Russie : écrire des cartes postales aux prisonniers politiques, "le dernier mode d'action" face à la répression de Vladimir Poutine
Il y a une cinquantaine de personnes attablées autour de fiches présentant au hasard un prisonnier politique. Des Russes se réunissent tous les mois au siège du parti politique Iabloko à Moscou, le dernier parti libéral "survivant" à la répression et non-interdit par le pouvoir, pour écrire aux prisonniers politiques. Ils seraient aux alentours d'un millier actuellement, emprisonnés pour des délits d'opinion. Certains sont célèbres, comme Alexei Navalny, mais la plupart sont des anonymes qui se sont opposés à la guerre en Ukraine.
D'autres Russes anonymes décident donc de se réunir pour leur écrire des cartes postales. Cette tradition remonte à l'Union soviétique et elle constitue le dernier acte d'opposition au pouvoir encore autorisé dans le pays. "J'essaie d'envoyer des cartes à des prisonniers politiques peu connus, car il me semble qu'ils écrivent beaucoup à Alexeï Navalny, par exemple. Il survivra sans ma carte postale", explique Natalia, venue avec un sac déjà plein de cartes écrites patiemment ces dernières semaines.
Dans la salle, un militant lit au micro les réponses de certains prisonniers, et notamment celle de Iouri Dmitriev, l'un des plus célèbres opposants emprisonnés : "Chers amis de Iabloko, j'ai bien reçu vos cartes, et il est bon de savoir que toutes les personnes bienveillantes n'ont pas été enfermées".
Une vieille tradition qui remonte à l'URSS
Ce type de phrases est rarement entendu en Russie et ces soirées permettent donc de le faire. "On peut dire que c'est le dernier mode d'action à la disposition des Russes qui n'a pas encore été interdit, estime Lilia Manikhina, l'une des organisatrices de ces soirées. Nous voulions un endroit où nos citoyens puissent soutenir les prisonniers politiques, faire preuve d'empathie, comme s'il y avait ici des Russes normaux".
Elena Sannikova connaît bien cette vieille tradition. Cette femme de 63 ans a fait trois ans de goulag dans les années 1980 : "Dans mon pire cauchemar, je n'aurais pas pu imaginer que tout cela reviendrait".
"Je me souviens combien les lettres m'ont aidée, comment cela soutient, comment cela donne de la force"
Elena Sannikova, qui a fait trois ans de goulagà franceinfo
"Et je considère qu'il est désormais de mon devoir d'écrire le plus souvent possible, autant que possible", poursuit-elle.
Tous les mois, de nouveaux prisonniers politiques viennent s'ajouter à la liste. Parmi eux, Konstantin Seleznev, un retraité récemment emprisonné pour avoir dénoncé le massacre commis à Boutcha par l'armée russe sur les réseaux sociaux. "Chers amis, je suis très heureuse de faire partie d'une communauté aussi solidaire. Mon mari a dit la vérité, supportez-le, ça lui fera plaisir. Merci", confie son épouse Elena, sous les applaudissements de la salle. Entre deux poèmes, une tasse de thé et un air de piano, une soirée typiquement russe se termine dans la Russie qui veut encore résister.
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