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Virginie Guiraudon sur les événements de Londres, Boston, et l'affaire Merah

Virginie Guiraudon est directrice de recherches au CNRS et à Sciences Po Paris. Pour elle, les récents évènements de Woolwich (Londres), de Boston et l’affaire Mohamed Merah sont davantage liés aux pays respectifs où ils se sont produits que révélateurs d’une nouvelle forme de terrorisme.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
A Woolwich (sud-est de Londres, sur les lieux où un militaire a été tué le 22 mai à coups de poignard et de hachoir par deux hommes, des Britanniques d'origine nigériane qui affirmaient agir au nom de l'islam. (AFP - Leon Neal)
Cet entretien a eu lieu avant que soit annoncée l'arrestation d'un suspect dans l'enquête sur l'agression à l'arme blanche d'un militaire près de Paris. Suspect présenté, selon les premiers éléments de l’enquête,  comme partisan d'un «islam traditionnaliste voire radical».

Y a-t-il un lien entre les récents évènements de Londres, de Boston et l’affaire Merah ? Peut-on parler d’une nouvelle forme de terrorisme ?
A mon sens, au moins pour la Grande-Bretagne et la France, il faut plutôt s’interroger sur les liens de ces drames avec des événements antérieurs. Des événements liés à des jeunes gens nés dans les pays où ont eu lieu les attaques. Ainsi pour Woolwich, il ne faut pas oublier les attaques perpétrées en 2005 à Londres. Et en France, l’affaire Mohammed Kelkal, en 1995, qui avait déjà ouvert le débat sur le fait que les auteurs des attentats avaient grandi dans le pays où ils ont frappé.

Et qu’en est-il pour les bombes posées à l’occasion du marathon de Boston ?
Pour Boston, le cas est différent. Les suspects vivaient aux Etats-Unis, mais seulement depuis quelque temps. Mais l’idée est de montrer qu’il est possible d’agir sur le sol américain de façon spectaculaire lors d’événements de masse télévisés, comme lorsque les Palestiniens de Septembre noir avaient pris des otages pendant les Jeux olympiques de Munich de 1972.

Un des Palestiniens du commando Septembre noir en train de parler avec le ministre intérieur ouest-allemand, Hans-Dietrich Genscher, après l'attaque contre l'équipe israélienne au village olympique pendant les JO de Munich, le 5-9-1972. (AFP - DPA)

Il y a une autre thématique que je voudrais aborder : c’est celle de la télévision et d’internet. Aujourd’hui, il est très facile de se connecter à des vidéos et des sites racistes qui diffusent des choses atroces. Et ce, sur toute la planète. Regardez les événements d’Oslo en 2011 avec l’extrémiste de droite Behring Brevik, qui a travaillé à partir d’internet. Il vivait physiquement en Norvège, mais dialoguait dans le monde entier avec d’autres personnes pensant comme lui. On dit que les musulmans sont bien organisés. Il faut ajouter que l’extrême droite l’est aussi !
 
Dans ce contexte, il convient aussi, pour analyser ces affaires, de s’interroger sur le rôle des médias. Il devient facile d’y lire des prêches extrémistes, des ouvrages interdits, ou de trouver des recettes d’engins explosifs.  

Je vois une troisième thématique à mettre en avant : en l’occurrence le fait que dans les trois cas, il y a eu une énorme faute des services de renseignement qui n’ont pas su utiliser les informations dont ils disposaient sur les individus qui ont perpétré les attaques. Ces défaillances montrent que quelque chose n’a pas fonctionné dans la chaîne sécuritaire.

Il faut voir qu’après la chute du Mur de Berlin en 1989, on pensait que les espions ne servaient plus à grand chose. On a donc redéployé vers la surveillance des «ennemis de l’intérieur» les organismes compétents pour la sécurité extérieure, en banlieue notamment. Sauf qu’on a oublié que les jeunes impliqués dans des attentats ont séjourné à l’étranger et ont ainsi pu contourner le dispositif sécuritaire.

Dans un récent discours, le président américain Barack Obama explique: «Au-delà de l'Afghanistan, nous devons définir nos efforts non pas comme une ''guerre mondiale contre le terrorisme'' illimitée, mais plutôt comme une série d'efforts continuels, ciblés, pour démanteler des réseaux spécifiques d'extrémistes violents qui menacent l'Amérique». S’agit-il d’une nouvelle analyse du phénomène ?
Cette citation traduit-elle une approche nouvelle ? Ce n’est pas si sûr. George W.Bush entendait mener une «guerre totale» contre le terrorisme en intervenant militairement tous azimuts. L’administration Obama, elle, a mené des attaques ciblées contre des individus, par exemple contre Oussama Ben Laden. Il y a aussi les opérations conduites avec des drones. Mais ces attaques ciblées, qui rappellent celles menées par les Israéliens contre les Palestiniens et le Hezbollah, avaient déjà commencé sous Bush. C’est un énorme marché et une autre façon de penser la guerre, très différente de la traditionnelle «guerre au sol».

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