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Syrie : deux ans et demi de conflit en six cartes

En mars 2011 débutait la contestation contre le régime de Bachar Al-Assad. Deux ans et demi plus tard, la guerre s'est installée dans le pays. Et la conférence de Genève qui doit réunir les protagonistes peine à s'organiser. Francetv info retrace l'évolution de la révolte. 

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Carte syrie. (FRANCETV INFO)

En mars 2011, des milliers de Syriens descendent dans la rue. Le "printemps arabe" s'apprête-t-il à balayer le régime de Bachar Al-Assad ? Deux ans et demi plus tard, la Syrie vit en état de guerre. Si une conférence entre les différents protagonistes est annoncée pour le 22 janvier, le chef d'un groupe important de rebelles, l'Armée syrienne libre, a immédiatement exprimé ses réticences. A la table des négociations comme sur le terrain, aucune solution ne semble se dessiner pour sortir de ces mois de sanglants affrontements.

Francetv info retrace en six cartes l'évolution du conflit. La première présente l'état des forces en octobre 2013. Vous pouvez remonter dans les mois précédents en cliquant sur la frise de dates qui surmonte chacune des cartes.

1Octobre 2013 : une rébellion divisée face à un régime qui tient bon

  (  FRANCETV INFO )

Les villes, bastions du pouvoir

Bachar Al-Assad a entamé la deuxième phase de sa stratégie de contre-insurrection. A partir de villes où il a concentré ses forces ces derniers mois, il tente de faire tache d’huile en grignotant les zones voisines. Tactique payante dans l’Ouest, où le régime a regagné du terrain, alors que la rébellion a étendu sa domination dans les régions moins urbanisées de l’Est.

Ces zones sous contrôle rebelle sont régulièrement pilonnées par l’aviation, afin d’empêcher toute reprise d’une vie normale. De même, Damas n’hésite plus à employer les armes chimiques, notamment pour dissuader les populations d’apporter leur soutien aux insurgés.

Quatre grandes coalitions dominent la rébellion

Malgré la détermination du régime, l’opposition, avec ses 100 000 membres au bas mot selon une étude de l’institut britannique de défense IHS Jane’s citée par Le Figaro , occupe de larges parties du territoire. Mais elle est très divisée, constituée d’environ un millier de petits groupes locaux dont l’unique intérêt commun est la chute de Bachar Al-Assad. Comme l’explique Le Monde (article payant), un nombre important de ces brigades s’affilient de manière plus ou moins contraignante aux quatre grandes coalitions qui dominent la rébellion, et opèrent dans l’ensemble du pays.

Fer de lance au début de la crise, l’Armée syrienne libre, qui s’est formée notamment autour de déserteurs de l’armée régulière, a perdu de son aura. Soutenue par les Occidentaux, elle se bat dans une optique nationaliste, mais plusieurs de ses factions ont opté pour un rapprochement avec les islamistes. Certaines ont même fait une double allégeance, en s’alliant à la coalition du Front islamique pour la libération de la Syrie (Fils). Cette vaste nébuleuse rassemble des « islamistes modérés », 30 000 environ. Eux se battent pour la mise en place d’une République islamique mais ne souhaitent pas l’instauration de la charia, la loi islamique, comme législation, contrairement aux salafistes du Front islamique pour la Syrie (FIS).

Cette troisième grande coalition prône l’application stricte de la charia et le jihad à l’intérieur de la Syrie, c’est-à-dire la guerre sainte. Encore plus radicaux, le Front Al-Nosra et l’Etat islamique en Irak et au Levant revendiquent, eux, le jihad à l’échelle mondiale. Ces jihadistes, environ 10 000, sont proches d’Al-Qaïda.

Désunion sur le terrain, alliance à l’ONU

Divisées sur le plan idéologique, se battant pour des objectifs différents, ces grandes coalitions vont jusqu’à s’affronter pour le contrôle des puits de pétrole ou pour récupérer les subsides étrangers, notamment des pays du Golfe.

Ces divisions contrastent avec l’accord de la communauté internationale sur la neutralisation de l'arsenal chimique syrien, effectuée avec l'apparente coopération du régime. Une entente au détriment des opposants ? En tout cas, certains des chefs rebelles ont exprimé leur colère face à ce qui semble être un retour du président syrien dans le jeu diplomatique.

2Mars 2013 : une guerre de plus en plus dévastatrice

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Une population meurtrie

Plus de 70 000 morts, un million de réfugiés, deux millions de déplacés à l’intérieur du pays : le bilan de deux ans de conflit en Syrie est catastrophique. Dans certaines villes, des quartiers entiers ont été anéantis, des zones désertées. Pénurie alimentaire, coupures d’électricité, écoles fermées... tel est le quotidien de bon nombre de Syriens.

Une victoire qui ne se dessine pour personne

Les positions des insurgés et de l’armée n’ont que peu bougé ces derniers mois. La rébellion s’est emparée de son premier chef-lieu de province, Raqqa, et elle tient des zones entières. Mais elle ne semble pas en mesure d’établir une base de laquelle partirait une offensive organisée. Dans les villes, les attentats maintiennent un climat de peur et de chaos qui sert les deux camps. Cependant, aucun ne semble avoir la victoire à portée de fusils.

Entre les combattants de l’Armée syrienne libre, les jihadistes et les groupes autonomes, les insurgés sont très divisés. Quant à l’opposition en exil, elle ne présente guère un visage plus uni malgré la création d’une Coalition nationale. De son côté, Bachar Al-Assad a fait montre durant des mois d’une détermination qui ne semble pas s’émousser, sans pour autant réussir à vaincre ceux qu’il appelle “les terroristes”. Enfin, la communauté internationale ne paraît pas capable de s’accorder sur une position commune et décisive, notamment en raison du soutien que la Russie et la Chine apportent au régime dans les instances internationales.

Des scénarios de sortie de crise hypothétiques

La Syrie est devenue le terrain d’enjeux qui dépassent ses frontières. On y retrouve la problématique régionale des zones d’influence chiites et sunnites, et plus largement la question de la stabilité du Moyen-Orient : les voisins libanais, irakien et turc ressentent les répliques du conflit tandis que le Qatar et l’Iran par exemple s’opposent via les soutiens qu’ils apportent, qui aux rebelles, qui au régime.

Quel avenir pour la Syrie ? Des négociations qui aboutiraient au départ de Bachar Al-Assad ? Une partition du pays ? Un retranchement du président sur “ses” terres alaouites ? Si certains, au cours des premiers mois, ont pronostiqué telle ou telle issue, peu s’y risquent désormais. Seule certitude : le retour de la paix en Syrie va prendre du temps.

3Octobre 2012 : un conflit qui morcelle le pays

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Les villes, enjeu majeur

La nouvelle tactique de Bachar Al-Assad se met en place. Face à des rebelles résistants, le président syrien abandonne les campagnes, où ses soldats éparpillés sont trop exposés, pour concentrer ses forces sur les grandes villes. Ainsi, si les rebelles ont pris le contrôle de zones conséquentes, principalement dans le Nord-Ouest, le régime garde la main sur les centres urbains importants. Le pouvoir compte là sur le soutien de l'administration qu'il a mise en place.

Riches-pauvres, urbains-ruraux... les lignes de fracture s'accentuent

Bachar Al-Assad mise aussi sur l'attentisme de la bourgeoisie, qui s'engage très peu. Certes, des mois de conflit ont ruiné le pays mais les milieux d'affaires redoutent les incertitudes qui accompagneraient la chute du régime. Dans les villes, les rebelles tiennent plutôt les périphéries ou les quartiers aux populations démunies, des zones délaissées par l'armée. Ce qui accentue encore la rupture entre quartiers "légaux" et territoires à l'urbanisation informelle, entre centre et banlieue, entre groupes aisés et pauvres (comme à Alep), entre urbains et ruraux... Les combats se concentrent en général sur ces lignes de fracture.

Des clivages communautaires attisés

Jouant sur la peur des combattants islamistes, vantant sa stabilité face au chaos, agitant l'épouvantail de la vengeance sunnite, le président syrien tente aussi de gagner le soutien voire la participation des minorités restées discrètes, comme les chrétiens. De leur côté, les Kurdes voient dans ce conflit l'occasion d'acquérir leur autonomie alors que l'armée intervient peu sur leurs territoires et que des combats les opposent parfois aux rebelles.

Ainsi, les clivages entre communautés se renforcent. Chacune se replie sur elle-même pour se protéger. En décembre 2012, l'ONU, en général très prudente, estime d'ailleurs que "le conflit est devenu ouvertement communautaire" . Cette évolution du conflit mène au morcellement du pays selon des critères religieux, économiques, sociaux, ethniques. D'autant que les combats font beaucoup de déplacés qui trouvent refuge dans leur famille, leur village, leur communauté.

4Février 2012 : une confrontation qui se militarise

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Des manifestations réprimées aux offensives tous azimuts

De mois en mois, la contestation au régime de Bachar Al-Assad s'étend. Surtout, elle prend un autre tour. Aux manifestations s'ajoutent désormais des formes beaucoup plus violentes d'affrontement : combats de rues, tirs de snipers, de mortiers... Mais aussi des pilonnages de l'armée, des interventions de blindés qui assiègent certains quartiers de grandes villes. Le but : amener les civils à fuir ces zones pour ensuite lancer l'assaut sur les rebelles qui s'y sont implantés. Cette intensification atteint un niveau sans précédent avec l'offensive menée à Homs, et notamment sur le quartier de Bab Amr, ravagé par les combats, bombardé pendant des semaines, assiégé, puis investi par les chars de l'armée. Les premiers attentats sont commis contre des bâtiments officiels ou des personnalités du régime. Témoin de cette radicalisation, le nombre de morts triple en moins de six mois, passant de 2 600 en septembre 2011 à 7 500 en février 2012 selon l'ONU.

Une opposition qui prend les armes

La militarisation de la révolte a été provoquée par le refus du président syrien de prendre en compte les aspirations des manifestants, mais aussi par la très forte répression qu'il a mise en place dès les premiers mouvements, et qui est allée crescendo. De plus, le soutien de la Chine et de la Russie devant les Nations unies, dont les observateurs sont bien impuissants, n'a pu qu'encourager Bachar Al-Assad. En face, si beaucoup de Syriens refusent de prendre les armes, d'autres, notamment les jeunes, s'engagent dans cette voie. Rapidement, ils sont rejoints par des militaires déserteurs, qui ne veulent pas participer à la réponse disproportionnée du régime ou sont mécontents de leur sort dans l'armée. Certains de ces soldats se réunissent au sein de l'Armée syrienne libre, qui devient un fer de lance des rebelles. Des renforts en provenance de l'étranger viendront ensuite grossir les rangs, comme des combattants jihadistes d'Irak, de Libye, du Liban, du Maghreb...

Des arsenaux inégaux

L'arsenal hétéroclite des rebelles (armes de poing, kalachnikovs, cocktails Molotov...) va s'enrichir au fil des mois. Ils récupèrent des armes grâce aux déserteurs ou en attaquant des soldats. Des armes et des munitions vont également passer les frontières grâce à la complicité ou au moins à l'indifférence de pays voisins, alors que l'Arabie saoudite et le Qatar s'apprêtent à soutenir financièrement et matériellement, mais officieusement, l'opposition sur le terrain. Toutefois, la rébellion reste bien moins équipée que les troupes de Bachar Al-Assad, qui s'appuient sur des armes plus lourdes et surtout des moyens aériens, un atout aux seules mains du régime.

5Septembre 2011 : une révolte qui s'inscrit dans une mosaïque de communautés

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Une très vaste majorité sunnite

La Syrie est composée d'une multitude de communautés. Du point de vue religieux, les musulmans sunnites sont très largement majoritaires dans le pays (environ 80% de la population). La part de la communauté musulmane alaouite s'élève, elle, à environ 10%. Viennent ensuite les chrétiens (entre 5 à 10%, selon les estimations), les druzes (1 à 2%), les chiites et d'autres encore... Autres composantes de la mosaïque communautaire : si les Arabes constituent près de 90% de la population, le nord du pays est habité par un important groupe kurde, et dans une moindre mesure, turkmène. Chaque communauté, ethnique ou confessionnelle, se concentre plus ou moins. Les groupes de chrétiens sont plus disséminés sur le territoire tandis que les druzes ou les Kurdes, par exemple, ont davantage tendance à se rassembler. Mais les "territoires des communautés" sont loin d'être homogènes. Les régions ne sont pas uniformément peuplées de sunnites ou d'alaouites. Les villes sont composées de multiples quartiers aux confessions différentes, qui se côtoient, travaillent ensemble...

Un groupe alaouite sur lequel s'appuie le pouvoir

Toutes ces communautés ne sont pas touchées de la même façon par la révolte. Alors que la contestation s'amplifie et que la répression devient de plus en plus féroce, les principaux points d'hostilité se retrouvent en zones sunnites. Les régions attentistes se situent surtout dans le Nord. Quant aux espaces favorables au pouvoir, ils recoupent en grande partie les territoires alaouites, communauté à laquelle appartient Bachar Al-Assad.

Or, ce dernier, et avant lui son père Hafez Al-Assad, a appuyé son pouvoir sur cette communauté, lui confiant les postes-clés dans l'armée, l'administration, le renseignement... Si bien que dans le contexte économique difficile que traverse la Syrie, le ressentiment à l'égard de ceux qui sont parfois vus comme des privilégiés s'exacerbe. Et l'assimilation de la communauté alaouite au régime oppresseur est tentante.

Une spécificité qui alimente la dynamique de la révolte

Pour autant, tous les territoires sunnites ne sont pas en révolte. Les revendications confessionnelles sont souvent absentes des manifestations. Et sunnites, alaouites, chrétiens et autres ne prennent pas les armes pour se combattre. Mais si la contestation relève de raisons économiques, sociales et territoriales, elle s'inscrit aussi dans ce contexte communautaire. D'autant que le président syrien n'hésite pas à instrumentaliser la diversité syrienne pour servir ses intérêts, se proclamant le garant de l'unité nationale, le protecteur des minorités contre l'énorme majorité sunnite.

6Mars 2011 : une contestation qui se propage vite

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Des morts à Deraa, une étincelle dans le sud du pays

Depuis le début de l'année 2011, la Syrie connaît des tentatives de mobilisation de la population. Mi-mars, ce mouvement embryonnaire, qui réclame plus de liberté, moins de corruption, des réformes économiques prend de l'ampleur malgré la rigidité du régime de Bachar Al-Assad. Le 18, à Deraa, dans le sud du pays, la police tue au moins quatre personnes lors d'une manifestation. A partir de cet événement, la contestation - et la répression qui l'accompagne - ne va cesser de s'amplifier, suivant des dynamiques notamment économiques et territoriales.

L'axe Alep-Damas, colonne vertébrale du pays

La Syrie, un peu plus grande que la Tunisie, est occupée par un immense désert qui représente environ la moitié de sa superficie. La population et l'activité économique se répartissent au nord et à l'ouest de cet espace quasi vide, notamment sur l'axe Alep-Damas. Or, c'est dans les villes situées en périphérie de cet axe, comme à Deraa, Lattaquié, Baniyas, Jassem... que la contestation se propage. Elle touche aussi des banlieues de grandes villes dotées de centres actifs et bourgeois comme Damas ou Homs.

Des périphéries délaissées et excédées

Dans ces zones, les difficultés engendrées par le passage d'une économie dirigiste à une économie de marché depuis une vingtaine d'années se font sentir plus qu'ailleurs. Le déclin de l'agriculture a entraîné un fort exode rural vers des villes moyennes dont les structures ne suivent pas. L'habitat illégal y a explosé. De plus, la population syrienne est passée de 3,5 millions d'habitants en 1950 à 22,5 millions en 2011. Mais le marché du travail peine à absorber ces nouveaux venus. Un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PDF en anglais) estime qu'en 2007, 33,6% de la population syrienne souffre de pauvreté (de l'incapacité de subvenir aux besoins du foyer jusqu'à la malnutrition). Ces habitants en marge de l'activité économique, des centres de pouvoir, se sentent abandonnés par un Etat autoritaire qui réprime la moindre expression de mécontentement.

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