Qu’est-ce que le "syndrome de La Havane", attribué par une enquête de médias internationaux à une unité du renseignement militaire russe ?

Depuis 2016, plusieurs centaines de diplomates et d'espions, notamment américains, ont fait état de maux de tête ou de troubles de la vue persistants et provoqués par des sons stridents ou des vibrations. Mais l'origine de ces mystérieux symptômes fait débat.
Article rédigé par franceinfo
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L'entrée de l'ambassade américaine à La Havane, à Cuba, le 3 octobre 2017. (YAMIL LAGE / AFP)

Un scénario que n'aurait pas renié James Bond et remis sur la table par une enquête journalistique au long cours de plusieurs médias internationaux. Selon cette enquête, des agents du renseignement russe pourraient être responsables d'une étrange maladie qui a frappé des centaines de diplomates et d'espions occidentaux ces dernières années : le "syndrome de La Havane". Ces "incidents anormaux de santé" agitent depuis des années la communauté du renseignement, certains affirmant qu'ils sont dus à des "armes acoustiques" secrètes.

Tout commence officiellement à Cuba, en 2016. Des dizaines de diplomates américains et canadiens en poste sur l'île racontent avoir subi à l'époque des symptômes divers (bourdonnements, migraines, vertiges, nausées, troubles de la vision...). A partir de l'année suivante, les cas déclarés se répandent à travers le monde, comme en Chine, en Inde, en Allemagne, en Pologne, en Russie et même au cœur du pouvoir américain à Washington. 

"Une migraine insoutenable et des oreilles qui sifflent"

Beaucoup racontent avoir entendu des bruits étranges ou ressenti des vibrations juste avant ou lors de l'apparition des symptômes. "Je me suis réveillé au milieu de la nuit avec des vertiges extrêmes, une migraine insoutenable et des oreilles qui sifflaient", relatait en 2022 à France 2 Marc Polymeropolous, ancien agent de la CIA, qui dit avoir dû quitter son poste à cause de ces maux, toujours ressentis quotidiennement. "J'ai entendu un son très distinct, un peu comme de l'eau qui coule", a également rapporté à la chaîne américaine CBS un diplomate américain vivant en Chine, précisant que sa femme et ses enfants ont également été frappés par des symptômes allant de la perte de mémoire aux saignements.

Malgré les imprécisions, les points communs entre ces récits ont été pris au sérieux. Plusieurs études et enquêtes ont été lancées pour tenter d'éclaircir le mystère. Le président américain, Joe Biden, a même signé une loi pour indemniser les victimes en 2021, certaines personnes ayant subi des lésions cérébrales graves – mais toujours sans explication claire.

Une étude médicale conduite à la demande du gouvernement américain en 2018 a conclu à la découverte de ce qui pourrait être "une nouvelle entité clinique", semblable à une commotion cérébrale permanente, mais sans faire de lien de cause à effet avec les sons décrits. Une autre étude (en PDF) publiée la même année suggère par ailleurs que des équipements de surveillance cubains dysfonctionnels pourraient aussi être à l'origine des sons, relève le journal américain Miami Herald.

Coïncidences ou "arme acoustique" secrète ?

En 2022, un rapport de scientifiques (en PDF) estimait que certains cas ne pouvaient être liés à la santé des personnes affectées, leur environnement ou des facteurs psychologiques. Le texte émettait la possibilité que les symptômes soient causés par des ultrasons ou de l'"énergie électromagnétique pulsée" ("pulsed electromagnetic energy"), résumait le média britannique The Guardian, non sans rappeler le "manque de recherches" sur les effets pour les humains.

James Benford, un physicien spécialiste des micro-ondes de haute puissance interrogé par CBS, a de son côté expliqué que des transmetteurs à micro-ondes pouvant endommager le cerveau étaient étudiés depuis plus de cinquante ans et étaient développés dans plusieurs pays, dont les Etats-Unis, la Russie et la Chine.

La nouvelle enquête journalistique sur le sujet, menée conjointement par le journal russe indépendant The Insider, CBS et le magazine allemand Der Spiegel, conclut cette fois à la probable responsabilité de la Russie. Et plus particulièrement celle d'une unité du renseignement militaire russe (GRU), la 29155, spécialisée dans les opérations clandestines à l'étranger, les assassinats ciblés et les ingérences étatiques (dont l'empoisonnement de l'ancien espion russe Sergueï Skripal au Royaume-Uni en 2018).

Les trois médias disent avoir "découvert des éléments suggérant que ces incidents anormaux de santé (...) pourraient provenir de l'utilisation d'armes à énergie dirigée, maniées par des membres de l'unité 29155" du GRU. Ses agents auraient expérimenté des "armes acoustiques non létales" et auraient été géolocalisés à plusieurs reprises près des agents ayant subi ces symptômes, peu de temps avant ou au moment de leur survenue, d'après The Insider.

Le renseignement américain nie la thèse de l'action étrangère 

L'an dernier, le renseignement américain a pourtant voulu couper court à ces spéculations. Au terme de plusieurs années d'enquête sur près de 1 500 "incidents de santé anormaux" chez les diplomates et espions américains, la majorité des agences de renseignement participantes ont conclu que les informations disponibles ne permettaient pas d'attester qu'un ennemi des Etats-Unis était à l'origine de ces symptômes. Rien ne prouvait en outre qu'une puissance étrangère disposait d'une arme capable de provoquer ces troubles, selon le rapport cité par The Guardian en mars 2023.

D'après ce rapport, les études médicales ayant conclu à la spécificité du "syndrome de La Havane" souffraient de problèmes méthodologiques et partaient de présupposés démentis par les faits. Les symptômes étaient "probablement le résultat de facteurs (...) comme des problèmes préexistants, des maladies communes et des facteurs environnementaux", selon ce texte. 

Les nouvelles investigations de grands médias internationaux n'ont pas fait varier ce point de vue. Le porte-parole du département d'Etat américain s'est ainsi refusé à commenter directement cette enquête, mais il a déclaré que la communauté du renseignement continuait de juger une origine étrangère improbable.

Moscou aussi rejette toute implication. "Ce sujet a été gonflé dans la presse depuis plusieurs années déjà. Et depuis le début, c'est souvent associé à la Russie", a déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, lors d'une conférence de presse lundi 1er avril. "Personne n'a jamais publié de preuve convaincante, donc tout cela n'est rien d'autre qu'une accusation sans fondement".

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