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"La région n'était pas prête à endurer cela" : après le séisme en Syrie, le défi des secouristes pour acheminer l'aide humanitaire aux victimes

Le tremblement de terre a fait plus de 20 000 morts, dont près de 3 300 dans le pays dirigé par Bachar Al-Assad, selon les autorités syriennes et turques.
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Des civils menant des opérations et de sauvetage à Idlib (Syrie), le 7 février 2023. (MUHAMMED SAID / ANADOLU AGENCY / AFP)

"Nous avons besoin d'aide d'urgence. A chaque seconde, on perd une vie". Comme plus de 2 500 autres Casques blancs, Ismail Alabdullah tente de venir en aide aux victimes du séisme meurtrier qui a frappé la Turquie et la Syrie, lundi 6 février. Ce secouriste est actuellement déployé dans la ville de Sarmada, au nord-ouest du pays, à la recherche de rescapés. Le tremblement de terre, et ses centaines de répliques, a fait plus de 20 000 morts, selon le dernier bilan livré jeudi soir par les autorités des deux pays.

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Parmi eux, près de 3 200 personnes ont péri dans les zones rebelles syriennes, c'est-à-dire celles qui ne sont pas sous le contrôle du régime de Bachar Al-Assad. "Environ un millier de personnes sont encore sous les décombres", déclarait Ismail Alabdullah à franceinfo, mercredi. Les rescapés ayant perdu leur habitation du jour au lendemain se comptent par centaines. Ils se retrouvent sans-abri et exposés au froid.

Malgré la mobilisation des sauveteurs locaux, déjà sur place, le manque de matériel de secours et de soins est encore criant, car les régions contrôlées par les forces d'opposition sont privées de toute assistance gouvernementale. "Nous avons besoin d'aide, nous demandons celle de la communauté internationale (...) pour secourir notre peuple", ont insisté dès lundi les Casques blancs sur Twitter*.

Le gouvernement syrien a lui aussi pressé le reste du monde d'envoyer du renfort et lever les sanctions qui pèsent sur Damas, bien que ces mesures n'empêchent pas l'envoi d'aide humanitaire. La France a d'ores et déjà annoncé une aide d'urgence de 12 millions d'euros pour la population syrienne, quand l'ONU a assuré vouloir prêter main-forte. Mais plusieurs facteurs compliquent l'acheminement d'assistance humanitaire au nord de la Syrie, région déjà sous-dotée en moyens médicaux.

Le nord de la Syrie, un territoire profondément divisé

D'un point de vue territorial, plusieurs acteurs contrôlent le nord du pays. Comme le montre cette carte du Washington Post*, la région est divisée en quatre : les territoires contrôlés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), principalement kurdes, ceux gérés par des jihadistes, la zone frontalière sous influence turque et celle soumise au régime de Bachar Al-Assad.

Au Nord-Ouest, la zone d'Idlib, particulièrement touchée par la catastrophe, est ainsi contrôlée par le groupe jihadiste Hayat Tahrir al Sham. Les Casques blancs peuvent y intervenir, tentant notamment de secourir les personnes prisonnières des gravats, "mais les moyens manquent", prévient Firas Kontar, juriste franco-syrien basé en France et opposant à Bachar Al-Assad. "Il faut des équipements lourds, de sauvetage, il manque des grues, des groupes électrogènes dans cette zone. Il faut aussi chauffer les gens à la rue et les nourrir", poursuit-il auprès de franceinfo. 

Des rescapés du séisme se réchauffent pendant que l'opération de sauvetage se poursuit à Idlib, en Syrie, le 8 février 2023. (MUHAMMED SAID / ANADOLU AGENCY / AFP)

Pour venir en aide aux victimes, il manque aussi des bras. Mais l'envoi d'autres équipes de secours sur place est rendue particulièrement délicate à cause de la présence de jihadistes, précise Firas Kontar. "Il n'y a pas une zone qui ne soit pas jugée dangereuse. En raison des bombardements du régime", pointe l'opposant. Le média Middle East Eye*, basé à Londres et qui regroupe des journalistes indépendants de plusieurs pays, a d'ailleurs relayé mardi les propos d'une députée britannique faisant état de bombardements la veille au nord d'Alep, à Marea, seulement quelques heures après le séisme. Une information confirmée à franceinfo par Ismail Alabdullah.

Une autre région particulièrement affectée par le séisme, autour de la ville d'Alep, est quant à elle sous contrôle du régime syrien. Dans cette zone, "ce sont principalement des ONG syriennes" qui interviennent, explique Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie et maître de conférences à l'université Lumière Lyon 2. Il se présente comme un "observateur extérieur neutre" de la politique syrienne, bien que certains chercheurs et opposants au régime remettent en cause sa neutralité.

Des ONG internationales travaillent dans d'autres zones du pays, "mais sans autorisation du gouvernement syrien". En revanche, pour intervenir dans les localités contrôlées par Damas, le régime a conditionné leur présence au fait de ne plus travailler dans les régions rebelles ou kurdes, mais "très peu d'ONG ont fait ce choix", précise Frédéric Balanche. En 2019, seule l'ONG Norvegian Refugee Council était autorisée à travailler sur tout le territoire, d'après le journal libanais L'Orient-Le Jour.

Un unique point de passage à la frontière turco-syrienne

Alors comment la communauté internationale peut-elle apporter son aide sans passer par les autorités syriennes ? Le seul moyen pour accéder au nord-ouest du pays est de passer par des corridors humanitaires à partir de la Turquie, même si "la neige et les températures glaciales" compliquent le transport de matériel, a exposé El-Mostafa Benlamlih, coordinateur auprès de l'ONU, mercredi lors d'un point presse.

Initialement, les Nations unies garantissaient l'ouverture de quatre points de passage. Mais en 2020, sous la pression de la Russie et de la Chine, alliées du gouvernement syrien, trois postes transfrontaliers ont été fermés. Il n'existe plus que celui de Bab al Hawa, ce qui limite l'afflux d'aide humanitaire. "Ce corridor est insuffisant au regard des besoins. Nous demandons une réouverture du corridor de Bab al Salam, près d'Afrin", plaide Raphaël Pitti, anesthésiste-réanimateur responsable de formation pour l'ONG Mehad.

L'ONU a assuré jeudi qu'une partie de l'aide humanitaire d'urgence allait enfin passer par Bab al Hawa. Une information confirmée par le responsable du point de passage. Il assure auprès de l'AFP que le premier convoi d'aide est entré dans les zones rebelles jeudi matin. A titre de comparaison, en Turquie, l'aide internationale a commencé à arriver dès mardi, des dizaines de pays ayant proposé leurs services à Ankara.

Un homme marche dans Kahramanmaras, en Turquie, pendant qu'une opération de sauvetage est en cours, le 8 février 2023. (ADEM ALTAN / AFP)

Des infrastructures médicales "sous-dotées de longue date"

Le soutien logistique et humain est pourtant indispensable au nord de la Syrie, car le tremblement de terre n'a fait qu'aggraver une situation humanitaire déjà critique, après plus de dix ans de conflit dévastateur dans le pays. "C'est une crise par-dessus une crise", résume El-Mostafa Benlamlih, estimant qu'"environ 10,9 millions de personnes" ont été touchées par la catastrophe sismique en Syrie. "A Alep, 30 000 personnes vivent désormais dans des abris (écoles, mosquées...) et ce sont les plus chanceux". L'ONU liste des besoins en nourriture et en eau, en carburant, en matériel médical, en vêtements. "70 000 personnes luttent contre le froid", a-t-il également déploré.

La situation est particulièrement préoccupante dans les zones du nord-ouest du pays. Un peu plus de quatre millions de personnes y vivent, dont près de 2,8 millions dans des camps de réfugiés. "Près de 90% dépendent de l'aide humanitaire" pour survivre, note le bureau de l'ONU pour la coordination des affaires humanitaires* (en PDF). La région, ses infrastructures et sa population, sont fragilisées de longue date par la répression qu'opère le régime syrien sur cette zone, notamment via des bombardements. 

Des Casques blancs transportent un blessé extrait des décombres dans le village d'Azmarin, au nord-ouest de la Syrie, le 7 février 2023. (OMAR HAJ KADOUR / AFP)

Les secours se heurtent, en plus du manque de matériel lourd, aux pénuries dont souffrent les structures de soins de la région. "Nous ne disposons pas d'équipements médicaux suffisants pour faire face à une catastrophe de cette ampleur", déplore auprès de franceinfo Maed Badawi, directeur de l'hôpital de la ville de Binnish, près d'Idlib. La zone ne compte "que cinq hôpitaux, submergés par les milliers de victimes, abonde Raphaël Pitti. Ils sont sous-dotés de longue date, en matériel de réanimation, en dialyses, en oxygène." 

Les structures médicales de la zone "dépendent entièrement de financements provenant de la communauté internationale", notait Amnesty International* dans un rapport publié en mai 2022. "Ces dix derniers mois, le montant de l'aide internationale au secteur de la santé a baissé de plus de 40%, en raison de la réduction globale de l'assistance internationale à la Syrie", déplorait alors l'ONG. "Il n'y a que 70 lits de réanimation pour toute la région. La réponse sanitaire doit absolument être renforcée", plaide aujourd'hui Raphaël Pitti.

"La région n'était pas prête à endurer cela"

D'autres structures, transformées au fil des années et des urgences en hôpitaux, "comme des écoles ou de grandes maisons, existent, explique Maed Badawi. Dans notre ville de Binnish, notre hôpital était à l'origine un centre commercial". Pour ces structures de fortune, il est difficile d'assurer un service de soins à la hauteur de la situation. 

"Nous avons besoin en urgence de médicaments et de matériel médical de base, comme des bandages ou des compresses."

Maed Badawi, directeur d'un hôpital au nord-ouest de la Syrie

à franceinfo

L'hôpital de Binnish accueille tous les jours des blessés provenant de localités voisines. "Ils sont transportés par les Casques blancs ou par les civils, qui font le maximum pour apporter leur aide", salue le médecin. Mercredi, 44 personnes ont pu y être transportées. "On intervient jour et nuit, on ne s'arrête pas", confirme le secouriste Ismail Alabdullah. Au téléphone, il marque une pause : "La région n'était pas prête à endurer cela, d'autant que beaucoup d'hôpitaux ont été détruits par les bombardements de Bachar Al-Assad".

* Ces liens renvoient vers des contenus en anglais

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