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A-t-on vraiment les moyens de combattre l'Etat islamique ?

Les Etats-Unis tentent de bâtir une coalition pour lutter contre les jihadistes en Irak et en Syrie. Mais cette initiative a-t-elle seulement des chances de succès ?

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des miliciens chiites irakiens tirent des roquettes sur des positions de combattants de l'Etat islamique, le 3 septembre 2014, près de Tikrit (Irak). (AHMAD AL-RUBAYE / AFP)

Le bras droit du chef de l'Etat islamique (EI) aurait été tué, jeudi 4 septembre, dans un raid de l’aviation irakienne dans le nord de l'Irak. Mais le même jour, ses jihadistes auraient enlevé une quarantaine d’hommes dans une ville de la province de Kirkouk. Malgré les coups portés, l’organisation, bien décidée à instaurer un Etat islamiste, continue de semer la terreur en Irak et en Syrie. Ce "cancer", Barack Obama entend le "détruire". Et pour ce faire, il veut bâtir une coalition. Mais cette alliance aura-t-elle seulement les moyens de ses ambitions ?

Politiquement, c'est impopulaire

Aux Etats-Unis. Barack Obama s'est fait élire en 2008 sur la promesse de mettre fin à la guerre en Irak, fiasco lancé par son prédécesseur. Pour lui comme pour l'ensemble de l'opinion publique américaine, ce pays est un terrain plus que délicat. Pour l'instant, Washington a opté, depuis début août, pour des frappes aériennes ciblées et exclut l'envoi de soldats au sol. Si le retrait d'Irak reste très controversé, un sondage, réalisé par Fox News (en anglais) mi-août, montre que 65% des Américains approuvent ces frappes aériennes. 

Les décapitations du journaliste américain James Foley, puis de son confrère Steven Sotloff à quelques jours d'intervalle ont décidé Barack Obama à agir, et ont contribué à faire sentir à la population américaine la nécessité d'une action, explique Myriam Benraad, chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po, contactée par francetv info.

En Europe. France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni... Les opinions publiques européennes étaient majoritairement hostiles à un engagement militaire au Moyen-Orient, comme le listait Libération, lorsqu'il était question de frapper le régime de Bachar Al-Assad, en Syrie, en 2013. Mais le contexte a changé.

"Les Européens ont pris la mesure du danger que représente l'Etat islamique pour la région et pour l'Europe, notamment parce que nombre de jihadistes sont venus du continent européen et menacent d'y retourner, explique Myriam Benraad. Ils ont pris conscience que le laisser-faire n'a pas abouti à une amélioration de leur sécurité, que la menace jihadiste n'est pas si éloignée et qu'il y a un risque de contagion. S'ajoute à cela le problème des réfugiés que les Européens ne comptent pas intégrer."

Internationalement, c'est complexe

En Europe. Une coalition s'esquisse pour épauler les Etats-Unis. Britanniques, Français, Allemands, Italiens, Danois, Australiens, Turcs, Canadiens et Polonais ont participé à une réunion qui s'est tenue en marge du sommet de l'Otan, le 5 septembre, et qui semble dessiner le cœur de ce que sera la future coalition. Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, souhaite la voir constituée d'ici l'Assemblée générale de l'ONU fin septembre.

Dans le Golfe.  Après le sommet de l'Alliance atlantique, Barack Obama va tenter de s'assurer du soutien des pays moyen-orientaux. La constitution d'une union "est absolument essentielle pour les pays qui veulent que l'Etat islamique soit vaincu", souligne Nora Bensahel, du Centre pour une nouvelle sécurité américaine, dans Times of Israël.  

Or, c'est là que le jeu des alliances est le plus délicat. Seule certitude : les monarchies du Golfe ont accepté le principe d'une coalition. Mais Frederic Wehrey, spécialiste de la zone, juge à l'AFP que l'Arabie saoudite et ses partenaires, Bahreïn, les Emirats, le Koweït, Oman et le Qatar "n'ont pas la capacité de mener des opérations militaires en dehors du Golfe". Il estime surtout que leur éventuelle implication n'irait "pas au-delà de la légitimité symbolique d'une participation arabe".

En Iran. L'Iran est prêt à rejoindre cette coalition. Mais à condition que les sanctions internationales à son encontre soient levées. Des négociations ont été lancées dès juin entre Iraniens et Américains. Et selon la BBC (en anglais), elles ont abouti au feu vert de l'ayatollah Khamenei à des opérations militaires coordonnées avec les Irakiens, les Kurdes et les Américains.

En Syrie. La Syrie aussi a proposé son aide, car Damas est en guerre contre l'EI, qui a son fief dans le pays et contrôle une vaste partie de son territoire. Mais Washington comme Paris s'y refusent, et excluent pour l'heure d'y intervenir. Car cela reviendrait à faire cause commune avec Bachar Al-Assad et à servir les intérêts d'un dictateur infréquentable et pourtant incontournable.

Militairement, c'est incertain

L'Etat islamique est à la tête d'une véritable armée, forte d'au moins 10 000 hommes et munie d'artillerie et de blindés pris aux armées irakienne - et pour partie hérités de l'intervention américaine - et syrienne. Face à lui, l'Otan "représente tout de même près de 60% des dépenses militaires mondiales. En plus des Etats-Unis, quatre ou cinq pays - dont la France et la Grande-Bretagne - restent solides au plan militaire. L’Otan demeure, de très loin, l’acteur militaire dominant sur la scène internationale”, note Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique à Paris, dans Libération. C'est donc "une guerre asymétrique qui s'engage", juge Myriam Benraad. 

Rassurant ? Pas forcément. "C'était déjà le cas dans les années 2000, et les jihadistes avaient mis en déroute l'armée américaine en Irak", souligne la spécialiste. 

Depuis le début du mois d'août, les Etats-Unis ont mené plus d'une centaine de frappes aériennes contre les insurgés islamistes. Dans le cas d'une intensification des opérations, Washington dispose d'une force de frappe conséquente dans la région, avec des bases en Turquie, en Jordanie et dans les pays du Golfe. Cela représente plus d'une dizaine de milliers d'hommes et des dizaines d'avions, des F-16 pour le combat, des F-22 pour l'espionnage, mais aussi des bombardiers B2, listait l'Irib, la radio-télévision iranienne, en 2013. En outre, l'USS Mahan, capable de tirer des missiles Tomahawk, a pris la mer mi-août en direction de la Méditerranée et du Golfe persique.

Cela n'est pour l'heure qu'une hypothèse, mais la France et le Royaume-Uni notamment ont aussi les moyens militaires de participer à une offensive aérienne. Londres a déjà dépêché des chasseurs Tornado à Chypre pour effectuer des missions de reconnaissance en Irak. Paris peut faire décoller des avions de chasse depuis ses bases ou celles de ses alliés en Méditerranée et tirer des missiles de croisière Scalp d'une portée de 250 km environ, capables d'atteindre la Syrie par exemple. Une possibilité déjà évoquée par des spécialistes des questions de défense dans Atlantico en 2013.

Problème : si en Irak, les frappes aériennes permettent à l'armée irakienne, aux milices chiites et aux peshmergas kurdes de reprendre un peu du terrain perdu, en Syrie, "la question est de savoir si des troupes au sol sont en mesure de se déployer après des frappes aériennes et contrôler ces terres. La réponse est très probablement 'non'", prévient Gary Samore, enseignant à Harvard et ancien conseiller du président Obama sur les questions de désarmement. De toute façon, l'option de frappes aériennes en Syrie est écartée à l'heure actuelle.

Financièrement, c'est onéreux

Pour les Européens. Lancer une nouvelle opération militaire, c'est aussi ouvrir un nouveau poste de dépenses, sans savoir quand il sera clôturé. En France, le débat est déjà vif autour du financement des Opex, les opérations extérieures de l'armée française, au moment où le budget de la Défense subit des coupes franches. Serval au Mali, Sangaris en Centrafrique : les Opex ont coûté 1,25 milliard d'euros en 2013. Plus du double de l'enveloppe prévue, rappelle BFM. Un record depuis dix ans.

Reste que "depuis 2003, l'Irak est considérée par les Européens comme le pré carré des Américains, non seulement leur chasse gardée mais aussi leur problème. Cela a contribué jusqu’à présent au désengagement des Européens, dont les capacités militaires sont par ailleurs limitées. Les Etats-Unis sont donc amenés à garder la main" et à assumer le gros des dépenses, juge Myriam Benraad. 

Pour les Etats-Unis. Le Pentagone a fait ses comptes fin août. Les opérations militaires américaines en Irak contre les jihadistes de l'Etat islamique coûtent environ 7,5 millions de dollars chaque jour. Plus d'un demi-milliard de dollars ont donc déjà été dépensés par l'armée américaine depuis mi-juin, calcule Reuters (en anglais). Un coût important mais limité, comparé à celui des opérations en Afghanistan pour lesquelles le Pentagone débourse chaque semaine 1,3 milliard de dollars. 

En matière de renseignement, c'est compliqué

A l'inverse de l'Irak, les agences américaines du renseignement sont restées à l'écart de la Syrie ces dernières années. La CIA et le renseignement militaire n'ont pas pu cultiver les précieux réseaux d'informateurs capables de leur révéler les positions des jihadistes, explique Michael Rubin, de l'American Enterprise Institute, un centre de réflexion de Washington, dans l’édition québécoise du Huffington Post. Des rebelles syriens modérés ont certes été recrutés par la CIA pour l'aider dans sa traque, mais dans des proportions bien moindres qu'au Pakistan. Les Occidentaux se retrouvent confrontés à un défi majeur pour débusquer les jihadistes. Barack Obama a donc donné son feu vert à des missions de reconnaissance au-dessus du territoire syrien.

"La structure de l'Etat islamique est le problème majeur, estime Myriam Benraad. Le groupe est bien organisé, et difficile à pénétrer. Il quadrille et verrouille son territoire. Il a adopté les techniques de guérilla, et échappe aux dispositifs de surveillance. Les combattants se déplacent vite, et se fondent parmi les populations civiles. Ils disposent de caches d'armes et de relais dans les villages." Et de conclure : "On est parti pour une action de longue haleine."

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