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Antoine Basbous sur le rôle de l'Arabie saoudite en Syrie

Antoine Basbous dirige l’Observatoire des pays arabes. Il a notamment rédigé «Le tsunami arabe» (Fayard 2011). Pour lui, l’aide de la monarchie saoudienne aux rebelles syriens reste assez modeste. Car comme nombre d’autres pays, si elle n’aime pas le régime Assad, l’Arabie craint ses capacités de nuisance et l’arrivée d’un pouvoir islamiste à Damas, qui serait plus proche de pays rivaux.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Antoine Basbous (OPA)

Selon certaines informations, l’Arabie saoudite livre des armes aux rebelles syriens. Qu’en est-il exactement ?

Effectivement, il y a des livraisons d’armes. Mais appuyés par les Américains, les Saoudiens n’ont pas ouvert grand les vannes comme ils l’ont fait à l’époque de l’invasion soviétique en Afghanistan il y a une trentaine d’années. Les mosquées de ce pays étaient alors devenues la base du Jihad, ce qui avait contribué à promouvoir Ben Laden. Les jihadistes étaient ensuite revenus dans leurs pays d'origine, dont l’Arabie, pour contester les régimes en place et poser des bombes.

Certes, aujourd’hui, les Saoudiens ne veulent pas d’Assad. Et ils se félicitent de la possibilité de voir éclater le «croissant chiite» (Iran, Irak, Syrie, Hezbollah libanais), qui a déjà frappé à leurs portes comme au Bahrein. Pour eux, une telle éventualité donnerait plus de marge au «croissant sunnite» (Turquie, Syrie, Jordanie, Arabie, pays du Conseil de coopération du Golfe).

Mais il faut voir que le soutien que la monarchie wahhabite fournit aux rebelles est assez limité par rapport à son immense richesse. Voulant à tout prix éviter un nouvel Afghanistan, elle entend agir discrètement. Elle veut savoir où va son aide et pouvoir la contrôler. De ce point de vue, l’une des raisons de sa relative inaction, c’est son manque de relais sur le terrain, en l’occurrence de salafistes, qui sont ses relais à l’extérieur.

L’Arabie saoudite ne tient pas à servir les Frères musulmans qui sont, eux, bien implantés en Syrie et sont plutôt la clientèle du Qatar et de la Turquie. Etats qui, eux aussi, aident l’opposition syrienne.

Véhicule détruit de l'armée syrienne dans la ville d'Ariha (province d'Idlib, nord-ouest). Sur la carcasse, on peut lire le slogan "Chiens d'Assad", écrit en arabe (AFP - HO - SHAAM NEWS NETWORK)

Vous dites que le soutien saoudien est peu important. Pourtant, on parle d’armes anti-char, très utiles contre le pouvoir de Bachar El Assad. De plus, Ryad se montre très sévère vis-à-vis de ce dernier, n’hésitant pas à parler de «régime d’occupation».

Tout cela, c’est du verbe ! Cela rappelle les propos, il y a un an, du premier ministre turc Erdogan, qui laissaient penser que son pays allait intervenir pour protéger les réfugiés syriens. En fait, personne n’ose vraiment affronter la Syrie, qu’on redoute. Depuis Assad père, au pouvoir en 1970 et 2000, Damas a toujours terrorisé les pays du Golfe.

Ces pays sont confrontés aux capacités de nuisance des renseignements syriens qui entretiennent des réseaux grâce au «croissant chiite». Il n’y a qu’à voir l’incendie qui s’est produit le 28 mai avec plusieurs départs de feu dans une crèche de Doha, capitale du Qatar, faisant 19 morts. A d’autres moments, il y a eu des actions de sabotage. Il faut voir comment ces affaires sont évoquées par des médias électroniques hébergés à Damas : elles sont quasiment revendiquées !

Résultat : avec sa monarchie vieillisante, l’Arabie a beaucoup parlé et peu agi. Beaucoup moins que le Qatar, avec son roi jeune et la chaîne Al Jazira, son arme de destruction médiatique. Les autorités saoudiennes ont d’ailleurs décrété que la Syrie n’était pas une base du Jihad et interdit officiellement aux muftis qui organisent des collectes pour les rebelles, de le faire savoir.

Comment voyez-vous l’évolution de la crise ?

Tout le monde a peur du lendemain et d’un Etat islamiste ulra-radical. Les puissances étrangères veulent essayer de contrôler le processus post-Assad.

Aujourd’hui, Bachar El Assad voit vaciller l’empire de son père. La répression ne fonctionne pas. Il a donc un plan B : celui d’accentuer l’antagonisme sunnites-alaouites, et faire ressortir un amalgame «sunnites égalent salafistes». Il veut ensuite pouvoir dire : «Je crée une zone autour du port de Lattaquié (au nord-ouest sur la Méditerranée) pour protéger les alaouites». On fait donc fuir les sunnites. Et le jour où le clan Assad sera obligé de quitter Damas, il s’installera dans la zone.

Le président syrien, Bachar El Assad, et son épouse Asma arrivant à Tunis le 12 juillet 2010. (AFP - STR)

Les alliés de la Syrie, l’Iran et la Russie, sont d’accord. Ils savent que la minorité allaouite ne peut pas se maintenir indéfiniment au pouvoir. A Lattaquié, les Iraniens gardent un pied sur la Méditerranée pour conserver leurs liens avec le Hezbollah libanais. Quant aux Russes, le plan B leur permet de conserver le port de Tartous. La solution convient aussi à Israël qui pense ainsi que si celle-ci est mise en œuvre pour séparer deux communautés islamiques, tout le monde comprendra qu’un Etat confessionnel, tel l'Etat hébreu, est obligé de se défendre pour survivre.

La réalisation d’une zone séparée est en gestation. Les familles des officiers alaouites ont ainsi déjà quitté Damas. Et il convient d’interpréter les récents massacres autour de Homs et de Hama comme la mise en oeuvre du nettoyage ethnico-confessionnel : on chasse les sunnites pour dessiner les frontières d’un futur Etat alaouite.

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