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Rébellion de Wagner : une "menace d'implosion du système russe", selon un expert militaire

Le général Dominique Trinquand souligne sur franceinfo qu'au-delà du groupe paramilitaire Wagner d'Evguéni Prigojine, il y a "300 milices en Russie". Il estime que "si la rébellion est réelle, la stabilité du régime est en cause".
Article rédigé par franceinfo
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Le bâtiment de Wagner à Saint-Pétersbourg, le 24 juin 2023. Les forces de l'ordre russes en bloquent l'accès. (ANATOLY MALTSEV / EPA VIA MAXPPP)

Une "menace mortelle" et un risque de "guerre civile" : Vladimir Poutine a fustigé samedi 24 juin une "trahison" et affiché sa fermeté. Quelques heures plus tôt, Evguéni Prigojine, le chef du groupe paramilitaire Wagner, a affirmé s'être emparé du quartier général de l'armée russe dans la ville de Rostov, et il se dit "prêt à mourir" avec ses 25 000 hommes pour "libérer le peuple russe". Pour le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'Organisation des Nations unies (ONU), il peut s'agir d'un tournant dans la guerre en Ukraine. La situation reste floue, et la possibilité existe d'une "manipulation", mais le général Trinquand pointe sur franceinfo "une menace d'implosion du système russe".

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franceinfo : Evguéni Prigojine affirme donc être entré avec ses troupes de Wagner en Russie, dans la ville de Rostov notamment, pour "renverser le commandement militaire". Est-ce qu'il faut le croire sur parole ?

Général Trinquand : Des images montrent effectivement des éléments de Wagner dans Rostov. Je note au passage la terminologie employée qui est intéressante puisqu'il dit "rentrer en Russie en quittant le Donbass". Or, j'avais cru comprendre que le Donbass avait été annexé. Le deuxième point, c'est que cette rébellion annoncée de Prigojine peut également être une manipulation. On rappelle que depuis le départ, Evguéni Prigojine s'oppose à Sergueï Choïgou [le ministre de la Défense] et à Valeri Guerassimov [le chef de l'état-major].

Prigojine dit qu'il dispose de 25 000 hommes. C'est un chiffre qui est vérifiable ? Il y a bien 25 000 mercenaires chez Wagner ?

C''est assez probable. Il était arrivé jusqu'à 35 000 hommes. Il en a renvoyé un certain nombre dans leurs foyers, ce qui inquiète d'ailleurs pas mal de populations qui voient revenir des criminels dans les villes et les villages russes. Mais 25 000 hommes, c'est quelque chose de possible.

Des criminels, parce que Wagner a beaucoup recruté dans les prisons de la Russie pour envoyer des hommes au front. Ces 25 000 hommes peuvent vraiment être une menace pour l'armée russe ?

La menace d'implosion du système russe est quelque chose que je souligne depuis longtemps. C'est quand même incroyable de penser qu'un Etat comme l'Etat russe est obligé de s'appuyer sur des milices avec des mercenaires en plus de l'armée. Et de les valoriser, en plus, en leur donnant la possibilité d'obtenir la seule victoire – si tant est que ce soit une victoire – à Bakhmout il y a quelques semaines. On parle beaucoup de Wagner, mais il y a 300 milices en Russie actuellement et il y a donc une possibilité d'implosion, de ralliement ou pas avec l'armée ou de parties de l'armée. On se souvient des liens du général Sergueï Sourovikine, qui avait commandé à la fin de 2022 les opérations en Ukraine, avec Wagner. [En mai 2023, Evguéni Prigojine avait affirmé que le général Sourovikine prendrait désormais "toutes les décisions concernant les opérations militaires de Wagner en coopération avec le ministère russe de la Défense". Il saluait en lui "la seule personne avec des étoiles de général d'armée qui sait combattre".] Tout ceci est extrêmement inquiétant.

Cela veut dire que l'armée russe peut potentiellement être déstabilisée, y compris sur le front en Ukraine.

Prigojine annonce, lui, que tout ceci n'a aucun rapport avec ce qui se passe sur le front en Ukraine. Toutefois, vous comprenez que si une offensive ukrainienne a du succès et qu'en même temps, il y a des soulèvements en Russie, c'est extrêmement inquiétant globalement pour la stabilité du régime.

Cela veut dire que Vladimir Poutine lui-même pourrait être menacé, quoi qu'en dise Prigojine.

C'est là que ça reste extrêmement flou. Parce que si Poutine arrive à montrer qu'il tient les rênes malgré cette tentative de rébellion, il montre qu'il est le garant de l'unité russe. On a un peu de difficulté à distinguer la manipulation et la réalité dans cette rébellion annoncée. Reste que le moment est vraiment critique pour Vladimir Poutine pour plusieurs raisons. D'abord, parce que cette rébellion est fomentée par un de ses alliés. Evguéni Prigojine connaît le président Poutine qui l'a ménagé depuis très longtemps. Il connaît ses faiblesses et il connaît aussi tout le système de l'intérieur. Et il est probable que Prigojine n'a pas fait ça tout seul. D'ailleurs, le président Poutine lui-même l'a dit dans son discours [samedi] puisqu'il a parlé de "ceux qui avaient été entraînés" dans cette affaire et qui "commettaient une erreur". Cela veut bien dire qu'aux yeux de Poutine, Prigojine n'est pas tout seul. Le deuxième point, c'est extrêmement dangereux parce que ça arrive au moment où les Ukrainiens sont en train de lancer leur offensive et donc à un moment où l'armée russe est particulièrement vulnérable. Il y a effectivement un grand danger pour le président Poutine qui l'a bien réalisé : qu'il prenne la parole dans les termes qu'il a employés, c'est le signe d'une fébrilité de sa part. Il se rend bien compte que l'Etat vacille.

Le Kremlin doit étouffer au plus vite cette rébellion ?

Vladimir Poutine doit absolument montrer, d'abord, qu'il est chef, que c'est lui qui a le meilleur dispositif pour la sauvegarde de la stabilité de la Russie. Et pour lui, il faut impérativement arrêter au plus vite cette rébellion. Parce qu'on parle beaucoup de Wagner, mais encore une fois, il y a 300 milices en Russie. Vous voyez le potentiel explosif que cela représente. Si Wagner prenait un ascendant quelconque, il y aurait forcément d'autres milices qui voudraient faire la même chose et on rentrerait dans une véritable déstabilisation de la Russie. Donc oui, le président Poutine doit réagir rapidement. C'est ce qu'il a fait ce matin par son discours et par les mesures qu'il a prises.

Pour en revenir à la situation sur le front, Prigojine affirme que l'armée russe est en train de subir des défaites. Pourtant, jusqu'ici, on nous disait que la contre-offensive, notamment côté ukrainien, était en train de prendre du temps. Qu'en est-il réellement ?

C'est extrêmement difficile de le savoir. D'abord, parce que les Ukrainiens maintiennent le secret absolu. Et ils ont raison. Et les informations, paradoxalement, ne viennent que du côté russe. Donc aujourd'hui, ce qu'on sait, c'est que l'offensive terrestre a commencé depuis un peu plus de quinze jours, qu'elle avait pour but de définir les axes de progression sur lesquels l'offensive pourrait réellement être lancée. 

On est donc toujours dans cette phase de "façonnage du front", c'est-à-dire que les Ukrainiens sont toujours en train de frapper en profondeur le dispositif de défense russe. On n'est pas encore dans le moment de la percée.

Oui, les frappes en profondeur se poursuivent. On a vu des sabotages, des frappes avec des missiles sur des axes logistiques, en particulier en Crimée, dont le but est de couper les forces russes sur le front de leur logistique. Mais par ailleurs, il y a aussi ces neuf brigades ukrainiennes qui doivent bouger pour aller se mettre en place vers l'axe qui leur a été assigné. Et c'est un peu ce signe-là qu'on attend prioritairement.

C'est potentiellement un tournant dans cette guerre en Ukraine ?

Cela peut être un tournant. Au bout du compte, il y a deux options. L'opération d'Evguéni Prigojine ne réussit pas et le président Poutine apparaît comme le stabilisateur de la Russie, le sauveur de la Russie. Et c'est tout à son profit. L'opération réussit et à ce moment-là, c'est l'État qui explose et la Russie qui est complètement déstabilisée.

L'hypothèse d'un coup d'Etat de Wagner contre Vladimir Poutine vous semble possible, en termes militaires ?

Ça ne me semble pas possible... mais ça n'est toutefois pas impossible ! Je m'explique : lorsqu'on arrive dans des situations pareilles, une étincelle peut rapidement tout faire dégénérer. Et donc, je pense que Prigojine, qui n'est pas si populaire que ça en Russie, n'a pas forcément le soutien populaire. Maintenant, la population russe est assez passive. Cela va beaucoup dépendre en fait de la réaction de l'armée et des services de sécurité. Si l'armée voulait engager le fer avec les services de sécurité, jusqu'où irait ce combat ? Personne ne peut le dire aujourd'hui. (...) Le rapport de force se passe à Moscou, dans la capacité du système de sécurité, et à Saint-Pétersbourg, où le service de sécurité a agi immédiatement contre tous les sites Wagner. Mais souvenons-nous que Wagner, ce ne sont pas que des mercenaires armés. Wagner, ce sont aussi deux autres choses. D'abord, l'information. Aujourd'hui, des messages sont déjà envoyés à Moscou et Saint-Pétersbourg sur des réseaux par les robots Wagner pour dire qu'il faut se rallier à Wagner. Et puis, deuxièmement, ce sont tous les malfrats qui auront été enrôlés par Wagner et qui ont rejoint la vie civile. Ils sont disséminés dans tout le pays.

Evguéni Prigogine paraît très proche de ces hommes, alors que Vladimir Poutine est souvent décrit comme étant totalement isolé dans son bunker.

Prigojine est vraiment un chef de bande. Et il a fait sa bande en les payant bien, bien sûr, mais aussi en étant proche d'eux, en étant avec eux. Il n'y a pas de défection à attendre de la part de Wagner. Et je vais plus loin : il y a les Wagner en uniforme d'aujourd'hui, mais ceux qui ont quitté Wagner, qui doivent beaucoup à Prigojine, leur libération de la prison et puis une somme d'argent conséquente. Effectivement, c'est peine perdue d'essayer d'encourager la scission au sein de Wagner. Maintenant, cette force est de 25 000 hommes, les forces de sécurité à Moscou sont bien plus nombreuses. Le président Poutine dispose aussi d'armes aériennes, d'hélicoptères, etc. pour juguler cette rébellion. Cela peut aller vite, dans un sens comme dans l'autre. Et c'est la deuxième tentative : la première, c'était en 1991 et cela avait échoué [cette tentative de putsch visait le président Mikhaïl Gorbatchev. Son échec avait accéléré le processus de dislocation de l'URSS]. Donc ça peut aller très vite, dans un sens comme dans l'autre. On est moins dans un rapport de force militaire que dans un rapport de force politique, voire mafieux. La mafia alliée à un certain nombre d'hommes politiques et de forces autour du président Poutine, de quel côté vont-ils pencher? C'est ça qui est important

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