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Syrie : "Déclassifier des documents pour prouver que des politiques disent vrai, c'est inédit"

La publication par le gouvernement de documents déclassifiés sur l'arsenal chimique syrien est un fait sans précédent. Les explications de l'historien Sébastien Laurent, spécialiste du renseignement.

Article rédigé par Hervé Brusini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La note de synthèse sur l'arsenal chimique syrien déclassifiée par les renseignements français, photographiée le 2 septembre 2013 à Paris. (THOMAS COEX / AFP)

Les informations recueillies par les renseignements français sur l’arsenal chimique syrien sont désormais accessibles à tous. C’est ce qu’ont décidé les plus hautes autorités de l'Etat français, qui ont publié une note de synthèse déclassifiée, lundi 2 septembre. "Dans l'histoire des rapports Etat/services secrets, c'est une première absolue", confie à francetv info l’historien Sébastien Laurent, spécialiste du renseignement. Une histoire particulièrement chaotique où la vérité a été souvent mise à mal.

Comme disent les militaires, c'est l'un des "effets collatéraux" et pour le moins inattendus du conflit syrien. Les hommes de l’ombre sont mis ouvertement à contribution pour prouver que les politiques disent vrai. Et pour une fois, pas sous forme de fuites à destination des journalistes. "C'est sans précédent, affirme Sébastien Laurent. Pour la première fois, face à l'éventualité d'une attaque à mener en territoire étranger, et pour la justifier, les plus hautes autorités de l'Etat décident la déclassification de documents confidentiels. Et qui plus est, en associant deux services différents (la DGSE - direction générale de la sécurité extérieure - et la DRM - direction du renseignement militaire -) dans un même texte. C'est vraiment inédit."

Des documents secrets pour argument politique

Les Français ne sont pas les seuls à jouer la transparence. Le processus a commencé à Washington, où les révélations vont bon train. Pour le président américain comme pour ses ministres, une partie de ce que les espions savent de l’arsenal chimique de Bachar Al-Assad, le président syrien, est devenue un argument politique. Il doit convaincre. La défiance planétaire est à ce prix.

"En France, on peut trouver les documents des services sur le site même de l'Elysée, souligne Sébastien Laurent. C'est le signe que le chef des armées assume la médiatisation de ces éléments de preuves, c’est loin d’être anecdotique. Car, selon les textes en vigueur, une déclassification doit passer par la commission consultative du secret de la défense nationale (la CCSDN). Et c'est une autorité judiciaire qui l'actionne. Là, le geste est de nature clairement politique."

Le précédent Greenpeace

Il est vrai que dans l’histoire du couple renseignement/Etat, il n'en a pas toujours été ainsi. Mensonges, dénégations ou demi-vérités, les précédents sont nombreux où la parole officielle a utilisé de pseudo-révélations face à une opinion hostile. On se souvient de l’affaire du Rainbow Warrior, le bateau de l’organisation écologiste Greenpeace coulé dans le port d'Auckland (Nouvelle-Zélande) après une explosion, le 10 juillet 1985. Le photographe Fernando Pereira y laisse la vie. Le scandale met très vite sur la sellette les agents français. Sous l'autorité de François Mitterrand, un conseiller d’Etat du nom de Bernard Tricot rédige un rapport qui écarte toute responsabilité de la DGSE. "Ce rapport fut publié par le journal Le Monde, se souvient Sébastien Laurent. Il contenait des renseignements très délicats et en particulier l’identité de certains de ceux qui étaient présents sur le terrain. La DGSE était folle de rage. Mais ce rapport pouvait être publié puisqu’il n’était pas classifié."

La comédie dure quelques semaines à peine. La presse, le quotidien Le Monde en tête, continue ses investigations et le rapport Tricot est vite jeté aux orties. Le Premier ministre de l'époque, Laurent Fabius, doit alors reconnaître à la télévision que les services français sont bien à l’origine de l’attentat contre le bateau de Greenpeace. Aujourd’hui encore, cette affaire continue d'être vécue comme un traumatisme. Les noms des acteurs d’une opération ainsi que les méthodes employées restent d'absolus tabous.

Les fausses preuves de George W. Bush sur l'Irak

On se souvient aussi de ce geste de Colin Powell, le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, brandissant une capsule d’anthrax en pleine séance du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce 5 février 2003, le théâtre de la publication de preuves s’élève donc, en direct, au niveau d’une organisation internationale. Pseudo-photos de laboratoire mobile de recherche biologique, d'usines d'armes chimiques… Le monde assiste à une véritable scène de débriefing d'agents secrets sur l'Irak. "Là, précisément, il y a eu un travail de déclassification effectué surtout par les services britanniques en novembre 2002. En janvier 2003, George W. Bush s'est même appuyé sur ce 'dossier' pour tenter d'emporter l’adhésion de ses concitoyens, à l’époque très opposés à cette guerre."

On connaît la suite. La coalition qui part se battre en Irak - sans la France - ne trouve aucune trace d’armes de destruction massive. "Les services français avaient d’ailleurs fait savoir à l’époque qu’ils n’avaient pas les mêmes informations que leurs collègues anglais et américains", glisse Sébastien Laurent.

Aujourd’hui, des deux côtés de l'Atlantique, les politiques font un pari : retrouver la crédibilité et la confiance de leurs concitoyens en mettant sur la place publique les éléments rassemblés par leurs services. "La différence avec 2003, c’est qu’officiellement, il ne s’agit pas d’entrer en guerre, précise Sébastien Laurent. Cette déclassification est faite pour démontrer, convaincre l’opinion publique. Une opinion qui n’est pas en train de manifester massivement comme elle le fit au moment de la guerre du Golfe."

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