Coups de fouet, eau polluée et prix qui flambent : à Raqqa, les Syriens sont pris au piège par l'Etat islamique
Tandis que la coalition intensifie ses bombardements contre la capitale autoproclamée de l'EI, les jihadistes se réfugient au milieu de la population. Pour les habitants, la situation se tend de jour en jour.
Avant les conflits, la ville syrienne de Raqqa et ses 200 000 habitants étaient invisibles, inconnus. Depuis juin 2014, Raqqa est devenue l'épicentre de l'influence de l'Etat islamique dans la région. Lundi 16 novembre, le gouvernement français a annoncé sa volonté d'intensifier les frappes en représailles aux attentats de Paris revendiqués par l'organisation jihadiste. Mais au milieu des bombardements, de nombreux civils sont pris au piège.
Depuis le dernier recensement officiel en 2009, il est difficile de savoir combien de personnes vivent encore dans la ville de Raqqa. Au bord de l'Euphrate, des dizaines de milliers d'habitants ont fui. Les autres subissent le règne de l'EI, qui se sert d'eux comme de boucliers humains. Malgré la pression, certains ont décidé de témoigner après avoir fui.
Rendre visite à une amie peut conduire en prison
"Ce n'est un secret pour personne que les bases de l'EI sont au milieu des habitations civiles. Ce qui ressemble à une base est soit vide soit fictif. Les jihadistes vivent dans les maisons civiles", relève Aktham Alwany, un militant de l'Observatoire syrien des droits de l'homme, originaire de Raqqa.
Les monuments et les ronds-points, autrefois lieux de rencontre, sont maintenant drapés de noir et sont le théâtre d'exécutions publiques.
"Si vous faites une erreur, vous pouvez être tués", raconte le journaliste Jurgen Todenhofer à Russia Today. Il est l'un des seuls Occidentaux à avoir pu visiter le "califat" autoproclamé. Selon le reporter, des gens écopent de peines de prison pour avoir simplement rendu visite à une amie, et les lapidations sont monnaie courante.
Premières victimes : les femmes
Les étrangers qui rejoignent les rangs des jihadistes ont remplacé les Syriens qui ont réussi à s'exiler. En septembre 2014, une femme avait réussi à filmer le quotidien de la ville. Dans ces images diffusées sur France 2, on voit notamment des Françaises venues vivre en Syrie qui parlent à leur famille dans un cybercafé.
La vie sous l'Etat islamique, filmée en caméra cachée
"A Raqqa comme ailleurs, les plus grandes victimes des horreurs de Daech sont les femmes", raconte un membre de Raqqa is Being Slaughtered Silentely (en anglais), un site d'information local activiste, au New Yorker (en anglais). Dans le fief jihadiste, le niqab est l'uniforme des femmes et une patrouille entièrement féminine s'assure que chacune respecte la loi imposée par les jihadistes.
Appelée la Khansaa, cette police de la moralité est particulièrement violente. Dans un article du New York Times (en anglais), trois femmes qui se sont échappées de Raqqa témoignent de l'horreur et surtout de leur impuissance : "Je n'ai pas pu aider une amie d'enfance et sa mère. Leurs tenues étaient trop moulantes, elles ont été fouettées plusieurs dizaines de fois. Elles m'ont demandé d'intervenir, mais je ne pouvais pas, mon intervention n'aurait rien changé, et je me serais mise en danger."
La misère au quotidien
Un an et demi depuis la prise de la ville par l'Etat islamique, la vie reprend tant bien que mal son cours. Les habitants fuient les rues et les parcs et restent cloîtrés chez eux. La situation sanitaire devient elle aussi préoccupante depuis que les associations humanitaires ont quitté la région. "Nous relevons une couche épaisse de boue ainsi que des vers dans les sources d'eau potable autour de la ville", relayait le site Raqqa is Being Slaughtered Silentely (en anglais).
Etre médecin dans le territoire contrôlé par l'EI n'est pas chose facile. Toujours dans les colonnes du New Yorker, un docteur affirme qu'il a été forcé de s'engager aux côtés des jihadistes pour faire son travail : "Ils m'ont dit que si je voulais continuer à travailler, je devais les rejoindre. Je n'ai pas eu le choix. J'ai des enfants, je dois faire mon travail..."
Les musées et les monuments ont été récupérés par l'Etat islamique pour servir de lieux d'entraînement ou de recrutement. Les enfants ne vont plus à l'école et errent dans les rues. Ils sont devenus des cibles de choix pour les recruteurs en quête de petits soldats.
Il y avait cet enfant qui a disparu pendant plusieurs mois. Il avait 13 ans. Son père a fini par découvrir qu'il avait été recruté par le groupe terroriste et était en camp d'entraînement pour rejoindre leurs rangs. Ils kidnappent ces enfants, les envoient à la mosquée pour leur laver le cerveau avec un islamisme ultra radical. Ensuite, ils sont dirigés vers des camps où on leur apprend à se battre, à porter des bombes. Pour devenir soldats, ils doivent décapiter quelqu'un.
Croulant sous différentes taxes et amendes, les prix dans les commerces pour des produits de première nécessité flambent. "Une bouteille d'eau coûte maintenant 250 livres syriennes (environ 1 euro), une fortune pour la région", raconte un militant, toujours sur le site RBSS.
"Cette ville est une prison à ciel ouvert"
"Quand on parle de Raqqa, la première chose à laquelle les gens pensent, c'est l'Etat islamique", explique Hamza, un des rédacteurs de RBSS toujours au New Yorker. Il pointe du doigt les "dizaines de milliers de civils" oubliés, qui veulent la démocratie. "Nous voulons montrer que cette vie normale existe sous la propagande des terroristes."
#Raqqa the sound of the 16 Airstrike by Warplanes on #Raqqa #Syria #ISIS https://t.co/A2lhJOnKx9
— الرقة تذبح بصمت (@Raqqa_SL) 17 Novembre 2015
"Ici, le quotidien, c'est d'entendre des rafales voler au-dessus de nos têtes. Les habitants ont peur, ils ont vu la ville de Kobané être réduite en cendres, ils ne veulent pas le même sort pour Raqqa. Nous aimons notre ville. Les Occidentaux veulent bombarder l'Etat islamique. Mais ils ne peuvent pas. C'est une prison à ciel ouvert, et les habitants de Raqqa sont des boucliers humains", poursuit-il.
Pour l'instant, les autorités françaises ont assuré ne pas avoir fait de victimes parmi les civils. Mais si des habitants tombent sous les bombes de la coalition, leurs dépouilles "seront sûrement transportées devant les caméras", estime-t-il, ajoutant que l'EI jouera sans doute la carte de la "victimisation pour justifier les brutalités futures". On rentrera ainsi dans un "cercle vicieux". Ce cercle qu'espère déclencher le groupe Etat islamique en s'installant près des hôpitaux et des immeubles d'habitation.
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