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Syrie : Bachar Al-Assad a-t-il gagné la partie de poker diplomatique ?

La proposition de la Russie, qui souhaite créer une coalition internationale contre l'Etat islamique, a reçu un grand écho à l'ONU. Résultat : la position du dictateur syrien semble renforcée, et son départ de plus en plus hypothétique.

 

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le président syrien Bachar Al-Assad prie à Damas, le 17 juillet 2015. (SYRIAN PRESIDENCY FACEBOOK PAGE)

Longue vie au tyran de Damas ? Alors que le conflit syrien a fait plus de 250 000 morts en quatre ans, l'expansion du groupe Etat islamique (EI) dans l'est et le nord du pays rebat les cartes diplomatiques. A la tribune des Nations unies, Vladimir Poutine, soutien de Bachar Al-Assad, a plaidé mardi 29 septembre pour une coalition internationale contre les jihadistes, nécessitant le maintien au pouvoir du chef de l'Etat syrien. Un appel qui a reçu un écho, y compris dans le camp des anti-Assad, au grand dam de la France.

François Hollande, qui demande toujours le départ du dictateur syrien, semble de plus en plus isolé. Les Etats-Unis, à la tête d'une coalition internationale qui bombarde l'Etat islamique, se montrent moins catégoriques, soufflant le chaud et le froid. Bachar Al-Assad a-t-il gagné cette partie diplomatique ? Une paix avec Assad est-elle (de nouveau) envisageable ?

L'Etat islamique, nouvelle priorité des Occidentaux

L'Etat islamique, qui appelle à commettre des attentats dans les pays occidentaux (et notamment en France), est désormais l'ennemi numéro 1 de la communauté internationale, bien que l'opposition syrienne souligne que les 250 000 morts sont dans leur immense majorité de la responsabilité d'Al-Assad. "Politiquement, Bachar Al-Assad a gagné en dehors de ses frontières, note Frédéric Pichon, chercheur associé à l'université de Tours et auteur de Syrie, pourquoi l'Occident s'est trompé (éditions du Rocher, 2014). En revanche, militairement, c'est une tout autre affaire." 

En guerre avec une multitude de rebelles armés (modérés, salafistes ou jihadistes), le régime syrien garde la main sur la portion ouest du territoire, où réside près de 70% de la population. "La vie continue tant bien que mal, mais elle continue. Le pays est encore structuré. La question qui se pose est : ce semblant d'ordre, certes injuste, est-il préférable au chaos injuste de l'EI, ou à un chaos semblable à celui qui règne en Libye ?" s'interroge le chercheur. 

Une opposition syrienne délaissée par ses alliés

A cette question, la coalition de l'Occident semble à présent avoir trouvé sa réponse. L'opposition syrienne, un temps mise en avant dans les discussions, notamment au moment de la conférence de Genève en 2012, est la grande absente des derniers pourparlers. "Bien entendu, l'opposition syrienne modérée existe toujours, analyse Thomas Pierret, spécialiste de la Syrie rattaché à l'université d'Edimbourg (Ecosse, Royaume-Uni). Mais on n'en parle plus. Tout simplement parce que les grandes puissances ne s'y intéressent plus."

Le désintérêt ne date pas d'aujourd'hui. "Au début de la révolte, on a sous-traité le soutien à l'opposition, abonde Frédéric Pichon, préférant laisser nos alliés régionaux, comme la Turquie, l'Arabie saoudite ou le Qatar, en avoir la charge. La France ne s'est pas donné suffisamment les moyens de ses ambitions. Il aurait fallu mettre sur pied une vraie force de rebelles modérés." Sur le terrain, à la place, cet appui est en partie venu "des pires bailleurs de fonds et prédicateurs du Golfe, développe Frédéric Pichon. Cet appui financier a radicalisé un pan de l'opposition modérée."

Lundi, le chef de l'opposition syrienne en exil, Khaled Khoja, a tenté de faire entendre sa voix. Il a exhorté la communauté internationale à agir pour "éviter un nouveau Rwanda". "Ce qui se passe en Syrie est une extermination, qui se déroule sous les yeux du monde", a prévenu le président de la Coalition nationale syrienne, lors d'une conférence organisée en marge de l'Assemblée générale de l'ONU. Pour Thomas Pierret, cet appel mérite d'être entendu. "Si on abandonne complètement l'opposition, une partie des combattants rejoindront l'Etat islamique. Et avec eux, il n'y a vraiment pas moyen de négocier." 

Les frappes aériennes, soutien indirect à Bachar Al-Assad

Publiquement, les Etats-Unis assurent que pour vaincre l'Etat islamique, "un nouveau dirigeant" doit émerger à la tête de la Syrie. Mais dans les faits, leur stratégie est beaucoup plus floue. "A partir du moment où l'on frappe l'EI, on renforce Al-Assad", juge Frédéric Pichon. De même, la France, qui combat l'EI en Syrie depuis dimanche par voie aérienne, dément toute collaboration avec le régime syrien. Une version sujette à caution. "Il y a évidemment une coordination a minima, poursuit le spécialiste. A Deir ez-Zor, l'armée syrienne a frappé une localité proche du camp bombardé par la France. Quand les avions syriens volent, les Français sont prévenus, et inversement." 

Pour Thomas Pierret, attaquer les jihadistes n'aurait pas pour seule conséquence de légitimer la position de Bachar Al-Assad. Cela pourrait aussi renforcer... l'EI lui-même. "Militairement, l'organisation serait affaiblie, certes. Mais elle gagnerait la sympathie d'une part supplémentaire de la population, qui s'érigerait contre les 'croisés russes', y compris parmi les rebelles." Par ailleurs, la Russie pourrait être amenée à s'attaquer aussi aux rebelles modérés, censés être les alliés des Occidentaux. "Je suis certain qu'elle finira par le faire. Qui en sortirait gagnant ? Bachar Al-Assad", avance le chercheur. 

Le dictateur est-il pour autant assuré de mourir sur son trône ? Rien n'est moins sûr. "On a du mal à l'imaginer remettre sa démission dans les mois prochains, ironise Frédéric Pichon. Mais en même temps, les événements récents montrent que ce n'est plus vraiment lui qui a la main sur le dossier." A la manœuvre, ce sont surtout les Russes et les Iraniens. "Il est très dépendant d'eux. Si jamais les Russes ou les Iraniens décidaient un jour de le pousser vers la sortie, doucement, peut-être aurait-il du mal à s'y opposer." 

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