Russie : "À l'étranger, Alexeï Navalny aurait été un simple spectateur de la politique", analyse un professeur de géopolitique
L'opposant russe doit revenir à Moscou dimanche. Alexeï Navalny dit ne pas craindre les nouvelles charges qui pèsent contre lui.
Cette interview a été réalisée avant l'arrestation de l'opposant politique russe Alexeï Navalny à son arrivée à Moscou, le dimanche 17 janvier vers 19 heures (heures françaises)
"Alexeï Navalny rentre en Russie car il décide de continuer la vie politique alors qu’à l’étranger il aurait été un simple spectateur", analyse dimanche 17 janvier sur franceinfo Cyrille Bret, professeur de géopolitique à Sciences Po Paris, créateur (avec Florent Parmentier) du blog sur la Russie Eurasia Prospective. Alexeï Navalny rentre en Russie dimanche soir. Victime en août dernier d'un empoisonnement, selon plusieurs laboratoires européens, et soigné à Berlin, l’opposant numéro un à Vladimir Poutine dit ne pas craindre les nouvelles charges qui pèsent contre lui. Elles pourraient lui valoir jusqu'à dix ans d'emprisonnement.
franceinfo : Au regard des pratiques du régime de Vladimir Poutine, vous attendez-vous à ce qu’Alexeï Navalny soit arrêté dès son arrivée sur le sol russe ?
Oui. Ce sera vraisemblablement une arrestation, mais j’espère que non. Le pouvoir voudra montrer qu’il ne transigera pas ou bien il voudra jouer la victimisation. L’idée sera de faire passer Alexeï Navalny pour un criminel, quelqu’un en infraction avec la loi russe et en infraction avec la législation sur le sursis et l’exécution des peines. Une autre stratégie du régime serait de qualifier Alexeï Navalny d’agent de l’étranger.
Pourquoi rentrer en Russie alors que des menaces planent sur lui ?
C’est justement pour cette raison qu’il rentre ! Il sait très bien qu’il est exposé au risque du complexe de Soljenitsyne [dissident soviétique qui a révélé l'existence des Goulags en URSS, et prix Nobel de littérature, mort en 2008]. Car un opposant russe qui part à l’étranger perd son statut politique. Il n’est plus qu’une conscience morale ou un témoin historique. Il n’a plus d’influence. Mais aujourd’hui il décide de continuer la vie politique russe alors qu’à l’étranger il aurait été un spectateur. Il aurait continué les débats sur la Russie sans en être acteur.
Dans la perspective des législatives de septembre 2021, Alexeï Navalny, au prix d'un courage physique qui force l'admiration, a décidé de rentrer. Il choisit de s’inscrire dans le combat politique. L’état civil est en sa faveur : Vladimir Poutine est né en 1952, lui en 1976. L'opinion internationale est gagnée. En revanche, les grandes chaînes de télévision et la presse russes ignorent son retour.
Alexeï Navalny sort renforcé de cet emprisonnement au moins d’un point de vue de l'étranger, est-ce que Vladimir Poutine en a conscience ?
Il en a conscience mais ce n’est pas sa principale grille d’analyse. Nous avons une vision biaisée d’Alexeï Navalny en Occident car nous le considérons comme un opposant à Vladimir Poutine et un défenseur des droits de l’Homme. Or, en Russie, ce n’est pas la perception générale. Les opérations visant à le discréditer ont largement eu un écho dans l’opinion publique. Si son rôle dans la lutte contre la corruption est largement reconnu, il n'est pas encore considéré comme une alternative crédible pour prendre le pouvoir.
A-t-il des chances d’arriver au pouvoir ?
C’est quasiment impossible pour l’instant. Le poids de Vladimir Poutine réduit les chances d’une alternative politique. Pour le moment, le rôle de Alexeï Navalny c’est de gagner les soutiens à l’étranger et dans les nouvelles générations russes. La cote de popularité de Vladimir Poutine reste bien au-dessus. Il jouit d’un grand mérite auprès de la population. Celui d’avoir rétabli le respect de l'État à l’intérieur, et le prestige de la Russie à l’extérieur.
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