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Ex-espion empoisonné : de nouveaux indices pointent un lien entre les deux suspects et le renseignement russe

L'un des deux hommes accusés par Londres d'avoir empoisonné l'ex-espion Sergueï Skripal et sa fille en mars, en Angleterre, a été identifié comme un colonel du renseignement militaire russe. 

Article rédigé par franceinfo - Louise Hemmerlé
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Ruslan Boshirov (à gauche) et Alexander Petrov (à droite) sur des photos publiées par la police britannique le 5 septembre 2018.  (METROPOLITAN POLICE SERVICE / AFP)

L'étau se resserre autour des deux hommes accusés par Londres d'avoir empoisonné l'ex-espion Sergueï Skripal et sa fille en Royaume-Uni, en mars dernier. Les autorités britanniques affirment que les deux hommes, identifiés comme Alexander Petrov et Ruslan Boshirov, probablement des noms d'emprunt, sont des officiers du GRU, le renseignement militaire russe.

Rien à voir avec la version de Moscou. Le président russe, Vladimir Poutine, avait, le 12 septembre, déclaré savoir qui étaient les deux hommes mis en cause, des "civils" n'ayant rien fait de "criminel". Ces hommes avaient ensuite été interviewés par la télévision publique russe RT, affirmant s'être rendus en touristes à Salisbury, ville du sud-ouest de l'Angleterre où vivait l'ex-agent double empoisonné.

Des révélations, mercredi 26 septembre, du site d'investigation britannique Bellingcat et de son homologue russe The Insider Russia semblent confirmer la version de Londres. Voici les principaux indices qui pointent un lien entre les deux suspects et les services secrets russes. 

Leur séjour à Salisbury ne ressemble pas à une escapade touristique 

Dans une interview à la chaîne d'information russe RT, les deux suspects ont confirmé leurs patronymes (dont doutent les autorités britanniques) et ont assuré ne pas être liés au GRU. Ils ont également expliqué s'être rendus à Salisbury pour faire du tourisme. "Nos amis nous avaient suggéré depuis longtemps de visiter cette ville fabuleuse", ont-ils affirmé, Ruslan Boshirov précisant qu'ils voulaient découvrir "la célèbre cathédrale de Salisbury". Mais les deux hommes ont été aperçus sur des images de caméras de surveillance en train de marcher dans la direction opposée à la cathédrale, à proximité de la maison de Sergueï Skripal. 

Alexander Petrov (à droite) et Ruslan Boshirov (à gauche) sur une image de caméra de surveillance prise à Salisbury près de Londres, le 4 mars 2018.  (HO / METROPOLITAN POLICE SERVICE / AFP)

En épluchant les informations de vol de la compagnie aérienne russe Aeroflot, les sites The Insider et Bellingcat, spécialisé dans l'analyse d'informations disponibles en ligne, ont découvert que, contrairement à ce que les suspects ont raconté dans leur interview à RT, ils n'avaient pas prévu leur séjour à Salisbury depuis longtemps, mais ont acheté leurs billets d'avion le soir précédant leur départ. 

Il n'y a pas de trace de "Petrov" et "Boshirov" avant 2009 

Les dossiers associés aux passeports de Alexander Petrov et Ruslan Boshirov ont de quoi faire tiquer. D'abord, ils sont vides de références à d'autres documents d'identité, comme s'ils étaient les premiers qu'on leur ait jamais délivrés, alors que ces documents sont obligatoires pour n'importe quel citoyen russe à partir de 14 ans. Dans le cas d'Alexander Petrov, une note manuscrite indique qu'un précédent passeport national lui a été délivré en 1999, mais aucune trace d'un tel document n'a été retrouvée dans les bases de données officielles, selon Bellingcat

D'autre part, les nombres associés aux dossiers des deux hommes sont séparés de seulement trois chiffres (-1294 et -1297), ce qui suggère qu'ils ont été délivrés quasi en même temps.

D'étranges tampons figurent sur leurs passeports 

Sur ces passeports figurent également "S.S.", qui pourrait être une abréviation pour sovershenno sekretno, soit "top secret" en russe. Et ils comportent tous deux un tampon qui n'existe pas pour les dossiers de passeports civils standards, indiquant "ne donnez pas d'information". La mention est assortie d'un numéro de téléphone, qui, appelé par le journal indépendant Novaïa Gazeta, se trouve être une ligne du ministère de la Défense russe. 

Par ailleurs, l'unité qui a délivré ces documents est l'unité 77001, traditionnellement réservée aux personnes haut placées de l'Etat russe et aux membres des services de renseignement. 

L'un des hommes ressemble à un colonel du renseignement militaire russe

"Le suspect utilisant la fausse identité de 'Ruslan Boshirov' est en fait le colonel Anatoli Tchepiga, un officier du GRU décoré de hautes distinctions", affirme Bellingcat. Le site publie à l'appui une photo du passeport d'Anatoli Tchepiga datant de 2003. Selon Bellingcat, l'homme est né en 1979 à Nikolaïevka, village de l'est de la Russie. Sorti d'une prestigieuse académie militaire de cette région, il a ensuite servi au sein des forces spéciales du renseignement militaire russe, selon cette source.

D'après le site internet d'une branche régionale de l'organisation paramilitaire DOSAAF, Tchepiga s'est rendu à trois reprises en Tchétchénie alors qu'il était dans les forces spéciales, et a reçu la prestigieuse distinction de "Héros de Russie" en 2014. Il n'y a toutefois aucune trace officielle de cette récompense, traditionnellement décernée par le président russe, ce qui suggère qu'il s'agissait d'une mission classée secrète.

La Russie a rejeté jeudi ces informations. "Il n'y a aucune preuve, a déclaré sur Facebook la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, donc ils continuent leur campagne sur le front de l'information dont le seul but est de détourner l'attention de la principale question : que s'est-il passé à Salisbury ?"

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