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Les Etats-Unis vont-ils amplifier leur engagement militaire contre l'Etat islamique ?

L'état-major américain a adopté un discours plus offensif, jeudi 21 août, vis-à-vis des jihadistes, en évoquant, notamment, la possibilité d'une intervention en Syrie. L'analyse de Thomas Snégaroff, spécialiste des Etats-Unis. 

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Des pilotes de chasse américains, le 10 août 2014, sur le pont du porte-avion "George H.W. Bush", stationné dans le golfe persique. (HASAN JAMALI / AP / SIPA)

Changement de discours. Deux semaines après le début des frappes aériennes de l'armée américaine en Irak, destinées à stopper la progression de l'Etat islamique (EI), le chef de l'état-major des Etats-Unis a expliqué, jeudi 21 août, qu'il fallait "défaire" les jihadistes, qui représenteraient une menace terroriste sans précédent. Une tâche impossible, selon lui, sans s'attaquer aux troupes situées en Syrie. Quelques jours après la violente exécution de l'otage américain James Foley, le 18 août, la Maison Blanche semble donc avoir adopté une position plus belliqueuse vis-à-vis de l'EI. Thomas Snégaroff, spécialiste des Etats-Unis et directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), décrypte pour francetv info ce nouveau discours.

Francetv info : Le 8 août, Barack Obama parlait de "frappes ciblées" en Irak pour éviter un "génocide". Désormais, la Maison Blanche parle de "défaire" l'EI, quitte à intervenir également en Syrie. Comment expliquer ce changement de discours ?

Thomas Snegaroff : Il est difficile de savoir si, dès le départ, les Etats-Unis prévoyaient une opération longue. L'an dernier, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, avait clairement annoncé que les frappes aériennes en Syrie [qui n'ont finalement pas eu lieu] dureraient deux ou trois jours, et qu'il n'y aurait aucun soldat sur le terrain. Cette fois, les Américains n’ont pas donné de limites de temps : cela indique qu’ils prévoient un combat de longue haleine, et que l’objectif n’est pas simplement d’endiguer la progression de l’EI. Les services de sécurité ont pris en compte, dès le début, la dangerosité du mouvement. Reste que le mouvement s’est développé très vite et ils ont sans doute été dépassés.

On ne peut qu’être frappé par ce changement de ton, mais il s'inscrit dans une logique : avant d'intervenir, les Etats-Unis ont toujours tendance à amplifier la force de leurs ennemis, et à expliquer qu'ils présentent une menace directe, y compris pour le territoire américain. Au début de la guerre du Golfe en 1990, l'Irak était présenté comme un pays possédant la quatrième armée la plus puissante au monde, avant d’être balayée en quelques jours. Maintenant, l'administration explique que l’EI "est plus sophistiqué et mieux financé que tout autre groupe [terroriste] que nous ayons connu", et, en l'occurrence, ils ont raison de le dire. On retrouve actuellement une répétition des arguments qui servent à légitimer et préparer l’opinion publique à une éventuelle action.

Ces déclarations annoncent-elles une future intervention terrestre, en Syrie ou en Irak ?

Les Etats-Unis cherchent des solutions. L'une d'elles consiste à armer les Kurdes, voire l'armée irakienne, qui combattent les jihadistes, ce qui est plus envisageable depuis le changement de Premier ministre. Ils peuvent aussi poursuivre leurs frappes aériennes.

A mon avis, ils n’iront pas jusqu'à envoyer des soldats au sol. En tout cas officiellement : on a vu qu’ils pouvaient mener des opérations secrètes, comme leur tentative de libérer James Foley et d'autres otages en Syrie au début de l'été. Mais l'opinion publique ne veut plus de conflits. Barack Obama a été élu sur une promesse de désengagement militaire en Irak et en Afghanistan. Aujourd'hui, une majorité d'Américains soutient les frappe aériennes, mais très peu d'entre eux souhaitent une opération sur le terrain. Au vu de la tonalité du discours [du chef de l'état-major américain, le 21 août], on ne peut pas complètement écarter la possibilité d'une escalade militaire. Mais pour cela, il faudrait vraiment que la situation devienne critique : que Bagdad tombe aux mains des jihadistes, par exemple.

Est-ce qu'une intervention en Syrie contre l'Etat Islamique pourrait entraîner une alliance avec Bachar Al-Assad ? 

C’est le dilemme. Beaucoup d’experts pensent qu’il sera difficile de trouver une solution sans un dialogue constructif avec le président syrien. Il est d'ailleurs possible qu’il voit d’un bon œil la progression de l’EI. Ça légitime son discours de lutte contre les terroristes, car certains mouvements d'opposition que la France voulait armer il y a un an se sont aujourd'hui tournés vers les jihadistes. La capacité de convaincre les Occidentaux à se ranger du côté de Bachar Al-Assad fait partie des inconnues. La France conserve un discours très dur envers le régime syrien. 

Et, je ne vois pas du tout les Etats-Unis s'engager seuls. Ce n'est pas la doctrine de Barack Obama, dont la stratégie est toujours de s'appuyer sur des puissances régionales capables d'agir, comme la France au Mali. Au Proche-Orient, il n'y a pas de leaders définis, mais ils sont nombreux à vouloir la fin de l'EI : l'Iran, l'Arabie Saoudite, même le Qatar. L'Iran s'est dit prêt à agir, mais faire appel à Téhéran est dangereux, surtout en pleine négociation concernant un accord sur le nucléaire. La situation est très difficile à analyser, on avance au jour le jour.

 

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