialement prévues le 3 novembre 2019. Ces élections actent l'entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle de 2017, approuvée par référendum, et qui marque la présidentialisation du régime turc. Le nouveau président élu sera à la fois chef de l'Etat et chef du gouvernement, alors que, jusqu'alors, les postes de président et de Premier ministre étaient distincts. À ce titre, le président pourra directement nommer tous les membres de son gouvernement.

Quant à la Grande Assemblée nationale, le Parlement du pays, elle voit la durée de son mandat passer de quatre à cinq ans et le nombre de ses députés, de 550 à 600. Mais ses pouvoirs seront grandement diminués, car le président pourra contourner le Parlement en gouvernant par décrets dans sa large sphère de compétences.

Pourquoi Erdogan a-t-il convoqué des élections anticipées ?  

La décision de Recep Tayyip Erdogan d'anticiper les élections générales de près d'un an et demi a surpris de nombreux observateurs mais s'explique par la conjoncture politique et économique en Turquie.

D'abord, anticiper les élections permet à Erdogan d'étendre ses pouvoirs. "Il était convenu que l'essentiel des amendements adoptés par référendum ne serait appliqué qu'après les prochaines législatives, explique Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de la Turquie. Or Erdogan est impatient d'avoir constitutionnellement un pouvoir incontesté", ajoute-t-il. Le président veut aussi surfer sur l'engouement nationaliste qu'a provoqué l'intervention militaire turque dans le nord de la Syrie entre janvier et mars 2018 pour reprendre le canton d'Afrin, avant que ses effets ne se dissipent.

Si les élections ont été tant anticipées, c'est qu'il y a une vive inquiétude du côté d'Erdogan quant à son avenir politique.

Didier Billion, géopolitologue

à franceinfo

Mais surtout, la bonne situation économique, qui a porté Erdogan jusqu'à maintenant, est en train de changer. "L'inflation a repris assez massivement, les investissements directs étrangers sont insuffisants, il y a une dépréciation de la livre turque par rapport au dollar", détaille Didier Billion. "Même si l'on ne parle pas encore de crise, en Turquie beaucoup de gens souffrent déjà de cette situation économique et ces turbulences affectent les milieux modestes", décrit l'économiste indépendant Mustafa Sönmez dans Libération. Erdogan veut donc agir avant que la situation économique ne se dégrade : "Sinon, il risque fort de perdre une partie de son électorat", estime Didier Billion.

Qui sont les opposants à Erdogan ?

Six candidats s'affrontent à l'élection présidentielle. Face à Erdogan, candidat à sa réélection, on trouve Muharrem Ince, du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), Meral Aksener, présidente du Bon Parti (nationaliste, conservateur et laïque), Selahattin Demirtas, du Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde), Temel Karamollaoglu, du Parti de la félicité (islamo-conservateur), et Dogu Perincek, qui représente le Parti patriotique (extrême gauche).

C'est Muharrem Ince, candidat du Parti républicain du peuple, habile orateur capable de haranguer les foules, qui semble avoir le vent en poupe et apparaît comme le principal rival d'Erdogan. 

Muharrem Ince lors d'un meeting électoral à Istanbul, le 3 juin 2018.  (EMRAH GUREL/SIPA)

"En examinant l'arithmétique de l'élection, le plus probable est qu'Ince arrive deuxième [après Erdogan] et qu'Aksener soit derrière lui", estime Fuat Keyman, directeur du centre de réflexion Istanbul Policy Center, interrogé par l'AFP.

Première femme à se porter candidate à une élection présidentielle en Turquie, Meral Aksener a fait sécession du Parti d'action nationaliste (MHP), aujourd'hui allié à Erdogan, pour créer, en octobre 2017, le Iyi ("bon") Parti. Malgré sa jeune existence, cette candidature prend de l'ampleur. Quant au chef de file des prokurdes, Selahattin Demirtas, il fait campagne depuis la prison d'Edirne où il est emprisonné depuis 2016 pour activités "terroristes".

Aux législatives, trois blocs s'affrontent. C'est "une nouveauté en Turquie, puisque les listes communes étaient jusqu'alors interdites", observe Didier Billion dans un billet de blog sur le site de l'Iris. Deux coalitions sont au coude-à-coude, qui sont "créditées chacune d'environ 40% des voix", indique Didier Billion. D'un côté, le bloc de l'AKP et son allié de la droite radicale, le MHP, et, en face, le CHP et le Bon Parti qui se sont alliés avec deux autres petits partis. Le HDP (pro-kurde) fait cavalier seul et est crédité de 10 à 15% des voix.

Erdogan risque-t-il de perdre les élections ?

Erdogan se retrouve dans une situation inédite. A la dernière présidentielle, en 2014, il a été élu dès le premier tour, mais cette fois, "puisqu'il y a six candidats, quasi mécaniquement il ne peut pas arriver vainqueur dès le premier tour", juge Didier Billion.

Si aucun candidat ne remporte plus de 50% des voix au premier tour, un second tour sera organisé le 8 juillet. "Au moment du deuxième tour, cela va être extrêmement serré, puisque tous les partis d'opposition ont décidé de soutenir le candidat d'opposition qui arriverait au second tour en face d'Erdogan. Ce n'est pas joué du tout", poursuit le spécialiste. 

Un sondage de l'institut Gezici publié le 7 juin indique qu'Erdogan pourrait récolter 48,7% des votes au premier tour et Muharrem Ince, 25,8%. Odul Celep, professeur associé de Sciences politiques à l'université Isik d'Istanbul, affirme que Muharrem Ince est capable à la fois de "consolider la base du parti mais aussi de rallier plus d'électeurs non-partisans, indépendants ou indécis".

L'opposition a-t-elle pu faire campagne librement ?

"Dès le début de la campagne, chaque parti, que ce soit le parti au pouvoir ou les partis d'opposition, ont pu organiser des meetings", assure à franceinfo Selcuk Demir, conseil du consulat de Turquie à Paris. Mais Besime Konca, ancienne députée du HDP, déchue de ses droits politiques depuis 2016, dénonce les conditions de la campagne électorale.

En Turquie, la répression est effroyable, il y a l'état d'urgence. Tous les autres candidats mènent une campagne en toute liberté. Nous n'avons pas cette liberté, nous sommes la cible de menaces.

Besime Konca, ancienne députée HDP

à franceinfo

Le candidat du HDP Selahattin Demirtas mène campagne depuis sa cellule. Il a néanmoins pu se présenter comme candidat et a été autorisé à enregistrer, comme les autres candidats, un message de campagne pour la chaîne de télévision publique, TRT. Sinon, Selahattin Demirtas a recours aux réseaux sociaux pour s'adresser à son électorat. Il tweete régulièrement. Chaque semaine, il est également autorisé à passer un coup de téléphone à sa famille qui se transforme en discours politique, comme l'a relevé RFI. La conservation filmée est ensuite postée sur Twitter par le HDP.

Et la presse dans tout cela ?

Depuis plusieurs années, de nombreuses atteintes à la liberté de la presse ont été constatées. La Turquie est 157e au classement mondial de la liberté de la presse, publié en 2018 par Reporters sans frontières"La Turquie est de nouveau la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias", estime l'ONG. En effet, depuis le le coup d'État manqué de 2016, les fermetures massives de journaux et de chaînes de télévision se sont accélérées. Peu de médias indépendants subsistent, à l'exception notable de Sozcu, le quatrième journal le plus lu de Turquie, relève l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Ce contexte d'une presse majoritairement acquise au pouvoir en place a de lourdes conséquences sur la représentation des différents candidats dans les médias. "C'est totalement injuste et asymétrique, comme campagne électorale, les temps de parole attribués à chacun des candidats sont totalement déséquilibrés", constate Didier Billion. Ainsi, selon Transparency International Turquie, la chaîne de télévision publique TRT n'a accordé que trois secondes de temps d'antenne à Demirtas dans ses journaux en mai, contre 105 minutes à Erdogan.

Les élections seront-elles transparentes ?

L'opposition craint des fraudes le jour du scrutin. "Nous faisons un appel de masse pour que des observateurs indépendants soient présents pendant le vote", explique Besime Konca, du HDP. Des appréhensions confirmées par Didier Billion. "Je crains que les fraudes électorales ne soient massives, explique l'expert en Turquie. On avait déjà constaté cela lors du référendum de 2017, il y avait visiblement des fraudes concernant 1 à 1,5 million de bulletins de vote, même si on n'a jamais réussi à le prouver formellement". Lors de ce vote, des vidéos tournées par le parti d'opposition montraient des bourrages d'urnes, rapporte France 24.

Si Erdogan gagne, aura-t-il tous les pouvoirs ?

Le référendum de 2017, où le "oui" l'a emporté sur le fil, a renforcé les pouvoirs du président. Ainsi Erdogan "gouvernera par décrets, décidera du budget, nommera les vice-présidents, les ministres, les hauts fonctionnaires, la moitié des membres de la Cour constitutionnelle. Les ministres n'auront de comptes à rendre qu'à lui seul, le Parlement ne sera plus qu'une chambre d'enregistrement", énumère la correspondante du Monde en Turquie.

"Une telle concentration de pouvoirs entre les mains d'un seul homme, quel qu'il soit, conduit forcément à l'autoritarisme", craint Riza Turmen, ancien député du CHP, dans une interview à Mediapart. Au contraire, Selcuk Demir, conseiller juridique du consulat turc à Paris, craint que la défaite d'Erdogan entraîne une "instabilité politique". "Si Erdogan venait à perdre, cela aurait des conséquences graves. Car s'il y a un front commun aujourd'hui dans l'opposition, tous ces partis ont une idéologie très différente", développe-t-il.

J'ai eu la flemme de tout lire. Vous pouvez me faire un petit résumé ? 

Le 24 juin, les électeurs turcs votent pour les élections présidentielle et législatives, initialement prévues le 3 novembre 2019. Dans un contexte de difficultés économiques, Recep Tayyip Erdogan a souhaité anticiper les élections générales, afin de bénéficier des pouvoirs que lui confère le dernier référendum.

Six candidats sont en lice aux élections présidentielles, dont Selahattin Demirtas, du parti pro-kurde HDP, qui est toujours emprisonné. Les principaux autres concurrents sont Munharrem Ince du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), et la nationaliste Meral Aksener, du Bon Parti. Aux législatives, trois blocs s'affrontent : l'AKP d'Erdogan allié à l'extrême-droite du MHP, le parti pro-kurde HDP et l'alliance de tous les autres partis d'opposition.

La campagne se déroule dans un contexte tendu, où une grande majorité de la presse est acquise à Erdogan et où les temps de parole sont déséquilibrés. L'opposition craint des fraudes massives le jour du vote.

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