Info franceinfo Affaire Vinci au Qatar : six cadres convoqués par la justice

Six cadres du groupe Vinci sont convoqués par la justice dont certains sous le régime de la garde à vue, a appris franceinfo. Le géant du BTP est soupçonné d’esclavagisme moderne lors de chantiers préparatoires du dernier mondial de football au Qatar. Les avocats de Vinci dénoncent “un dossier vide”.
Article rédigé par Stéphane Pair
Radio France
Publié Mis à jour
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Un chantier mené par Qatari Diar Vinci Construction (QDVC) à Doha (Qatar) en mars 2015. (KARIM JAAAFAR / AL-WATAN DOHA / AFP)

C’est un sparadrap qui colle aux pieds du géant du BTP Vinci depuis plus de 8 ans. Après la mise en examen l’an dernier de sa branche Vinci Construction Grands Projets (VCGP) pour des faits apparentés à de l’esclavagisme moderne de ses ouvriers au Qatar, six cadres du groupe sont convoqués mercredi prochain par des enquêteurs, a appris franceinfo de sources concordantes, mercredi 13 septembre. Parmi les personnes attendues dans les locaux des gendarmes de l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), trois d’entre elles seront entendues sous le régime de la garde à vue avec la perspective d’une éventuelle mise en examen. Des cadres du groupe avaient déjà été interrogés dans cette affaire. Le siège du groupe à Rueil-Malmaison avait également été perquisitionné en décembre 2020.

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En mettant un coup de pression sur les acteurs de ce dossier, les deux juges d’instruction qui enquêtent à Nanterre sur l’activité BTP de Vinci lors des chantiers préparatoires de la Coupe du monde 2022 de football au Qatar espèrent sans doute donner un coup d’accélérateur à cette instruction difficile à matérialiser. Dans le viseur des juges, la branche VCGP et Qatari Diar Vinci Construction (QDVC), une filiale de Vinci détenue à 51% par le fonds souverain du Qatar. Depuis plus de huit ans, le groupe Vinci récuse toutes les accusations de travail forcé et de traite d’êtres humains lancées par l’association militante Sherpa et le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM). Le groupe estime même être précurseur en matière de droits humains et de respect du droit local du travail pour ses ouvriers au Qatar. 

Un dossier "vide de preuve", se défend Vinci

Photos, vidéos et témoignages écrits à l’appui, Sherpa a pourtant plusieurs fois saisi la justice française pour dénoncer des conditions de travail indignes d’ouvriers migrants employés par Vinci au Qatar. Sherpa accuse ainsi QDVC d’avoir recruté, employé et hébergé dans des conditions inhumaines des ouvriers migrants pour tenir les délais de livraison de plusieurs de ses chantiers, dont le métro léger reliant Doha à Lusail. Sherpa soupçonne aussi les responsables de la filiale de Vinci d’avoir privé de passeports certains de ces ouvriers pour s’assurer de leur disponibilité, ce que réfute le groupe. Après un premier classement sans suite, l’association Sherpa, le Comité contre l’esclavagisme moderne (CCEM) et douze ouvriers immigrés (indiens, népalais) ont porté plainte avec constitution de partie civile devant la justice française déclenchant l’ouverture d’une instruction judiciaire en 2019.

"Si l'information est confirmée, c'est une bonne nouvelle", explique Laura Bourgeois, chargée de contentieux et du plaidoyer à Sherpa.

"Cela signifie que l'enquête avance. L'audition de cadres dirigeants de VCGP devrait permettre d'identifier plus précisément l'implication potentielle de VCGP dans les faits dénoncés par les travailleurs. Il n'apparaît pas sérieux de remettre en question l'indépendance des juges d'instruction et la rigueur de leurs années d'enquête. D'ailleurs, face à une entreprise 'de cette taille', les juges ont probablement dû redoubler de précautions"

Laura Bourgeois, chargée de contentieux et du plaidoyer à Sherpa

à franceinfo

Pour Jean-Pierre Versini qui défend le groupe Vinci, ces convocations et gardes à vue programmées sont totalement injustifiées. Elles s’appuient sur un dossier que l’avocat estime “vide de preuves” et “orienté”. “Nous contestons tous ces témoignages, tonne Jean-Pierre Versini qui a déposé en mai dernier une requête en nullité contre la mise en examen de VCGP. Depuis huit ans, les autorités essaient d’entendre ces ouvriers, mais ils n'ont entendu aucun des plaignants sur ces chantiers. Aucun des douze ouvriers sur des milliers d’employés ! Tout ça est insuffisant pour renvoyer une entreprise de cette taille en correctionnelle. Huit ans d’enquête et on n'a pas toujours pas décidé si Vinci était une entreprise sérieuse ou un esclavagiste. C'est trop long et rien n'est prouvé dans ce dossier.” 

La question de la validité juridique, du nombre et de la réalité des témoignages à l’origine de la plainte est l’un des enjeux de ce dossier. Selon les informations de franceinfo, l’association Sherpa a été entendue fin juin pour précisément aider les enquêteurs qui peinent à retrouver et auditionner pour la première fois les ouvriers migrants indiens et népalais qui incriminent Vinci. Lors de cette audition devant les juges d’instruction, la représentante légale de Sherpa a affirmé que les plaignants sont volontaires pour participer à l’enquête, mais elle a aussi reconnu la difficulté à trouver de nouveaux témoignages.

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