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Erdogan en France : "Nous sommes dans la généralisation du concept de terrorisme à toute personne qui exprime son opposition au pouvoir"

Ahmet Insel, professeur à l'Université de Galatasaray et de Paris 1, a expliqué, vendredi soir sur franceinfo, que c'est la première fois que la question de l'adhésion de la Turquie à l'UE est remise en cause publiquement pour des questions liées aux droits de l'Homme.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le président turc Recep Tayyip Erdogan, le 5 janvier 2018, à Paris. (LUDOVIC MARIN / POOL)

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a effectué, vendredi 5 janvier, une visite en France. Après s'être entretenu à l'Elysée avec Emmanuel Macron, les deux chefs d'Etat ont tenu une conférence de presse. Pour Ahmet Insel, professeur à l'Université de Galatasaray et de Paris 1, interrogé sur franceinfo, c'est la première fois que la question de l'adhésion de la Turquie à l'UE est remise en cause publiquement pour des questions liées aux droits de l'Homme. "Aussi franchement dit, oui c'est nouveau", a affirmé Ahmet Insel.

Par ailleurs pour ce politologue, Recep Tayyip Erdogan a franchi un pas supplémentaire dans l'assimilation des journalistes turcs emprisonnés à des terroristes : "Nous sommes dans la généralisation du concept de terrorisme à qui exprime son opposition au pouvoir."

franceinfo : Est-ce nouveau comme discours de dire publiquement que la situation en matière de droits de l’Homme en Turquie ne permettrait pas l'adhésion à l'UE ?

Ahmet Insel : Dit aussi franchement : oui, c'est nouveau. C'est quelque chose qui était dit derrière les portes depuis des années. Mais, dans une déclaration commune de deux chefs de l'Etat, à ma connaissance, c'est la première fois. Je crois que la question des droits de l'Homme est le point principal [de blocage] puisque que dans le processus d'adhésion a été introduit les critères de Copenhague. Il s'agit du respect de l'Etat de droit, des libertés individuelles, etc. Ce que ne respecte absolument pas la Turquie.

Emmanuel Macron était attendu sur la dérive autoritaire de Recep Tayyip Erdogan. Est-ce qu'il y a un changement de ton sur ce sujet ?

Je ne sais pas, parce qu'il n’y avait que des contacts bilatéraux privés à ce sujet. La France avait plusieurs fois contacté le président Erdogan, notamment pour la libération de deux journalistes français. Et, à cette occasion, ils ont probablement échangé des choses à ce sujet. Ce qui n'est pas nouveau, c'est la réponse d'Erdogan. Evidemment, il n'a pas reconnu que dans son pays les droits de l'Homme et l'Etat de droit ne sont pas respectés. Nous avons vu ses réponses qui sont quand même très inquiétantes. Mais, il y a une deuxième expression à propos des journalistes, des intellectuels qu'il accuse d'être emprisonnés parce qu'ils sont impliqués dans des actions de propagande terroriste, etc. Il ne reconnaît pas leur incarcération qui proviendrait du seul fait du journalisme. Il a aussi utilisé l'expression "jardiniers du terrorisme". Cela est une expression extrêmement grave. Là, nous sommes dans la généralisation du concept du terrorisme à toute personne qui exprime son opposition au pouvoir.

La question des droits de l'Homme a été abordée comme celle de la lutte contre le terrorisme. Mais il y a aussi une dimension économique, plusieurs contrats ont été signés. Est-ce que ça peut expliquer que le sujet des droits de l'Homme ne soit pas le sujet numéro 1 ?

De toute façon dans ce genre de réunions, l'ordre du jour est négocié à l'avance. Il est évident que Recep Tayyip Erdogan ne serait pas venu en France pour écouter une leçon sur les droits de l'Homme. Donc, d’une part il y avait un intérêt manifestement pour le président turc de dire qu'il reste au niveau international un homme d'Etat crédible, alors qu'il est de plus en plus isolé. Sa politique internationale échoue. D’autre part, il y a deux choses sur lesquelles la France attache de l'importance : c'est l'ensemble des radicalisés français qui sont en Syrie et qui peuvent rentrer en France. Et, là-dessus, la Turquie joue le rôle de sas de sécurité. Il y avait donc des intérêts mutuels des deux côtés et je comprends que désormais ce soient les relations bilatérales qui prennent le dessus.

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