Navalny détenu en Arctique : le pouvoir russe veut "l'humilier et terroriser les éventuels dissidents", estime le philosophe Pascal Bruckner
Alors que ses proches n'avaient plus de nouvelle de lui, l'opposant Alexeï Navalny est détenu dans une colonie pénitentiaire en Arctique et "va bien", a annoncé sa porte-parole. Il se trouve précisément à Kharp, en Iamalo-Nénétsie, région reculée du nord de la Russie. Le pouvoir russe "exile Navalny encore un peu plus loin dans l'immensité russe pour l'humilier et aussi pour terroriser les éventuels dissidents qui voudraient s'opposer à la politique de Vladimir Poutine", a expliqué mardi 26 décembre sur franceinfo Pascal Bruckner, philosophe et écrivain.
Le sort du militant anticorruption laisse indifférente l'opinion publique en Russie : "L'immense majorité du peuple russe pense qu'il a mérité son châtiment et qu'on ne doit pas s'opposer au tsar, c'est ça qui est terrible", a expliqué Pascal Bruckner. Navalny et ses proches "font preuve d'un courage absolument extraordinaire".
franceinfo : C'est le pire qui attend Alexeï Nalvany ?
Pascal Bruckner : Le pire, ce serait la mort. Mais le pouvoir russe est trop malin pour aller jusque-là. C'est une sorte de torture physique, physiologique et psychologique lente qui fait qu'il exile Navalny encore un peu plus loin dans l'immensité russe pour l'humilier et aussi pour terroriser les éventuels dissidents qui voudraient s'opposer à la politique de Vladimir Poutine.
Cette dissuasion fonctionne ?
Elle marcherait sur des dissidents occidentaux. Sur les Russes, elle ne marche pas parce qu'on dirait que Navalny veut en quelque sorte sacrifier sa personne pour s'opposer à Poutine. Il incarne une sorte d'opposant absolu comme les Russes en ont connu au cours de leur histoire. Je pense à Varlam Chalamov et à Alexandre Soljenitsyne, des gens qui sont prêts à mettre leur vie en jeu pour s'opposer au tyran.
"Mais il faut bien voir qu'à part l'intérêt que nous, Occidentaux, portons à la figure de Navalny et à quelques autres, la masse du peuple russe est indifférente."
Pascal Bruckner, philosopheà franceinfo
D'ailleurs, elle n'a pas connaissance forcément des tribulations d'Alexeï Navalny et s'en moque. L'immense majorité du peuple russe pense qu'il a mérité son châtiment et qu'on ne doit pas s'opposer au tsar. C'est ça qui est terrible.
Son cas ne trouve pas d'écho au sein de la population russe ?
En général, il y a peu d'opinions publiques russes. Les gens ne sont pas informés. Les gens sont très solitaires et divisés. Le châtiment qui frappe celui ou celle qui s'oppose est tel qu'on hésite avant de s'insurger contre la politique de Poutine et contre la guerre menée par Vladimir Poutine. Ces gens qui s'opposent font preuve d'un courage absolument extraordinaire. Pour nous, c'est inouï, car ils sacrifient tout dans leur opposition au despote. Il faut absolument témoigner pour eux et il faut absolument se soucier de leur sort parce que c'est l'avenir d'une Russie éventuellement démocratique qui est en jeu à travers leur destin.
Est-ce que cela sert à quelque chose de s'inquiéter de son sort ?
Bien sûr que ça sert. Quand il y avait des dissidents soviétiques dans les années 80-90, le fait que l'Occident les accueille, que l'Occident les célèbre était un coup dur pour le pouvoir d'alors. Comme Poutine veut réhabiliter Staline et toute l'ère soviétique, il est très important que nous accueillions ces gens-là, que nous les financions dans la mesure de nos moyens, que nous les mettions en lien les uns avec les autres. Malheureusement, l'opposition russe est très dispersée et les personnalités sont opposées les unes aux autres, mais il faut surtout briser la chape de silence et de mensonges qui frappent ces personnes et casser le jeu du pouvoir du Kremlin.
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