Syrie : pourquoi la France refuse de discuter avec Bachar Al-Assad
La France prépare ses premières frappes aériennes sur le territoire syrien contre les jihadistes de l'Etat islamique. Mais, Paris l'assure, il n'est pas question pour autant de s'allier au régime de Damas.
"L'ennemi de mon ennemi est mon ami." Le bon sens proverbial peut-il s'appliquer à la guerre et à la diplomatie ? Déterminée à combattre les jihadistes de l'organisation Etat islamique, plus seulement en Irak mais aussi en Syrie, la France prépare ses première frappes aériennes sur le territoire syrien. Mais Paris est formel : pas question de s'entendre avec Bachar Al-Assad. Francetv info liste les raisons pour lesquelles la France refuse que le dirigeant syrien soit un allié de la coalition internationale en Syrie.
Parce qu'Assad est soupçonné de crimes de guerre
"Un boucher". C'est en des termes fort peu diplomatiques que la communauté internationale parle de Bachar Al-Assad, alors que la guerre civile met la Syrie à feu et à sang depuis plus de quatre ans. A l'instar du Premier ministre, Manuel Valls, qui l'a qualifié de "boucher", en février, sur BFMTV. Des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité pèsent sur le dictateur syrien, dans ce conflit ayant fait plus de 220 000 morts, dont au moins 67 000 civils et 11 000 enfants.
Gaz sarin. Le massacre de la Goutha reste dans les mémoires. Le 21 août 2013, des bombardements font entre 300 et 1 700 morts, selon les sources, au cours d'une offensive des troupes loyalistes contre les rebelles dans la banlieue de Damas. Les victimes sont des civiles pour la plupart. Très vite, il apparaît que des armes chimiques ont été employées. Plus précisément, du gaz sarin, un agent hautement toxique. Pour les services de renseignement français et américains, l'ONU et de nombreux experts, les rebelles sont hors de cause, seule l'armée syrienne a pu procéder à de telles frappes. Une version toutefois contestée, en particulier par un chercheur du prestigieux MIT, cité par Le Point.
Armes chimiques. Après ce massacre, les Occidentaux menacent Assad de représailles. Il est même un temps question d'une intervention militaire contre l'armée syrienne. Le régime est finalement contraint de détruire son arsenal chimique. L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) supervise les opérations. Et Damas signe en octobre 2013 une convention sur les armes chimiques.
Bombes au chlore. Pourtant, la guerre sale continue. Un an plus tard, en septembre 2014, l'OIAC établit que des bombes au chlore sont utilisées de manière "systématique et répétée" dans le conflit. Photos, témoignages, vidéos, rapports médicaux... Des documents sont régulièrement publiés, attestant de ces exactions.
Bombes-barils. Les engins rudimentaires sont devenus l'une des principales armes de l'armée syrienne. Des barils d'eau, d'essence ou d'huile sont vidés de leur contenu et remplis d'explosifs. Les soldats y ajoutent de la ferraille qui, lors de l'explosion, fait du baril une bombe à fragmentation. Des cylindres de chlore y sont parfois ajoutés, comme l'explique Le Monde. Larguées sur des villes, ces bombes-barils tuent sans discrimination combattants et civils.
En mai, la chaîne Al-Jazeera met en ligne une vidéo. Elle aurait été extraite d'un téléphone portable retrouvé dans l'épave d'un hélicoptère de l'armée syrienne. On y voit des soldats larguer des bombes-barils.
Trois actes d'accusation. Grâce à des documents officiels, subtilisés et sortis illégalement de Syrie, la Commission internationale pour la justice et la responsabilité (Cija), financée par les Occidentaux, a déjà établi trois actes d'accusation pour crimes contre l'humanité, qui visent le régime, Bachar Al-Assad et son cabinet de guerre, notamment. Ils portent principalement sur les premiers mois du soulèvement contre le régime, qui a commencé en mars 2011. Ils affirment que des "ordres précis" ont été donnés "pour écraser le soulèvement populaire qui s'étendait de Damas aux différentes provinces". Le quotidien britannique The Guardian en a eu la primeur mi-mai.
Une enquête internationale. Le secrétaire général de l'ONU a lancé une enquête internationale en vue d'établir la responsabilité des bombardements chimiques survenus en Syrie. Et l'équipe d'enquêteurs a mandat pour désigner les responsables de ces attaques, qui pourraient ultérieurement être jugés pour crimes de guerre.
Parce que ce serait renforcer Assad politiquement
Realpolitik. Depuis plusieurs mois maintenant, certains responsables européens disent en privé qu'il est temps de parler avec Damas pour lutter contre l'Etat islamique. Mais peu osent exprimer cette position pragmatique en public. Le ministre autrichien des Affaires étrangères fait exception. Mardi, à Téhéran (Iran), il a estimé que Bachar Al-Assad et ses alliés, l'Iran et la Russie, devaient être associés à la lutte contre les jihadistes. Une solution défendue par Téhéran et Moscou.
Départ du pouvoir. Les pays occidentaux ont en général pour position officielle de lier le rétablissement de la paix en Syrie au départ de Bachar Al-Assad et refusent cette "realpolitik". Les Etats-Unis ont ainsi souvent demandé à la Russie de convaincre son allié de quitter le pouvoir pour céder la place à une équipe de transition qui négocierait la fin de la guerre civile. En vain.
Période de transition. Londres cependant paraît moins catégorique qu'auparavant. Le Royaume-Uni pourrait accepter que Bachar Al-Assad reste au pouvoir pour une période de transition, si cela peut contribuer à résoudre le conflit, a déclaré mercredi le secrétaire au Foreign Office Philip Hammond. La porte-parole du Premier ministre, David Cameron, a toutefois déclaré que, pour le gouvernement britannique, une solution à long terme pour la Syrie ne prévoyait pas le maintien de Bachar Al-Assad au pouvoir. Léger flottement outre-Manche.
Ne pas "consolider le régime". Pour Paris, le dirigeant syrien "ne peut en aucun cas être la solution". La solution politique au conflit syrien est "d'aller vers un accord qui tourne définitivement la page des crimes de Bachar Al-Assad", a martelé mardi le Premier ministre, Manuel Valls, lors du débat à l'Assemblée nationale sur l'engagement français en Syrie. "Il est hors de question que par ces frappes, nous contribuions à renforcer le régime de Bachar Al-Assad. (…) Nous ne ferons rien qui puisse consolider le régime."
Pourtant, si la coalition internationale parvient à affaiblir l'Etat islamique en Syrie, grâce à ses frappes aériennes, voire à l'intervention au sol de troupes en provenance de pays de la région, elle privera de fait le régime syrien d'un adversaire de taille. Comment combattre l'Etat islamique en Syrie sans renforcer le régime d'Assad ? L'équation paraît bien difficile à résoudre.
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